L’ex-président brésilien Lula, mythe vivant de la gauche, pourrait se retrouver prochainement derrière les barreaux après le rejet jeudi par la Cour suprême d’une demande d’habeas Corpus pour lui éviter la prison avant l’épuisement de tous les recours possibles.
Une décision loin d’être unanime: la demande a été rejetée par six voix contre cinq, à l’issue de débats qui se sont étendus 11 heures durant, à six mois d’une élection présidentielle pour laquelle il était donné favori.
Bien que très serré, ce résultat est une victoire éclatante pour les procureurs de l’opération « Lavage-Express », enquête tentaculaire qui a mis au jour un gigantesque scandale de corruption impliquant des hommes politiques de tous bords.
Ancien ouvrier parvenu au sommet de l’Etat, Luiz Inacio Lula da Silva, 72 ans, une des personnalités politiques les plus charismatiques de ce début de siècle en Amérique Latine, pourrait être incarcéré dans les prochains jours.
L’icône de gauche devra purger une peine de 12 ans et un mois de prison pour avoir reçu un luxueux appartement en bord de mer de la part d’une entreprise de bâtiment en échange de faveurs dans l’obtention de marchés publics.
L’ex-président (2003-2010) nie farouchement, invoquant l’absence de preuves et dénonçant un complot visant à l’empêcher de briguer un troisième mandat, huit ans après avoir quitté le pouvoir avec un taux de popularité record.
« Je veux juste que la Cour Suprême rende justice. Je ne veux aucun bénéfice personnel et qu’elle indique quel crime j’ai commis », avait déclaré Lula lundi à Rio de Janeiro.
– Coup fatal –
« Toute décision judiciaire est importante, mais certaines ont une plus grande répercussion que d’autres », avait déclaré la présidente de la plus haute juridiction du Brésil, Carmen Lucia, au début de cette audience très attendue.
C’est elle qui a prononcé l’ultime vote qui a entériné le rejet de la demande de Lula, quand le résultat partiel était de cinq voix partout.
Mais le coup fatal a été porté par la juge Rosa Weber, dont le vote était annoncé comme celui qui ferait pencher la balance, sa position étant présentée comme la plus indécise.
Quatrième à voter, elle s’est finalement prononcée contre l’habeas corpus, après avoir maintenu le suspense pendant près d’une heure avec un argumentaire très technique.
« Lula en prison, les bandits en prison, le Brésil sans corruption! », exultait Lisbet Guth de Paiva, psycholoque de 50 ans, qui manifestait devant le siège de la Cour suprême à Brasilia.
Lula a suivi l’audience dans la ville où il réside, Sao Bernardo do Campo, près de Sao Paulo, plus précisément au siège du syndicat des métallurgistes, qu’il a dirigé dans les années 70, où plusieurs dizaines de ses partisans se sont rendus dès le matin.
Devant un écran géant, les militants de gauche ont accueilli avec désolation le vote de Rosa Weber en défaveur de Lula.
« Rosa Weber était indécise, mais quand elle a dit qu’elle refusait l’habeas corpus, je suis devenue folle. Elle s’est vendue aux grands médias qui dominent notre système judiciaire », a affirmé Maria Lucia Minoto Silva, enseignante de 60 ans.
– « Jour J » –
Une décision de la Cour suprême datant de 2016 stipule que toute peine de prison peut commencer à être purgée dès la condamnation en seconde instance, ce qui est le cas pour Lula, dont le premier recours a été rejeté par une cour d’appel fin janvier.
Mais un jugement favorable en ce qui concerne la demande d’habeas corpus aurait pu changer la donne et faire jurisprudence, permettant en théorie à tous les condamnés de rester en liberté jusqu’à l’épuisement de tous les recours.
« Mercredi, c’est le jour J de la lutte contre la corruption », avait écrit récemment Twitter Daltan Dallagnol, procureur chargé de l’opération « Lavage-Express ».
Si les partisans de Lula mettent en avant la présomption d’innocence, ses opposants réclament son incarcération avec véhémence.
Le général Eduardo Villas-Boas, chef de l’armée brésilienne, avait publié mardi soir sur Twitter un message dans lequel il indique que les militaires « partagent le sentiment des Brésiliens qui répudient toute impunité ».
Même si elle ne fait pas référence explicite à Lula, cette publication laisse entendre une rare prise de position de l’armée, dans un pays qui vivait encore sous le joug de la dictature militaire (1964-1985) il y a une trentaine d’années.
Amnesty International a considéré que la déclaration du général était « un grave affront à l’indépendance des pouvoirs et une menace envers l’Etat démocratique ».
presse opinion Avec l’AFP