Fin janvier, le mari de la journaliste Tinhinane Laceb l’a poignardée à plusieurs reprises, jusqu’à la tuer. Un meurtre qui reflète la banalité des violences faites aux femmes en Algérie.
La dernière fois que le visage de la journaliste Tinhinane Laceb est passé à l’écran, ce n’était pas pour présenter son émission environnementale sur la chaîne en langue tamazight de la télévision nationale (TV4). Non, cette fois-ci, elle est apparue figée, sur une photographie qui accompagnait la nouvelle de son meurtre.
Le 26 janvier, le corps de cette trentenaire, mère de deux fillettes, est retrouvé inanimé dans son logement. Son mari appelle lui-même les forces de l’ordre. Il déclare avoir tué sa femme et se trouver toujours dans son domicile, à Birkhadem, dans la proche banlieue algéroise. Une fois sur place, la brigade de police judiciaire se retrouve face à lui, un couteau à la main, et sa victime baignant dans une mare de sang à même le sol. L’homme est arrêté et présenté devant les juridictions compétentes, précise la même source.
« Plusieurs coups de couteau »
Dès le lendemain, les médias locaux relaient la nouvelle. Avec elle, une rumeur ne tarde pas à envahir les réseaux sociaux. Le conjoint de la victime l’aurait égorgée. Rapidement, le père de Tinhinane Laceb dément cette version dans une déclaration télévisée. Selon lui, son gendre n’acceptait pas que sa fille travaille en tant que journaliste, et les deux époux se seraient disputé à ce sujet. Le mari aurait alors poussé son épouse, et la chute serait à l’origine du décès.
Mais ce mercredi 10 février, un communiqué de la sûreté de la wilaya d’Alger est venu mettre fin au débat. Une toute autre version y est présentée. Selon les conclusions de l’autopsie, l’époux et meurtrier de Tinhinane Laceb lui a asséné plusieurs coups de couteau dans différentes parties du corps, jusqu’à entraîner sa mort.
Malaise et détresse morale
Selon des témoignages recueillis dans la presse algérienne, les proches et les collègues de travail de la jeune journaliste affirment qu’elle montrait des signes de malaise et de détresse morale ces derniers temps. Après sa mort, les messages d’indignation et les hommages se sont multipliés, faisant parfois référence à ce mal-être, comme celui de son cousin, l’écrivain Djamel Laceb : « Ce n’était plus toi, depuis longtemps. Amaigrie, amoindrie, dans ton voile exagérément ample, l’étincelle même de ton intelligence s’évadant. RIP Tinhinane. »
EN 2020, 54 ONT ÉTÉ TUÉES. EN 2021, ELLES SONT DÉJÀ QUATRE
Le prénom de Tinhinane vient rallonger la longue liste de Féminicides Algérie, la plateforme indépendante qui recense les victimes de féminicides depuis 2019. L’année dernière, Chaïma, 19 ans, violée puis brûlée vive, Asma, 30 ans, retrouvée égorgée, Aïcha, 34 ans, poignardée par son conjoint, Yasmine, 28 ans, égorgée par son ex-fiancé, ont fortement marqué la société algérienne… Mais la plupart des cas ne sont pas médiatisées. En 2020, elles étaient 54. En 2021, elles sont déjà quatre.
Les limites de la loi
Ces derniers mois, les langues se délient autour de la question des violences faites aux femmes en Algérie.des artistes ont recemement denoncé, a travers une video et un clip musical , la misogynie en racinée dans le pays
La législation évolue aussi. En 2015, une loi criminalisant le harcèlement sexuel a été mise en place. Le code pénal a également été modifié pour permettre de punir les violences au sein de la famille. L’agression d’un conjoint est depuis lors passible de vingt ans de prison pour blessures et d’emprisonnement à perpétuité pour blessures ayant entraîné la mort. Mais la loi en question incite également les épouses à « pardonner » à leurs agresseurs pour leur éviter des peines lourdes.
Autre limite, la loi de 2015 ne s’applique pas aux parents, aux couples non-mariés ou aux autres membres du ménage. De plus, dans le cas d’un adultère, par exemple, le code pénal estime « excusables » le meurtre, les blessures et les coups s’ils sont commis par l’un des époux sur son conjoint pris en flagrant délit.
YASMINE SELLAMI