Une élection présidentielle se perd, si l’on a le mauvais candidat porteur du mauvais programme. Elle se perd aussi à cause de l’usure du pouvoir.
Elle se perd enfin si l’on n’a pas d’alliés ou si la coalition qui a porté au pouvoir se fissure ou implose. En 2010, Ouattara remporte l’élection présidentielle, parce que Bédié après sa défaite au premier tour , appelle à voter en sa faveur au second tour.
En 2015, candidat unique d’une coalition de 5 partis, Ouattara est réélu. 10 après avoir remporté toutes les élections, où en sont Ouattara, Bédié et la coalition du RHDP ? Ou bien pour être plus précis, où en sont le Rdr et le Pdci ?
1. Avoir le bon candidat et le bon programme en 2020
Ouattara ne se représente pas en 2020. Se présenteront devant les électeurs un candidat à la présidence et un Vice-président. Les Ivoiriens voteront pour un ticket. Ce n’est donc pas un bon candidat que devront présenter les partis politiques, mais un bon ticket avec un Président et son Vice-président. Quant au programme, ceux qui soutiennent Ouattara défendront son bilan et proposeront de poursuivre le travail accompli.
2. L’usure du pouvoir et le désenchantement des populations
Ouattara et la coalition du RHDP sont au pouvoir depuis 10 ans. Même s’il n’est pas vraiment contesté, voire menacé, Ouattara ne produit plus le même enchantement sur l’électeur ivoirien. « ADO-Solutions » a très bien fonctionné pour certains, moins pour un Ivoirien sur deux qui vit sous le seuil de pauvreté et qui ne peut ni nourrir sa famille, ni se loger, ni se soigner, ni envoyer ses enfants à l’école. Ce désenchantement gagne toute la société. D’ailleurs, il règne dans le pays une drôle d’atmosphère, une contestation sociale permanente, des mutineries dans l’armée, une corruption endémique.
À Abidjan, en perte d’idéal, toutes les conversations tournent autour de l’argent : comment en gagner plus pour s’enrichir rapidement, ce qui explique des scandales comme celui de l’agro-business ? Comment en gagner un peu pour survivre ? Là où il devait y avoir la construction d’une Côte d’Ivoire nouvelle, l’édification d’un Ivoirien nouveau, on voit des comportements anciens et très « individualisés » dans une société qui perd ses repères et le sens de l’intérêt général.
3. Lorsque la coalition qui vous a porté au pouvoir se fissure
En Côte d’Ivoire, aucun parti politique ne peut prétendre gouverner seul. Une analyse un peu rapide ou peut être simpliste permet de dire que les 3 grands partis politiques, – Rdr, Pdci et Fpi -, représentent, chacun, à peu près 1/3 des électeurs. L’influence du Fpi ne doit pas se mesurer au nombre de députés dans la nouvelle Assemblée nationale , mais à sa capacité à faire partie d’une coalition appelée à devenir majoritaire, par l’union et le rassemblement. Un Fpi toujours sous l’ombre tutélaire de Gbagbo peut-il s’allier avec ses anciens ennemis ? Fpi et Pdci ? Fpi et Rdr ?
Tout le monde voit aujourd’hui que la coalition au pouvoir tangue. Les motifs de division sont nombreux, au premier rang desquels la question de l’alternance.
Sûr de sa puissance politique, financière et militaire liée à la présence de son mentor au Palais présidentiel , le Rdr considère qu’il ne doit rien au Pdci et qu’il est le seul artisan des victoires électorales, comme semble le confirmer la majorité absolue qu’il détient à l’Assemblée nationale. Pour certains de ses dirigeants, le Rdr n’a pas été créé pour ne rester que 10 ans au pouvoir. Mais, que vaudra réellement, en 2020 un Rdr sans Ouattara, sans alliances solides au sein d’une coalition ?
Le Pdci, qui a soutenu Ouattara en 2010 et qui s’est sacrifié en 2015, demande une alternance en sa faveur. L’Udpdci, un autre allié du Rdr au sein du Rhdp, souhaite voir son candidat investi pour 2020. Des candidatures, hors coalition, hors système, comme Macron en France, peuvent émerger. Certains s’y préparent !
Les membres de la coalition du Rhdp devraient y regarder à deux fois avant de rompre leur alliance. Ils devraient aussi continuer à travailler pour la Côte d’Ivoire et les populations, afin de présenter, en 2020, un bon bilan.
4. Les dangers de l’affrontement entre le Rdr et le Pdci
Selon mes analyses, en 2020, le Rdr et le Pdci pourraient perdre ensemble le pouvoir, s’ils s’affrontent. Deux cas de figure se présentent : ou bien les deux ( Pdci et Rdr ) se qualifient pour le second tour et continuent une campagne sans pitié, qui laissera des traces , car ils en oublieront qu’ils sortent de dix près de 15 ans d’une alliance forgée contre Gbagbo et son clan.
Toutefois ce scénario du Rdr et du Pdci l’un contre l’autre au second tour , est peu probable. Car après une campagne féroce au premier tour, un candidat de l’opposition pourrait se qualifier en rassemblant tous les vrais opposants au Rdr du premier tour.
Ce candidat sera soutenu au second tour par le Pdci, à la suite d’un renversement d’alliances, et a toutes les chances de l’emporter : un candidat, bénéficiant de la guerre entre le Rdr et le Pdci, peut, sur son seul nom, son charisme, sa capacité de rassemblement, être élu au détriment des caciques aussi bien du Rdr , que du Pdci.
En 2010, le Pdci et le Rdr ne se sont pas attaqués au cours de la campagne électorale. Les deux partis, oubliant leurs différences, se sont concentrés sur les attaques contre le bilan et la gouvernance de Laurent et Simone Gbagbo. Malgré l’effondrement du pays pendant les 10 ans de règne de Gbagbo, l’élection de Ouattara s’explique par la solidité de l’alliance entre le Rdr et le Pdci et le respect des engagementspris par un Bédié qui a été d’une fidélité absolue à l’égard de Ouattara. Le Rdr a tendance à l’oublier….
En 2020, nombreux seront au Pdci ceux qui refuseront d’assumer l’héritage et le bilan de Ouattara. Ils dénonceront la « trahison » du Rdr, « l’ingratitude » du parti devant les efforts et sacrifices faits par le Pdci, la « gourmandise » du Rdr, sa volonté de mettre le pays sous la coupe d’un seul clan. Ils appelleront au retour au pouvoir des « vrais » fils du pays, avec le risque d’un retour, qu’on le veuille ou le non, du débat sur « l’ivoirité« , retour qui marquera l’échec du Rdr et du Ouattarisme.
Isolé et enfermé dans un couloir étroit, le Rdr ne mobilisera que son camp. On aura en Côte d’Ivoire un « Tout sauf le Rdr », porté par une nouvelle coalition dont feront partie le Pdci et le Fpi.
Les renversements d’alliances ont ponctué l’histoire politique de la Côte d’Ivoire….
Qui pourra alors prétendre incarner l’opposition à Ouattara et au Rdr ? L’opposition intransigeante qui ne s’est jamais compromise avec Ouattara et le Rdr, les « Gbagbo ou Rien » de Sangaré, les Koulibaly et autres ? Ou l’opposition tardive du Pdci, qui aura , malgré sa verve et sa virulence retrouvées, du mal à faire oublier les renoncements de Bédié ?
Le peuple préférera les « vrais » et anciens opposants. Le Pdci, en cas de rupture avec le Rdr, risque aussi d’être écarté de la magistrature suprême et du pouvoir.
En 2020, le Rdr pourra sans doute bénéficier de son statutde parti au pouvoir, comme le Fpi de Gbagbo en 2010, pour se qualifier pour le second tour. Mais, sonné de n’être pas présent second tour, le Pdci refusera, cette fois-ci, de soutenir ce Rdr là , à qui il voudra faire payer sa « trahison », son refus de l’alternance.
Le Pdci est sûrement encore trop faible pour empêcher le Rdr d’accéder au second tour, mais son influence sur une grosse partie de l’électorat suffira à faire perdre son ex-allié. Même si Bédié lance un « nouvel Appel de Daoukro », ce qui est peu probable, les dirigeants et les militants du Pdci ne suivraient pas les consignes données par le Sphinx de Daoukro.
Le scénario de l’implosion du Rhdp serait catastrophique pour les deux partis qui, voyant qu’ils perdraient le pouvoir, seraient, l’un et l’autre, conduits à faire alliance avec l’ancien ennemi, le Fpi et le reste de l’opposition actuelle.
L’intérêt du Pdci et du Rdr est, aujourd’hui encore, de s’entendre et de signer de véritables accords de gouvernance, pour parvenir à un véritable partage du pouvoir.
Il y va aussi de l’intérêt du pays et des populations qui sont avides de démocratie et de croissance partagée et alternée.
C’est ensemble que le Rdr et le Pdci ont gagné toutes les élections, remporté la bataille du Golf.
Imaginez un seul instant que Bédié ait quitté, à l’époque, le Golf. L’intervention militaire de l’ONU n’aurait alors pas été possible, devant l’affaiblissement interne de l’opposition à Laurent Gbagbo.
Imaginez, qu’en 2015, le Pdci ait soutenu, contre Ouattara et le Rdr, un autre candidat. Quand on regarde les chiffres de l’abstention, quel que soit ce candidat, même médiocre, Ouattara aurait eu à affronter un périlleux second tour.
Le Rdr et le Pdci doivent se souvenir de cette phrase de Laurent Gbagbo : » C’est la guerre des héritiers d’Houphouët qui m’avait fait arriver au pouvoir » .
Il a fallu dix ans à ces héritiers pour l’emporter sur Gbagbo par les urnes, mais aussi par une guerre civile dont souffrent encore les populations, malgré les progrès de la réconciliation.
Dix ans après s’être réconciliés pour arriver au pouvoir, les héritiers et successeurs du Vieux ont beaucoup à perdre de penser que l’opposition ne représente plus rien, qu’ils peuvent se faire une nouvelle guerre, en s’affrontant en 2020.
Croyez-moi, des citoyens de plus en plus nombreux se foutent pas mal de ce que ce soit le Fpi, le Rdr , le Pdci ou un indépendant qui arrive au pouvoir, car ils savent finalement que chaque groupe vient pour se servir et qu’au fond rien ne change vraiment.
Je pense qu’il y’aura un second tour en 2020. Le Pdci et le Rdr, s’ils veulent conserver le pouvoir en 2020, doivent se donner les moyens d’éviter un second tour. Seule, une alternance assumée et acceptée par le Rdr permettra d’éviter un second tour. Il faut alors désigner deux bons candidats, car on oublie que, cette fois, on aura à choisir un ticket, un candidat Président et un candidat Vice-président. Le candidat choisi par le Rdr et le candidat choisi par le Pdci peuvent se rencontrer et discuter pour former ce ticket gagnant.
On oublie de plus en plus que c’est pourtant la « constitutionalisation » de l’alliance Rhdp et de l’alternance qui a conduit à la création de la vice-présidence, tout en maintenant la Primature, alors qu’il s’agit d‘un schéma institutionnel rare.
En cas d’alternance en faveur du Pdci, le Rdr peut par exemple négocier pour obtenir en 2020 aussi bien la Vice-présidence que la Primature; ce qui n’est pas le cas actuellement pour le parti en seconde position dans l’alliance.
Ouattara est actuellement le Président de tous les Ivoiriens. Au Rdr, certains voudraient qu’il redevienne Président du parti aujourd’hui et encore après 2020, afin de jouer un rôle politique, et même politicien, comme Bédié ou comme Gbagbo depuis sa prison. Ouattara, je le pense, ne veut ( et ne doit pas ) pas redevenir un chef de clan, même si cela réussit bien à d’autres.
Son horizon n’est pas le champ clos de la politique politicienne et des calculs pour se maintenir au pouvoir.
Bédié a sauvé la démocratie, la République, par son détachement de l’histoire contingente et son sens de l’intérêt général et de l’État. Cela lui vaut aujourd’hui d’être bousculé par les noyaux durs du Pdci.
Ce que voulait Bédié, ce n’était pas sauver une structure partisane, ethnique. Il voulait sauver la Côte d’Ivoire, préserver la paix et l’unité nationale.
Ouattara, en 2020, voudra suivre le même chemin que Bédié. Il ne voudra pas sauver le Rdr, si le Rdr redevient une structure partisane et ethnique.
Les dangers de l’affrontement entre le Rdr et le Pdci dépassent la question du maintien au pouvoir d’une structure partisane qui l’aurait emporté, par le jeu des arrangements politiciens et des renversements d’alliances, sur une autre.
Il est question de l’avenir de la Côte d’Ivoire et des populations. Les politiciens parlent de leur parti politique, les hommes d’État de la nation. Ouattara et Bédié ne sont pas de simples politiciens. Ils sont des hommes d’État porté par l’histoire, pénétrés par le sens de l’histoire.
Petite remarque : en France, le nouveau Président de la République n’est-il pas ce candidat qui n’était soutenu par aucun des vieux partis politiques ?
Afin que nul n’en ignore ….
Charles Kouassi