L’inquiétude monte au Cameroun à l’approche du dimanche 1er octobre, date qui devrait cristalliser la contestation en cours depuis un an dans les régions anglophones qui se sentent marginalisées. Pour rappel, des actions de protestation citoyenne sont annoncées et certains séparatistes ont même prévu de proclamer l’indépendance.
Des habitants de Buéa et Bamenda parlent de villes hautement mitarisées et d’arrestations au cours de la semaine passée. Des allégations que confirme Hans de Marie Heungoup, analyste Cameroun chez International Crisis Group (ICG), qui évoque aussi des arrestations dans certains quartiers de Yaoundé.
« Il y a des arrestations qui se font quotidiennement, des fouilles dans les maisons des personnes dans les zones anglophones sans mandat de perquisition et plus récemment, sur les trois derniers jours, des quartiers ayant une forte population anglophone à Yaoundé ont fait l’objet de fouilles, de rafles », indique-t-il à RFI.
Et d’ajouter : la montee des tension sociales même en zone francophone, est aussi préoccupante, en ce sens qu’il commence à se développer des tensions horizontales et une stigmatisation des anglophones vivant en zone francophone. Il ne faudrait donc pas que la situation dégénère et aille dans tous les sens ! Voilà l’objectif de notre rapport, qui est d’appeler à un dialogue urgent, y compris sur les questions de fond. »
Le gouvernement dément toute arrestation
De son côté, le porte-parole du gouvernement camerounais, Issa Tchiroma Bakary, dément que de telles arrestations aient eu lieu ces derniers jours, à Yaoundé comme dans les principales villes anglophones du pays.
« C’est un discours d’un bonimenteur dont l’objet est de jeter le discrédit sur le gouvernement, dénonce-t-il. Nous n’avons pas de problème d’anglophones au Cameroun. Nous avons un problème avec les sécessionnistes dont l’objet est de diviser notre nation. Maintenant ils insinuent que nous allons dans les quartiers. Non ! »
« Nous avons des problèmes avec ceux qui sont en rupture avec les institutions de la nation, martèle-t-il. Qu’ils soient francophones ou anglophones, du nord ou du sud, de l’est ou de l’ouest. Si vous êtes en porte-à-faux vis-à-vis des lois de la République et si vous êtes soupçonné de violation, c’est tout à fait normal. Et c’est propre à tous les Etats organisés que de procéder à des investigations. »
Pour autant, Issa Tchiroma Bakary maintient qu’aucune arrestation pointée par ICG n’a eu lieu. « A ma connaissance, il n’y a pas eu une telle opération, défend-il. Mais je vous dis : sur l’ensemble de la ville de Yaoundé, si la police estime à un moment donné ou à un autre – après avoir reçu une information – qu’il y a des malfrats qui sont en train de monter quelque chose, leur responsabilité, c’est d’anticiper. »
Appel au dialogue
Quatre personnalités, dont le député du parti au pouvoir Jean-Simon Ongola Omgba et les présidents des partis d’opposition AFP et UPC, viennent de publier un « appel de la croisade pour la paix ». Inquiets de la crise politique majeure dans la partie anglophone, qui a pris des proportions inquiétantes ces derniers jours, ces personnalités ont décidé de dépasser le clivage majorité/opposition pour appeler à un dialogue « sans tabou et inclusif ».
« Il y a des extrémistes de part et d’autre, reconnait Alice Sadio, présidente du parti d’opposition AFP, l’une des signataires du texte. Du côté anglophone, il y a des gens qui sont arc-boutés sur la sécession, l’indépendance. Et du côté du gouvernement et du RDPC, il y a des choix pas du tout conciliateurs. Donc, nous appelons à un dialogue inclusif. »
Elle appelle les protagonistes à dépasser « questions taboues. Lorsque les anglophones avaient commencé par dire « fédéralisme« , la réponse du gouvernement a été : « Le Cameroun est un et indivisible« . Mais est-ce que fédéralisme peut être synonyme de division ? Non ! Donc cette politique de l’autruche, cette tentative de stigmatisation du vouloir d’une partie du peuple, c’est en train de dégénérer ! »
« Ceux qui hier ne pouvaient pas prononcer le mot « fédéralisme », plaide Alice Sadio, qu’ils apprennent à dire « fédéralisme ». Ceux qui hier ne pouvaient pas dire le nom « le Cameroun », qu’ils apprennent à dire « We are together ». Mais comment faisons-nous pour que ce « together » soit bâti de telle sorte que chacun se sente chez soi au Cameroun, anglophones et francophones ? Il faut le dialogue ! »
Ces personnalités espèrent que d’autres, quelles que soient leurs orientations politiques, se joindront à leur initiative.
Exil
A l’approche de l’échéance du 1er octobre, la psychose gagne les régions Sud-Ouest et Nord-Ouest. Les populations y redoutent une flambée de violences et les autorités locales ont décrété le couvre-feu de 21 h à 7 h jusqu’au 2 octobre. Certains résidents de ces régions, apeurés, ont même déjà fait le choix de migrer vers la partie francophone du pays.
D’ordinaire bruyante, la gare routière de Bonaberi, à Douala, l’un des points de départ pour les zones anglophones du sud-ouest et du nord-ouest, était étrangement vide jeudi matin, rapporte notre envoyé spécial à Douala. Si des dizaines de bus de transport sont garés de part et d’autre dans la grande cour, les passagers, eux, se font rares.
Pour Eno També, chauffeur dans cette gare routière, les gens ont peur. « Depuis le matin, la peur s’installe. Je n’ai transporté personne. Depuis le matin je n’ai travaillé que pour 2 000 francs CFA. Un jour comme celui-ci – mercredi et jeudi –, il y a beaucoup de revendeuses que nous transportons au marché et nous les ramenons. Et à la fin de la journée, je peux dégager au moins 5 000 francs pour mes enfants à la maison. Les gens ont peur. Ils ont peur de se déplacer. »
Dans le sens inverse, un policier en service dans un poste de contrôle à l’entrée de la ville de Douala, confie sous anonymat avoir constaté plusieurs mouvements de personnes quittant les villes anglophones. Là encore, le prétexte est le même : la peur. Plus on s’approche du 1er octobre, date choisie par les séparatistes anglophones pour leur déclaration d’indépendance, plus la psychose grandit dans ces régions et les risques de violence aussi.
RFI