Juillet 2014. Alors que les partisans et sympathisants du Fpi, le parti fondé par Laurent Gbagbo misaient sur la cohésion de ses cadres pour se relancer sur l’échiquier politique trois ans après avoir perdu le pouvoir et à un an de la présidentielle d’octobre 2015, une grave crise s’empara de la formation qui finit par se disloquer en deux tendances que tout oppose. A l’origine une question d’ambition présidentielle de celui qui était depuis 2001 le président statutaire du parti d’obédience socialiste.
Alors que pour les uns il était inutile de parler de participation à une quelconque élection tant que Gbagbo demeurait prisonnier de la communauté internationale, les autres, conduits par Pascal Affi N’guessan estimaient que le parti à la rose avait sa carte à jouer et pour rien au monde, en tant que parti d’élection, il ne devrait s’exclure de ce rendez-vous électoral. Dans la foulée Affi décide de réaménager le secrétariat général en excluant tous ceux qui s’opposaient à sa vision du monde. Des anciens tels Jean Baptiste Gnahoré voyant venir le danger tentent dès lors une médiation qui aboutit à une nouvelle mouture du secrétariat général comprenant les proches d’Affi et ceux qui avaient été débarqués. Un congrès est recommandé pour clore définitivement la crise. Jamais ce congrès n’eut lieu et la crise s’enlisa. Au lieu d’un congrès unitaire, c’est finalement deux congrès qui se tiennent à des dates différentes dont l’un à Mama le 30 avril 2015, le village de Gbagbo. La rupture est désormais consommée et le recours à la justice par Affi N’guessan pour essayer de contrarier ses ex-camarades ne produira pas les effets escomptés. Jusqu’à ce jour, une décision de la Cour d’appel est toujours attendue pour trancher entre Affi et le camp Sangaré qui se disputent les symboles du parti (sigle et logo).
En 2015, Pascal Affi N’guessan participe effectivement comme il le voulait à la présidentielle de 2015. Il est sanctionné par un piètre score de 9% dans un scrutin boudé en réalité par la majorité des électeurs ivoiriens. Il en sort avec une image écornée, son honneur et son prestige d’antan perdus. Comme lot de consolation, il remporte le siège de député de Bongouanou au cours des législatives de l’année suivante où sa branche du Fpi ne récolte que trois sièges.
En 2017, les deux Fpi sont à la croisée des chemins, à quelque trois ans de la future présidentielle de 2020. Entre se réconcilier pour y aller en bloc unique et poursuivre dans la belligérance, il y a bien un choix à faire. Le contexte a changé. Le camp au pouvoir qui n’a cessé de multiplier les brimades contre les frontistes ces dernières années est gagné par des convulsions internes mettant en mal sa cohésion rageuse d’autrefois. Le Rhdp ne fait plus rêver et le torchon brûle entre le Pdci et le Rdr d’un côté et de l’autre entre le Rdr et Guillaume Soro, l’ex-chef rebelle à qui le Rdr doit son arrivée au pouvoir.
« La bataille entre nous est finie »
De quoi donner des idées au Fpi, du moins au camp Affi qui estime qu’il y a là une occasion en or de bouter hors du pouvoir les houphouetistes à la future présidentielle. Lors du secrétariat général qu’il a tenu le samedi 29 juillet 2017, Affi et ses camarades ont donné un signal fort en décidant du report d’un nouveau congrès qui était prévu pour le 12 aout prochain. Officiellement, selon les propos d’Affi N’guessan lui-même, il s’agit de donner une chance à la réconciliation de la grande famille du Fpi. « Toute chose a une fin. La bataille entre nous est finie. Nous sommes au bout du processus », a déclaré Affi N’guessan devant les cadres de son parti samedi. Dans les colonnes de Notre Voie, le quotidien qui lui est proche, il ajoute : « je crois que le moment de se réconcilier et de se rassembler est arrivé pour le Fpi. Donc je compte sur tous nos camarades qui sont aujourd’hui de l’autre côté, à commencer par le vice-président Abou Drahamane Sangaré pour qu’une chance soit donnée à l’unité du Fpi dans l’intérêt de la lutte et de notre pays ». Affi révèle, en se gardant de citer des noms, que de hautes personnalités dignes de confiance ont dû peser dans sa décision de reporter le congrès. Il dit comprendre l’attitude de ses camarades qu’il qualifie d’’’attitude de crise’’ mais qui n’empêchera pas la réconciliation de se faire. Déjà en 2016, peu avant les législatives, une initiative d’Affi visant la réconciliation s’était heurtée à une fin de non-recevoir du camp Sangaré qui trouvait la démarche éhontée et intéressée.
Du pain sur la planche
Depuis qu’il a fait son annonce, l’appel du pied d’Affi à ses anciens camarades est loin de les attendrir. Sur la toile, le débat est animé toujours par les radicaux des deux camps. Dans le camp Sangaré, aucune réaction officielle n’a été enregistrée pour l’instant. Le fossé s’est tellement agrandi entre les deux camps qu’une démarche de réconciliation relève aujourd’hui d’une aventure onirique. Dans l’entendement des pro-Sangaré, Affi N’guessan n’est plus du Fpi. Il en est exclu depuis le congrès de Mama et ses résolutions sont non négociables jusqu’à un nouveau congrès qui ne peut se tenir avant avril 2018. La situation parait donc mal aisée et les habitudes acquises auront du mal à se défaire à court terme. Comment d’un côté comme de l’autre, certains accepteraient-ils de perdre leur poste qu’ils tiennent depuis la rupture pour se fondre dans un Fpi unifié ? Difficile équation d’autant plus qu’Affi qui porte l’offre de réconciliation reste lui-même flou sur les contours de sa démarche. Est-il disposé à accepter de revenir au secrétariat général d’avant la crise et de remettre en jeu son fauteuil dans le cadre d’un congrès de l’unité ? Si cette idée a fait son chemin un temps, Affi la conditionnait à la non candidature de Gbagbo. Or c’est là toute la difficulté de cette équation à plusieurs inconnues. Affi peut-il accepter de s’effacer au nom de l’unité du parti ? Sangaré peut-il abandonner l’idée selon laquelle il assure l’intérim de Gbagbo à la tête du parti et tendre la main à Affi N’guessan ? Bien malin qui tranchera. Et c’est ici que le médiateur annoncé Emmanuel Acka, ancien ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Ghana aura à faire valoir sa science pour concilier l’inconciliable.
L’équation Nady Bamba and co
Cette crise qui secoue le Fpi depuis 2014 est aussi celle des mains invisibles qui tirent les ficelles et les bénéfices. C’est d’abord une guerre pour le contrôle du parti comme cela se passe partout ailleurs dans les grands partis de pouvoir. Depuis les débuts, des proches d’Affi N’guessan trouvent en Nady Bamba, la seconde épouse de Laurent Gbagbo la principale instigatrice. Elle serait, selon eux, celle qui manipule Gbagbo contre les intérêts de leur champion. Et toujours pour eux, la ligne anti-Affi adoptée par ses journaux (Le Temps et Lg info) en est une preuve palpable. Argument intenable selon un journaliste proche du groupe Cyclone qui soutient que Nady n’a jamais donné des ordres pour infléchir la ligne éditoriale qui du reste demeure dans la défense des intérêts de Gbagbo comme à l’origine. Affi N’guessan a-t-il fait la paix avec Nady pour vouloir relever le défi de la réunification ? Hormis Nady Bamba, toute question touchant le Fpi devrait aussi prendre en compte sa représentation en exil, restée loyale à Gbagbo. Au Ghana comme ailleurs, la posture d’Affi N’guessan a été décriée par ses camarades qui le soupçonnaient de vouloir ‘’tourner la page Gbagbo’’. Tenter le pari d’une réunification du Fpi sans aborder en prime ces questions de fond que sont la ligne idéologique, la place de Gbagbo et des pionniers, la libération des prisonniers dont Simone Gbagbo, relève selon certains commentateurs d’une vaine œuvre.
Or il va falloir un jour que l’ancien parti au pouvoir se regarde dans le miroir, fasse son autocritique afin de sortir de cette mauvaise passe qui le compromet à tout point de vue pour les futures échéances. Comment des gens qui ne peuvent se réconcilier entre eux-mêmes réconcilieraient-ils les Ivoiriens ? Engager la paix des braves et montrer aux yeux du monde qu’il est capable de régler ses contradictions internes, même les plus graves. C’est à ce prix que le parti créé par Gbagbo peut rallumer sa flamme et tenter de réincarner l’espoir de ses militants.
SD à Abidjan
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