« De retour du Maroc j’ai noté que la toile était inondée de polémique inutile. Une fois encore je demande à mes proches de refuser les débats futiles. J’avais 29 ans quand pour la première fois j’ai déclaré et assumé la rébellion en CI. J’ai même écrit un livre: »Pourquoi je suis devenu un rebelle. » N’accusez personne (ni Bedié ni Ouattara…. Ne vous laissez pas consumer par la haine, les insultes et les clabauderies. Je suis seul responsable. Ne polluez pas l’environnement des enquêtes.
J’attends de Tous des débats d’apaisement, des tweets de Pardon et de réconciliation. Gardez le cap sur le rassemblement des ivoiriens.
La violence militaire, criminelle ou politique, en zone rebelle, est mal connue et mal documentée, à tel point que certains observateurs, paraphrasant la formule connue en Occident, prétendent que les « observateurs des droits de l’Homme sont au Sud, les crimes de guerre au Nord ». En termes de gouvernance et de définition de la légitimité de la rébellion, de la cohérence de ses pratiques avec son idéologie, le sujet est pourtant crucial.
Le thème de la violence peut cependant se nuancer selon les temps et les lieux : dans sa dimension chronologique, les débuts sont marqués non seulement par la « violence de guerre » contre l’armée ivoirienne, et les autres « corps habillés », mais aussi par des massacres de fonctionnaires et de civils sudistes qui restent à préciser ; puis, par une « épuration ethnique » largement sous-évaluée, notamment de la part de la galaxie humanitaire qui collabore avec la rébellion en zone nord, en particulier dans la ville de Bouaké ; enfin, par un massacre ethnico-factionnel au sein de la rébellion, lors de l’épuration violente par les miliciens de Guillaume Soro – surtout sénoufo, des partisans d’Ibrahim Coulibaly – en grande partie malinké :
« “L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire” (ONUCI) a découvert trois charniers au Nord de la Côte d’Ivoire, dans la région de Korhogo où se sont rendus par deux fois ses enquêteurs chargés des droits de l’Homme et de la police, du 1er au 12 juillet et du 22 au 26 juillet derniers. Avant même la publication de leur rapport, les spécialistes onusiens ont annoncé le 2 août qu’ils avaient pu établir la mise à mort, par balles, décapitation ou asphyxie, de quelque 99 personnes au moins. Les corps ensevelis dans trois sites seraient identifiés comme ceux de victimes des affrontements qui ont opposé dans la métropole nordiste des factions rivales de l’ancienne rébellion du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), les 20 et 21 juin dernier. La victoire était alors revenue à Guillaume Soro, l’actuel chef politique des Forces nouvelles.
Cela n’empêche pas une « violence ordinaire » contre la population autochtone, régulière et sanglante, encore plus mal connue, due en particulier à l’absence de forces de l’ordre de l’appareil militaire rebelle et qui devrait conduire à reposer, comme au Congo, en Ouganda, au Libéria, au Sierra Leone, etc., la question de la criminalisation de ce pouvoir et des sanctions juridiques encourues.
A ce propos, une sorte de scène prototypique pour l’opinion ivoirienne pourrait être celle du massacre gratuit, par un groupe de rebelles, de jeunes filles baoulé exécutant dans un petit village près de Sakassou une danse rituelle d’exorcisme de la violence. Cet épisode mineur, qui a autant touché les imaginations que l’immolation des enfants de gendarmes sudistes de Bouaké, a bien sûr à voir avec la perte d’une certaine innocence du vivre ensemble, du temps des rituels remplacé par celui de la violence pure.
Enfin, ce que l’on a pu appeler la « libéralisation » de l’Ouest conduit à des formes de violence plus anomiques, en tout cas proches de celles observées lors du conflit du Libéria, à tel point que la rébellion elle-même s’est débarrassée de leaders comme le « pseudo Doe » et de groupes nomades enfreignant les pratiques de la rébellion de Bouaké, elle-même pourtant peu regardante sur les exactions contre les civils.D’origine baoulé, N’dri N’Guessan alias sergent Félix Doe, a été tué en avril 2003,
Ainsi on a pu parler d’« épuration ethnique sporadique » sur plusieurs points de la zone rebelle, en particulier dans les territoires proches du Libéria, contre les Guéré en particulier. Il est vrai que cette « libérianisation » du territoire ivoirien reste partagée, puisque les deux camps – loyaliste et rebelle – ont instrumentalisé à la fois des couples d’oppositions ethniques transfrontalières, depuis longtemps sous-jacents (Gyo/Dan vs Wê/Krahns) et des groupes nomades mercenaires, issus des conflits du Libéria et de la Sierra Leone, et en quelque sorte recomposés pour poursuivre leurs carrières guerrières. L’évolution sanglante de l’Ouest a tellement porté tort à l’ensemble de la rébellion, que le « pseudo Doe », leader éphémère de l’inconsistant MPIGO, a vraisemblablement été exécuté par les partisans de Guillaume Soro.
Dans la « capitale rebelle », Bouaké, il semble que les pratiques des groupes militaro-mafieux, de type « Camorra », « Cosa nostra » et autres « Ninja », qu’a connu Abidjan sous la dictature militaire du général Gueï, restent les mêmes. Cela n’étonne aucun analyste, tant il est connu qu’un groupe des « fondateurs » de la rébellion est justement issu de cette mouvance.
Selon une enquête de la Ligue des droits de l’Homme ivoirienne (LIDHO) de février 2003, « environ 80 % des violences sont perpétrées par les rebelles » : il faut bien dire que l’image qu’en donnent les médias français et une certaine recherche politologique ne l’a guère évoqué… Comme nous l’avons signalé, les enquêtes villageoises en particulier restent à faire dans la zone nord. Depuis plusieurs années, les ONG françaises de terrain, telles ACF, remarquent que la violence systématique contre les populations civiles de l’Ouest sont très sous-estimées. Il faut y voir la conjugaison d’incursions libériennes et de pratiques extrêmes, qui échappent en partie au (contre-)pouvoir de Bouaké, avec une criminalisation des forces en présence, aggravée par un système de représailles non seulement interethniques (inter-ivoirien), mais avec les immigrants nordistes au sens large (« dyoula » sahéliens) dans une compétition foncière aiguë.
Vabe Charles : presse -opinion.com