Une ombre suit le président. Elle est plus grande, plus large d’épaules. Mais elle a le même sens du détail et de la stratégie. Le même souci de la discrétion et le même goût pour les costumes cintrés et les chaussures bien cirées. L’ombre, c’est Olivier Boko. Un homme d’affaires qui suit Patrice Talon à la trace depuis plus de quinze ans.
Au fil du temps, les deux amis ont bâti une relation unique. Ils se connaissent sur le bout des doigts. « Olivier m’a vu nu », a l’habitude dire le chef de l’État. Et aujourd’hui, bien qu’il n’ait aucune fonction officielle et préfère minimiser son importance, Boko est au centre du système Talon. À Cotonou, on dit même de cet homme modeste et réservé qu’il est le vrai numéro deux du pays.
Ambitieux dès le plus jeune âge
De lui, les Béninois ne savent rien ou presque, et l’intéressé s’en accommode très bien – il n’a d’ailleurs pas donné suite à nos nombreuses sollicitations. Né le 2 octobre 1964 à Ouidah, de Grégoire Boko et Virginie Agboton, Olivier Boko poursuit sa scolarité à Cotonou. Il n’est qu’en terminale quand il commence à se frotter au monde des affaires. Il se lance d’abord dans le commerce de pneumatiques, puis dans celui de fournitures de bureau et de machines de manutention pendant une dizaine d’années. En parallèle, il décroche une maîtrise de droit à l’université de Cotonou.
Débrouillard et ambitieux, il fréquente au milieu des années 1990 la Jeune Chambre internationale (JCI) du Bénin. Il devient membre du directoire de cette organisation, où l’on croise plusieurs ministres prometteurs, et en profite pour enrichir son carnet d’adresses. En 1997, il crée avec un ami, Francis Agbo, le fils d’un richissime homme d’affaires béninois, la Société intercontinentale de commercialisation et de négoce (Sicone), qui fournit en pneumatiques et pièces de rechange le cimentier Onigbolo.
La rencontre à travers Sicone
Les deux camarades se débrouillent bien et nouent des relations dans l’entourage du président Mathieu Kérékou. L’une d’elles leur permet de faire la connaissance de Gani Saka Saley, président du parti FARD-Alafia et ministre du Développement rural à la fin des années 1990. La rencontre sera décisive : Saka Saley prend Olivier Boko sous son aile et permet à Sicone de faire son entrée sur le marché de la distribution d’intrants – un secteur dominé par un certain Patrice Talon.
Boko et Talon ne se connaissent pas. Ils ne sont pas encore liés par cette amitié qu’ils ont aujourd’hui plaisir à afficher. Mais Talon est déjà un homme d’affaires confirmé, en conflit ouvert avec l’administration Kérékou, qui l’a privé de son monopole sur l’importation et la distribution d’intrants. Le contentieux se retrouve même devant les tribunaux. Talon l’emporte, mais passe un accord avec le ministre Saka Saley et les acteurs de la filière : il renonce à son précieux monopole en échange de parts dans plusieurs sociétés de distribution. Sicone est l’une d’elles.
Les premiers contacts entre Talon et Boko sont plutôt froids, mais cela ne dure pas. Les deux hommes se rapprochent. Ils ne se quitteront plus.
Entente cordiale
« Par la suite, raconte un très bon connaisseur de la filière, Talon a fondé de nouvelles sociétés de distribution. Boko en gérait certaines, il y détenait parfois des participations. C’est son association avec Talon qui lui a permis d’atteindre une telle envergure dans les affaires. » Pourtant, Boko garde une certaine indépendance vis-à-vis de Talon. « Chacun chassait de son côté, il y avait une sorte d’entente cordiale », raconte un businessman qui les connaît bien.
Boko se diversifie : il rachète une menuiserie pour fabriquer du mobilier scolaire, obtient des marchés publics… En 2001, il modifie les statuts de Sicone, qui devient la société anonyme Denrées et fournitures alimentaires (DFA), groupe florissant dont il tient les rênes aujourd’hui encore et qui rassemble ses diverses activités.
L’arrivée au pouvoir de Thomas Boni Yayi, en avril 2006, ne freine pas l’ascension des deux associés. Boko partage la foi évangéliste du nouveau président et sert parfois de relais entre ce dernier et Talon. À l’époque, son nom est cité dans plusieurs grosses affaires de corruption, mais aucune n’aura de suites judiciaires. En décembre 2011, le programme de vérification des importations (PVI) du port de Cotonou est confié à Bénin Control, une société dont Talon est l’actionnaire majoritaire et Boko, l’un des administrateurs. C’est la première fois que la relation d’affaires qui unit les deux hommes est ainsi rendue public.
Soutien de Talon pour la campagne 2016
En septembre 2012, quand Talon se brouille avec Boni Yayi, Boko l’accompagne en exil. Il est visé par les mêmes accusations d’association de malfaiteurs et de tentative d’assassinat. Dans la capitale française, il devient le compagnon fidèle, disponible à tout moment. Boni Yayi tentera bien de le convaincre de trahir son ami et de rentrer à Cotonou, mais rien n’y fera. Boko est présent presque chaque matin au domicile parisien de Patrice Talon ; il est, avec la femme de ce dernier, son premier soutien moral. C’est aussi le logisticien et le stratège de la revanche que les deux hommes construisent. « Quand on venait à Paris, c’est avec lui qu’on organisait tout », souligne un proche de Talon.
En 2013, quand celui-ci réunit plusieurs personnalités politiques béninoises à l’hôtel Sofitel-Arc de Triomphe, le jour de Noël, c’est Boko qui règle la facture. C’est également lui qui rentre le premier à Cotonou, en août 2015, pour préparer le terrain. « Il a aussi été l’un des principaux partisans de la candidature de Talon à la présidentielle de mars 2016. Même quand ce dernier hésitait », poursuit le proche cité plus haut. Et lorsque la bataille électorale commence, c’est un de ses bureaux d’Akpakpa, à Cotonou, qui fait office de siège de campagne.
Un conseiller discret
Aujourd’hui, muni d’un passeport diplomatique, il accompagne parfois le chef de l’État dans ses visites à l’étranger. Il n’a pas de bureau à la présidence, mais assiste à des réunions économiques ou politiques importantes. Il est derrière plusieurs nominations et au centre de nombreuses décisions prises au plus haut niveau de l’État. « Il partage avec le président une connaissance parfaite de la classe politique. Ils sont très complémentaires. Olivier est pragmatique, il sait quand le moment est venu de négocier », explique un collaborateur de Talon.
Les ressorts psychologiques de cette relation sont néanmoins difficiles à analyser. Certains croient Boko capable de contredire le chef de l’État en public, quand d’autres ne l’envisagent pas une seconde. « Il n’oserait jamais. Mais quand il n’est pas d’accord, il lui en fait part en privé, et cela lui arrive souvent de le faire changer d’avis », estime un proche de Talon.
La présidence, une parenthèse pour Talon ?
Quoi qu’il en soit, les critiques sur l’importance de Boko n’ont pas tardé à faire polémique. « Des opérateurs économiques lui reprochent de se servir de sa position pour les court-circuiter auprès de fournisseurs étrangers et de récupérer les marchés à leur place », assure une personnalité pourtant proche du président. Même au sein du gouvernement, cela provoque parfois des tensions.
« Quand l’État a dû revoir les modalités de location de groupes électrogènes pour pallier les coupures de courant, le ministre de l’Énergie avait sa vision des choses. Mais c’est Boko qui a choisi la compagnie à laquelle faire appel. Le ministre était furieux et a failli démissionner », raconte une source à la présidence. D’après les détracteurs de Talon, la marge de manœuvre accordée à Boko prouve que le chef de l’État voit sa fonction actuelle comme une parenthèse et que son fidèle ami est là pour lui permettre de reprendre ensuite le cours de ses activités.
Un homme politique d’envergure qui connaît bien le président conclut : « Boko a toujours servi les intérêts de Talon. C’est encore le cas aujourd’hui. »
BOKO, LE SUCCESSEUR PRÉFÉRÉ DE TALON ?
Patrice Talon l’a encore répété dernièrement à plusieurs interlocuteurs, il compte ne faire qu’un mandat, et la réforme politique sur laquelle planchent ses équipes depuis qu’il est arrivé au pouvoir devrait être présentée à l’Assemblée en mars.
Le texte devrait acter le mandat unique de six ans et limiter le nombre de partis politiques. La question de la succession de Talon se pose donc déjà. En novembre, Olivier Boko a évoqué devant quelques personnes de possibles ambitions. Était-ce une manière de tester l’idée ? À la présidence, on rétorque que le chef de l’État « souhaite laisser la place aux politiques, pas à un nouvel homme d’affaires ». Mais beaucoup voient mal Talon, toujours sévère à l’égard de la classe politique traditionnelle, soutenir quelqu’un qui ne soit pas un proche. Que ce soit Boko ou un autre.
VINCENT DUUHEM