Né le 16 novembre 1928 à Grand-Lahou, Léon Konan Koffi a intégré l’Administration ivoirienne dès l’âge de 20 ans, en 1948.
Ainsi, l’administrateur civil débute sa carrière en tant que sous-préfet de Bingerville, puis de Gagnoa avant d’être nommé premier préfet de Gagnoa (1970-1974) puis de Bouaké (1974-1981). De 1981 à 1990, Léon Konan Koffi est nommé ministre de l’Intérieur dans plusieurs gouvernements de Félix Houphouët-Boigny, avant de devenir ministre de la Défense à partir 1990. Un poste qu’il occupe jusqu’au décès du père de la Côte d’Ivoire en 1993.
AIP
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Commentaire
Prise dans le feu de l’actualité du CFA, cette nouvelle est passée inaperçue : la disparition à l’âge de 89 ans, de Léon Konan Koffi, grand serviteur de l’Etat Ivoirien.
Préfet de Gagnoa, en 1970, au moment des événements dits du Guébié, il sera ensuite Ministre de l’Intérieur puis Ministre de la défense. A la famille de cet acteur clé de notre histoire post-indépendance, nous exprimons notre sincère compassion.
Pour mémoire, la lettte qu’adressa Léon Konan Koffi, Préfet de Gagnoa, au lendemain de l’arrestation de Christophe Kragbé Gnagbé, accusé de rébellion et dont on ne retrouva jamais la trace. La lettre disait pourtant : « Opadjlé a opté pour la vie en descendant de l’arbre, les bras levés, après avoir jeté la machette », mais aussi : « Le bété est né contestataire et impulsif. Il suffit d’un rien pour qu’il manifeste. Chaque fois qu’on peut éviter de lui en donner l’occasion, il serait souhaitable de le faire pour préserver la paix et la tranquillité » (Josué Guébo)
« A
Monsieur le Ministre de l’Intérieur
Abidjan
J’ai l’honneur de vous informer que Kragbé Gnagbé Opadjlé a été arrêté le 24 novembre 1970, à 11 heures, à Dodougnacobouo, canton Guébié, village situé à 5 km de l’axe Gagnoa-Abidjan, sur la route conduisant à Gaba.
Cette arrestation fait suite à une information reçue la veille et que les autorités administratives et militaires n’ont pas hésité un instant à exploiter. Les auteurs de cette importante information sont originaires du village ci-dessus nommé.
En même temps que Opadjlé a été capturé, Dazoa Gaston, tailleur résidant à Abidjan et qui a rejoint Gnagbé dans la journée du 25 octobre pour être damnée de Gnagbé, le compagnon qui se trouve toujours aux côtés de Opadjlé chaque fois que ce dernier est arrêté.
Lorsque la nouvelle est parvenue que le Chancelier de l’Etat d’Eburnie n’avait pas quitté la région et qu’l se cachait dans une retraite faite de branchage de palme entourée d’épines dans la brousse de Dodougnacoubouo, les autorités militaires ont ordonné immédiatement le bouclage et le ratissage de la zone indiquée.
Ces opérations ont donné les fruits que nous connaissons, à savoir la capture de Gnagbé qui, las de fuir, est monté dans un arbre, tenant une machette à la main.
Sommé de se rendre sinon il serait abattu, Opadjlé a opté pour la vie en descendant de l’arbre, les bras levés, après avoir jeté la machette. Il a aussitôt été capturé par les éléments de la 2è compagnie du 1er bataillon sous le commandement du Lieutenant SERY.
La nouvelle de cette arrestation s’est répandue comme une traînée de poudre et toute la population de Gagnoa s’est rendue, une partie à la résidence du Préfet, l’autre partie au PC des colonels pour découvrir le commandant en chef de l’armée nationaliste populaire.
L’affluence était telle que les autorités militaires et administratives n’ont pas jugé utile de satisfaire la curiosité de cette population : rendez-vous a été fixé au lendemain matin devant les bureaux de la sous-préfecture.
Le 25 novembre, dès 6 heures, le monde se pressait aux abords du bâtiment de la sous-préfecture. Enfants des écoles, agents de l’administration et du secteur privé, commerçants, tous ceux qui pouvaient se déplacer étaient au rendez-vous pour satisfaire leur curiosité. Lorsqu’à 9 heures Gnagbé est apparu au milieu de cette foule impatiente, c’est par des huées et des insultes qu’il a été accueilli.
Dans le village de Tipadipa, Dodougnacobouo, Gaba, Olibribouo, Kragbalilié et Sérikpalilié relevant des cantons Zabia, Paccolo et Guébié où il a été également présenté aux populations dans la même journée du 25, les réactions ont été les mêmes qu’à Gagnoa.
Mais ces réactions ont été autres lorsque nous nous sommes trouvés dans la sous-préfecture de Ouragahio avec Gnagbé. A Kpepékou, à Ouragahio, à Zahibohio, il y a eu affluence, mais c’est avec une froideur suprême que nous avons été accueillis.
Cette attitude nous a donné à réfléchir, elle nous a fait comprendre que nous faisons la propagande de Gnagbé, car, sur les visages, on lisait une certaine tristesse, une certaine sympathie, une certaine compassion. Nous avons donc suspendu cette tournée de présentation.
Cette réaction passive de la population de Ouragahio est la réaction du Bété en général, qu’il soit du Zédi, du Nékédi du Gbadi, du Niabré, du Dri ou des cantons ayant pris part directement au mouvement.
Car l’attitude hostile des populations du Paccolo, du Zabia et du Guébié à l’égard de Gnagbé vient du fait qu’elles ont été victimes de quelques brimades qui semblent les avoir assagies, du moins pour le temps que les troupes bivouaquent encore dans leurs villages.
Ceci pour dire que l’atmosphère n’est pas assainie malgré la capture de GNAGBE, si le chef et quelques comparses ont été pris, certains lieutenants sont encore en fuite et les sympathisants intellectuels ne sont toujours pas démaqués et demeurent dans l’ombre. Ceux-là peuvent être tentés un jour de revenir à la charge.
Pour éviter à l’avenir la répétition des actes séditieux et crapuleux des 26 et 27 octobre1970, certaines précautions et dispositions s’imposent qui doivent être envisagées dans l’immédiat. A ce propos, je me permets de vous faire des suggestions suivantes :
1- envisager l’installation à Gagnoa d’une importante unité de l’armée (une Compagnie renforcée) et d’une unité de la gendarmerie autre que l’habituelle brigade. Ces différentes forces, en même temps qu’elles constituent des facteurs de dissuasion interviendront radicalement et efficacement pour étouffer dans l’œuf les quelques velléités de subversions qui animent encore l’homme du coin et qui tenteraient de se montrer au grand jour.
2- doter les autorités administratives de moyens leur permettant la collecte de renseignements aussi bien au niveau des villes qu’à l’échelon des villages ou des campements de cultures. En effet, la malheureuse situation que nous vivons à Gagnoa est due en partie à un manque d’informations ou plus exactement d’informations de valeurs. Ceci vient du fait que les autorités administratives ne disposent d’aucun moyen pour s’attacher les services d’informateurs dévoués, sincères et discrets. Une décision en faveur de cette suggestion serait certainement la bienvenue.
3- envisager l’augmentation du nombre des agents de sûreté dans les sous-préfectures où les moyens de communications, d’interventions et de défense sont insuffisants ou inexistants. Un armement sommaire pour ces agents ne serait pas superflu. En effet, bien que leur rôle ait été réduit à la surveillance des bureaux, ils pourraient, dans certaines circonstances, mettre leur qualité d’anciens militaires à profit en aidant les gendarmes à maintenir l’ordre en attendant l’arrivée de renfort, si cela devait s’avérer nécessaire. D’ailleurs, même en retenant seulement leurs attributions premières, on conçoit mal une surveillance ou un gardiennage sans arme.
4- mettre à la disposition des autorités préfectorales des moyens de communications rapides leur permettant d’appeler des secours à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit car en l’état actuel des choses, ces agents de l’Etat et leurs familles sont exposés à tous les dangers sans la moindre possibilité de défense, surtout ceux des sous-préfectures de 2è et 3è classes.
Je réalise pleinement l’importance des charges financières que vont entraîner la mise en place de toutes ces dispositions, certes onéreuses, mais indispensables, car l’efficacité de l’administration est à ce prix et la sécurité des responsables administratifs et politiques et la survie de l’Etat en dépendent.
Après cette digression qu’il fallait faire, il convient de revenir à notre centre d’intérêt, Opadjlé.
Le jour de la capture, le cynique Gnagbé a remis aux militaires qui l’ont pris une lettre à l’adresse du Président de la République pour solliciter une fois de plus clémence, après toutes les horreurs qui ont été commises sur son instigation.
Cela ne surprend pas si l’on s’attarde quelque peu sur certains passages des livres retrouvés dans sa cachette et notamment Les 12 apôtres d’Hitler de O. DUTCH, que Gnagbé a pris soin de souligner et qui caractérisent l’individu.
Ainsi, nous lirons dans le paragraphe consacré à l’Apôtres Goebbels : Le mensonge est une arme de combat bienvenue, il suffit de s’en servir adroitement pour influencer les anges.
Dans son livre MEIN KEMPF, il écrit que le mensonge à forte dose, a au bout d’un certain temps, le même effet que la vérité.
Nous lisons plus loin, s’agissant du même Apôtre qui semble être le modèle du Chancelier, ceci : j’agiterai devant le tribunal mon vieux principe : attaquer, avant que l’adversaire ait même eu le temps de se retourner, le pousser dans la défensive et frapper dessus, frapper jusqu’à ce qu’il perde pied.
Puis ceci : réfléchir et calculer en jetant la lance pour frapper l’ennemi dans sa chair, puis ensuite en souriant. Excusez, Monsieur, je ne puis faire autrement ! Cela c’est le plat de la vengeance que l’on mange froid.
Ces quelques citations ont peint pour nous l’individu qui se présente sous une apparence symbolique et bon enfant. Un brutal sans scrupule, un sanguinaire, un menteur, tels sont les traits caractéristiques de l’homme qui confesse volontiers être habité par le virus de la subversion, arme qui doit lui permettre de détruire le régime établi à partir de Gagnoa et instituer un ordre nouveau qui doit favoriser son accession à une responsabilité politique, car c’est là son ambition de toujours.
C’est parce que le régime actuel n’entend pas satisfaire cette ambition que Opadjlé, selon ses déclarations, a décidé d’attirer l’attention des responsables sur lui en troublant l’ordre et en versant le sang. Cela fait partie des méthodes nazi et fasciste qu’il a assimilées mais qu’il rend mal.
Gnagbé qui a été remis le jour de son arrestation entre les mains de la gendarmerie, se réjouit de sa capture car, après avoir erré pendant près d’un mois dans la brousse, abandonné par ceux-là mêmes qui, selon lui, l’ont poussé à agir, il était à bout de force et craignait de se faire abattre par les militaires qui patrouillaient dans la région. Il semble être soulagé parce qu’il est certain qu’une fois encore le Chef de l’Etat va se montrer clément à son égard.
Ce qui est non moins certain, c’est que Gnagbé ne regrette nullement son acte qu’il considère normal, car, pour lui, la création d’un parti fait toujours couler le sang. Et de citer l’exemple de Dimbokro et de Bouaflé au moment de la création du PDCI. Aussi, est-ce avec beaucoup de suffisance et une certaine désinvolture qu’il s’adresse à ses interlocuteurs ou répond aux questions qui lui sont posées.
Gnagbé est pris certes, mais nous ne sommes pas pour autant au bout de nos difficultés car un problème demeure, celui des forêts, qui a permis à Opadjlé de recruter facilement ses adeptes dans le milieu paysan. En effet, ce problème préoccupe tous les paysans de la région et j’ose affirmer que l’insurrection ne se serait pas arrêtée au niveau du Guébié et du Paccolo mais aurait gagné tout le département si les éléments de l’armée étaient arrivés 24 heures plus tard.
Le problème n’aurait plus été un problème bété, car le terrain choisi intéressait tous les paysans bété. Il importe donc d’étudier sérieusement cette question et de lui trouver une solution qui satisfasse tout le monde car aussi longtemps qu’elle restera en suspens ou que le statu quo sera maintenu, nous courons de sérieux dangers.
Le bété est né contestataire et impulsif. Il suffit d’un rien pour qu’il manifeste. Chaque fois qu’on peut éviter de lui en donner l’occasion, il serait souhaitable de le faire pour préserver la paix et la tranquillité si nécessaire à notre pays pour poursuivre son action en faveur du développement déjà si bien parti.
Léon Konan KOFFI
Administrateur civil »
Source:« Le Nouvel Horizon » N° 209 du 16 septembre 1994