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Caricature, Millon, costumes… la campagne de Fillon devient dangereuse

La stratégie de reconquête électorale de François Fillon le pousse à droitiser encore sa campagne. Entre caricature douteuse d’Emmanuel Macron réalisée par ses équipes et retour de Charles Millon à ses côtés, faut-il s’inquiéter ?

© Fournis par www.challenges.fr François Fillon

La campagne Fillon file un mauvais coton. Et ce n’est pas qu’une affaire de costumes offerts. Il se passe quelque chose qui n’incline guère à envisager la suite de la campagne Fillon avec sérénité. Trois éléments survenus ce weekend en attestent.

D’abord la caricature d’Emmanuel Macron, diffusée sur les réseaux sociaux vendredi dernier et qui a, à juste titre, suscité un émoi considérable, caricature à l’évidence empreinte de l’imaginaire antisémite des années 30, quand la droite et l’extrême droite de l’époque voyaient partout la main invisible des forces occultes œuvrant à la mise en place du complot judéo-maçonnique et bolchévique. Rien n’a manqué à la panoplie: le haut de forme, le cigare, la faucille et le nez crochu… Caricature immonde et malfaisante, qui a pourtant été conçue, pensée et portée par l’ensemble d’une chaîne de commandement au sein de l’équipe de campagne Les Républicains. Sidérant. Et il a fallu deux jours à François Fillon pour condamner publiquement le procédé.

Car telle est la vérité que révèle cette affaire: personne, et l’on écrit bien ici « personne », parmi celles et ceux qui ont eu à traiter de la création de cette caricature porteuse d’un antisémitisme sournois et insidieux, personne ne s’est interrogé sur le sens et la portée de ce dessin. C’est un fait accablant. Et dire qu’il se trouve de brillants esprits, au sein de la droite éditoriale, pour estimer qu’il ne saurait être question d’antisémitisme puisqu’Emmanuel Macron n’est pas juif… Comme si la représentation de ce dernier comme instrument d’un grand complot judéo-maçonnique ne suffisait pour caractériser le crime.

Passons au second élément accablant du week-end pour la campagne Fillon.

Le retour de Charles Millon

Ce week end, a été annoncé en outre l’entrée officielle dans l’équipe de campagne de l’un des visiteurs du soir les plus écoutés par François Fillon, celle de Charles Millon. On parle ici d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, mais Charles Millon est connu pour un fait d’armes hautement symbolique dans la vue politique française. Lors des élections régionales de 1998, il fut de ces hommes de l’UDF qui conclurent un pacte de la honte avec le Front national dans le but de mettre la main sur quantités de régions qu’ils n’avaient pas conquises à la régulière, en transparence, dans les urnes.

« Vendredi noir » que ce 20 mars 1998, quand des têtes de liste acceptèrent d’être élus présidents de régions grâce aux voix des représentants du FN. Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon, Charles Baur en Picardie, Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, Bernard Harang en région Centre et Charles Millon en Rhône-Alpes. Au sujet de ces personnages de sinistre mémoire, Philippe Séguin aura ce mot célèbre : «Ils ne vont tout de même pas vendre leur âme pour des Safranes!». Ce fut pourtant le cas…

Donc Charles Millon le réprouvé revient. Il est de cette droite Fillon qui fait dire à certains que ce candidat est le pire d’entre eux. Catholique ultra-conservateur et réactionnaire, Millon a déjà été pris la main dans le sac de l’alliance avec le Front national. Comme Fillon, il n’est pas d’extrême droite, mais il est de la droite profonde, contre-révolutionnaire, qui ne demande qu’à ressusciter la France des clochers. Son retour au premier plan de la campagne du candidat LR valide le constat Juppé: la droite française, dite encore « républicaine », s’est radicalisée. Et le vaste mouvement de départs de la campagne Fillon qui s’est opéré la semaine passée a amplifié cette radicalisation identitaire populiste-chrétienne. C’est désormais le noyau dur de LR qui est aux commandes.

48.500 euros de costumes

En 1998, cette droite-là vendait son âme pour des Safranes, aujourd’hui elle le fait pour des costumes. C’est le troisième fait accablant du week end écoulé pour la campagne Fillon. Quelqu’un, quelque part, a jugé utile d’offrir à un Premier ministre en fonction, puis à un candidat qui fut longtemps favori de l’élection présidentielle, pour 48.500 euros de costumes de très grande mesure, et ce depuis 2012. Ce quelqu’un a fait de François Fillon son obligé.

Quand François Fillon, interrogé sur ce sujet, répond que cela ne concerne que sa vie privée, et ajoute « Et alors ? », il commet une nouvelle faute politique. Car les Français savent que le généreux donateur qui offre ainsi 48 500 euros de costume à un possible futur président de la République est doté de puissants moyens financiers. Qu’il est donc inévitable qu’il attende quelque chose en retour de François Fillon. Et comment pourrait-il en être autrement?

Ainsi va la campagne Fillon. Entre caricature qui évoque les heures les plus sombres de l’histoire (n’en déplaise à ceux qui aiment à moquer l’expression), reconstitution de ligue qui devrait être dissoute et suspicions autour du rapport du candidat avec le monde des puissances d’argent. Et ce n’est pas sans conséquences sur les leçons politiques qu’il convient de tirer de ces faits accablants.

Une stratégie kamikaze

Tout indique que, afin de remonter la pente électorale, François Fillon va encore davantage droitiser sa campagne, dans le but de ramener à lui, autant que faire se peut, des électeurs qui sont aujourd’hui réfugiés dans l’abstention ou le vote FN. Et surtout, tenir une ligne politique qui soit de nature à libérer les électeurs les plus extrémistes, les encourageant à proclamer, notamment par sondages interposés, qu’ils refuseront de voter Macron au second tour de l’élection présidentielle. Stratégie kamikaze, comme pour mieux décapsuler les cerveaux les plus malades et les plus décidés à se laisser prendre au piège d’un « jusqu’au boutisme » politique mortifère qui, au final, a pour seul et unique dessein de sauver la personne Fillon.

François Fillon veut tenter d’ancrer l’idée dans l’opinion qu’il est un meilleur candidat anti-Le Pen que ne l’est Emmanuel Macron, au risque de provoquer, au second tour de la présidentielle, un mouvement d’abstention massif à droite, voire un vote Le Pen, en mode vote protestataire révolutionnaire.

Le candidat LR prend une lourde responsabilité historique, mais au fond, il n’en a cure. Seul lui importe d’être devant Emmanuel Macron, à n’importe quel prix, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, quitte à faire la courte-échelle, de manière collatérale, à Marine Le Pen, et aider cette dernière à passer la barre des 40% des voix au second tour, ce qui changerait la face de l’histoire de la France. Et, au passage, hypothèquerait l’avenir de la droite elle-même, une fois terminée l’aventure Fillon. Ici se mesure la dangerosité de ce que devient la campagne Fillon, qui paraît désormais engagée dans une fuite en avant de nature à pousser le pays vers un inquiétant univers. Le candidat a eu beau condamner la caricature Macron, c’est bel et bien son équipe de campagne qui l’a inventée. Et cela fait froid dans le dos.

Bruno Roger-Petit

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