L’ancien chef de la rébellion ivoirienne, Guillaume Soro, à qui l’on prête des ambitions présidentielles pour 2020, a démissionné vendredi de son poste de président de l’Assemblée nationale lors d’une session extraordinaire qu’il avait convoquée.
« A cet instant précis, je rends ma démission du poste de Président de l’Assemblée nationale », a annoncé M. Soro, en froid avec le chef de l’Etat Alassane Ouattara. « Refuser de démissionner conduirait à une crise institutionnelle. On ne peut risquer de mettre en péril la paix fragile (…) pour conserver un poste », a-t-il ajouté.
M. Soro a été poussé à la démission par le président Ouattara, après avoir refusé de participer à la mutation fin janvier de la coalition au pouvoir, le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), en un grand parti unifié.
Agé de 46 ans, Guillaume Soro présidait l’Assemblée nationale depuis 2013. Il avait été auparavant le premier chef du gouvernement du président Alassane Ouattara, après son arrivée au pouvoir en 2011.
De 2002 à 2011, il a été le chef de la rébellion qui a contrôlé la moitié nord de la Côte d’Ivoire, pendant la présidence de Laurent Gbagbo. Cette rébellion avait soutenu militairement Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo lors de la crise post-électorale meurtrière de 2010-11, où les deux hommes revendiquaient la victoire à l’élection présidentielle.
M. Soro avait été élu président de l’Assemblée alors qu’il était vice-président du Rassemblement des républicains (RDR), le parti au pouvoir, qui s’est ensuite transformé pour donner naissance au RHDP.
Très discret sur le plan médiatique depuis plusieurs mois, voyageant beaucoup à l’étranger, il est jusqu’à présent resté muet sur ses intentions pour la prochaine présidentielle de 2020.
Alassane Ouattara, 77 ans, élu en 2010 et réélu en 2015, n’a pas dévoilé ses intentions pour l’élection présidentielle de 2020. La Constitution adoptée en 2016 n’autorise pas un troisième mandat, mais il existe une incertitude juridique sur l’application de cette disposition.
M. Soro, qui a été ovationné par une grande partie des députés après son bref discours. Il a quitté l’institution au volant d’une petite voiture personnelle.
Le discours de démission de Soro Guillaume Kigbafori devant le parlement ivoirien
Chers Collègues,
L’heure a sonné !
En effet, le Président de la République, Son Excellence Alassane OUATTARA, et moi-même avons convenu de la convocation d’une session extraordinaire ce jour vendredi 8 février 2019.
Mes chers Collègues,
Quand il est l’heure, il n’est point besoin de long discours. Dans la vie des hommes, voyez-vous, il y a des moments aussi décisifs où il ne tient qu’à soi-même de prendre ses responsabilités. C’est ce que je m’en vais faire tout à l’heure.
Mais avant, permettez-moi d’exprimer le bonheur et la joie que j’ai eus à conduire aux destinées du deuxième pouvoir de l’Etat, le Pouvoir Législatif. Mes deux mandatures ont été parsemées de moments de joies mais aussi d’embuches et de douleurs vives.
C’est pourquoi, à vous, chers Collègues, qui m’avez fait confiance en m’élisant le 9 janvier 2016, je tiens à dire toute ma reconnaissance et ma gratitude.
Tout au long de notre marche commune, j’ai voulu faire de notre Assemblée nationale une famille, certes colorée mais une famille, une vraie famille !
Aussi, en ces heures qui comptent, je veux m’adresser directement à vous ; vous qui m’avez porté un soutien sans faille, en vous demandant de trouver ici l’expression de mes sincères remerciements.
J’ai une pensée pleine de gratitude envers les membres du Bureau de l’Assemblée nationale et tous mes collaborateurs qui m’ont accompagné tout au long de cette exaltante mission. A ceux qui dans l’anonymat et pourtant avec efficacité font vivre notre Institution, je veux parler des chauffeurs, gardes, huissiers, techniciens de surfaces, secrétaires, etc, j’exprime ma particulière sympathie.
Chers Collègues,
Alors, venons-en à l’ordre du jour de notre Session extraordinaire.
En ce mois de janvier 2019, j’ai eu le privilège de plusieurs audiences avec le Président de la République notamment le 5 janvier et le 25 janvier. Il a été question de mon engagement politique et de mon positionnement idéologique vis-à-vis du Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP).
Cette question aussi importante soit-elle a nécessité, de ma part, réflexion et décision. Oui, j’ai choisi de ne pas m’engager au sein du RHDP unifié. Ainsi, je n’ai point pris part au congrès ordinaire du 26 janvier dernier au stade Félix-Houphouët-Boigny. Grave erreur ! Grave faute ! Ont tôt fait de clamer certains de mes compères. Mais voyez-vous je suis homme à croire plus au jugement de l’histoire qu’au jugement des hommes.
En ce qui me concerne, il ne peut être question de défiance mais plutôt du désir d’harmonie entre mes convictions, mes valeurs et ma conscience. Et là-dessus, c’est sans hésitation.
Le fait est que j’étais face à un dilemme :
– soit trahir mes convictions en allant au Congrès pour ainsi dire sauver un poste confortable ;
– soit rendre ma démission de mes fonctions de Président de l’Assemblée nationale et ainsi être capable de me regarder dans une glace.
Y’avait-il une alternative ! Non on ne m’en donnait aucune, absolument aucune.
A l’inverse, refuser de démissionner conduirait immanquablement à la crise institutionnelle déstabilisante avec le cortège de dommages pour la Nation.
Chers Collègues,
L’on ne peut risquer de mettre en péril la paix fragile acquise après tant de souffrance de nos concitoyens. Quand on a été, comme moi, Ministre d’Etat, Premier Ministre, Président de l’Assemblée nationale, c’est une issue inenvisageable.
Chers Collègues,
Ce n’est pas ce que je souhaite pour la Côte d’Ivoire. Moi qui depuis un moment, me suis fait le disciple du pardon, de la réconciliation et de la paix.
Sachez-le Chers collègues,
Je ne suis pas homme à m’accrocher, comme un saprophyte, à un poste. On ne peut risquer la paix parce que l’on veut conserver un poste. N’est-ce pas le Président Feu Félix Houphouët-Boigny qui alléguait qu’ « aucun sacrifice n’est trop grand quand il s’agit de faire la paix pour son pays ». Cette sagesse du Père Fondateur de la Côte d’Ivoire ne m’a jamais quitté l’esprit.
Rassurez-vous, chers Collègues, je demeure serein tout en quittant ce poste aisé de Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire pour l’aventure de mes convictions.
En effet, je préfère descendre de mon piédestal, vivre et partager le quotidien des mes semblables, citoyens ordinaires, que de me complaire dans l’aisance de la posture institutionnelle.
Conviction, le mot est lâché. Je veux que de moi, mes concitoyens, mon épouse, mes enfants, ma famille, mes collaborateurs, mes proches, mes compagnons et je pense ici au Député Alain Lobognon et tous les autres proches en ce moment en prison, retiennent de moi, le souvenir d’un homme de conviction, débout, face aux lendemains mêmes incertains !
Chers Collègues,
A cet instant précis, je rends ma démission de mes fonctions de Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire.
Oui, j’ai décidé de sacrifier mon poste pour la paix pour la Côte d’Ivoire comme je l’ai déjà fait par le passé.
Mesdames et Messieurs,
Chers Collègues,
Me voilà ainsi donc ancien Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Député de la Nation élu dans la circonscription de Ferkessédougou commune et Vice-Président élu de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie.
Chers Collègues,
Je demeurerai avec vous pour continuer à travailler à l’édification d’une Côte d’Ivoire riche et prospère qui repose avant tout, sur un Etat de droit et des bases démocratiques solides.
Je demeurerai avec vous pour continuer le combat du pardon, de la réconciliation et de la paix ; ce combat à mes yeux vaut plus que le poste de Président de l’Assemblée nationale.
Chers Collègues,
Après toutes les épreuves que j’ai traversées et dont vous êtes témoins, j’ai acquis la forte conviction que le destin de chacun d’entre nous appartient à Dieu.
Dieu pourvoira.
Merci encore à chacune et à chacun de vous.
A Bientôt