L’homme de lettres était poursuivi pour un post sur Facebook dans lequel il menaçait de mort le président Paul Biya.
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
Après trois semaines de détention, Patrice Nganang a été libéré, mercredi 27 décembre, peu après 13 heures. L’écrivain a par la suite été conduit « par des policiers cagoulés et lourdement armes », selon son avocat, à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, d’où il a été expulsé vers les États-Unis.
« Patrice Nganang a été jeté de force dans une voiture de la police camerounaise après que le tribunal de Yaoundé l’a remis en liberté ce matin, affirme Me Emmanuel Simh. Son passeport camerounais a été confisqué sans décision de justice, ainsi qu’un document consulaire appartenant à son beau-père ; ces deux pièces sont entre les mains de la police. » M. Nganang, qui enseigne la littérature à l’Université de New York, dispose toujours de son passeport américain, pays dont il a également la nationalité.
Arrêt des poursuites
Mercredi matin, le juge du tribunal de première instance de Yaoundé a ordonné, contre toute attente, l’arrêt des poursuites contre l’écrivain. Son procès, ouvert le 15 décembre, avait pourtant été renvoyé au 19 janvier 2018. « Hier [mardi], Patrice Nganang a reçu un message lui demandant de se rendre au tribunal ce jour. On ne lui a pas dit de quoi il s’agissait », s’était étonné Me Simh deux heures avant l’audience.
Interpellé le 6 décembre à l’aéroport international de Douala alors qu’il s’apprêtait à rejoindre rejoindre son épouse à Harare, au zimbabwe , Patrice Nganang était resté introuvable pendant quarante-huit heures. C’est finalement à la police judiciaire de Yaoundé que son avocat avait appris les charges qui pesaient contre lui : « outrage au chef de l’État » et « faux et usage de faux ».
L’écrivain était accusé d’avoir menacé de tuer le président de la République, Paul Biya, dans un post publié sur sa page facebook. « Faites-moi confiance et je ne blague pas, je l’ai devant moi, lui Biya, et j’ai un fusil, je vais lui donner une balle exactement dans le front. Je le dis depuis Yaoundé où je suis », avait écrit M. Nganang le 3 décembre sur le réseau social. Le 15 décembre, son procès s’était ouvert avec de nouvelles accusations : « apologie de crime », « menaces » et « outrage à corps constitués ». Il avait plaidé non coupable.
Carnet de route
Pour ses proches, l’homme de lettres a été arrêté à cause de ses prises de parole dans la crise qui secoue le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les deux régions anglophones du Cameroun, depuis un an. Arrivé au Cameroun fin octobre, M. Nganang avait sillonné pendant plusieurs jours cette partie du pays abritant environ 20 % de la population .
Le 5 décembre, l’auteur notamment de Temps de chien, prix Marguerite-Yourcenar et Grand Prix de la littérature d’ Afrique noire, avait publié un carnet de route zone (dite) anglophone sur le site Internet de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Il y dénonçait la gestion de la crise et concluait son récit en appelant à un changement de régime. « Il faudra sans doute un autre régime politique pour faire comprendre à l’État que la mitraillette ne saurait endiguer une foule en mouvement. Seul le changement au sommet de l’Etat pourra régler le conflit anglophone au Cameroun », assurait-il.
« Comme je le rappelle depuis le début, il s’agit d’un procès politique. C’est une vengeance des personnes qui estiment que Patrice Nganang fait beaucoup d’écrits, de prises de parole contre ce régime », précise Me Simh. « Patrice Nganang a été arrêté pour ses écrits sur la politique en général, mais plus précisément sur la crise anglophone », jure de son côté Gérard Philippe Kuissi, son compagnon de lutte.