Décédé le 12 février, Jean-Jacques Béchio a été inhumé le 3 mars au cimetière de Williamsville (Abidjan). La vie malheureusement trop brève de ce diplomate de carrière, ancien ministre de la Fonction publique, ancien ambassadeur représentant permanent de la Côte d’Ivoire auprès de l’Organisation des Nations Unies et, néanmoins patriote sincère, mérite de retenir l’attention de tous ceux qui résistent ou qui résisteront à l’état de fait qui nous fut imposé en 2011 ; état de fait que cet homme de qualité n’a eu de cesse de dénoncer jusqu’à sa mort. Notre collaborateur Marcel Amondji, qui le connaissait de nom depuis 1983 et qui l’avait redécouvert avec émerveillement pendant la « crise postélectorale », l’a rencontré en juin dernier dans son village natal, Anono, où résidait aussi l’ancien ministre. Il nous livre ici ses impressions.
RENCONTRES AVEC UN HOMME D’ÉTAT À LA VOCATION CONTRARIÉE
J’écris « rencontres » mais, à la vérité, je n’ai vu Jean-Jacques Béchio en chair et en os qu’une seule et unique fois. C’était, il y a neuf mois environ, lorsque je me trouvais à Anono pour les obsèques de ma sœur aînée. Ayant appris qu’il s’y trouvait aussi à ce moment-là, je lui fis dire que je désirais faire sa connaissance. Il accepta de me recevoir et, un soir de juin 2017 (je ne me rappelle plus la date précise), la rencontre eut lieu dans la modeste maison de sa mère, où il résidait.
Une seule fois, dis-je, et pourtant ce n’est point mentir que de parler de « rencontres » au pluriel.
Mon intérêt pour J.J. Béchio remonte à 1983, l’année où il fut appelé au gouvernement avec un certain nombre d’autres anciens dirigeants d’un mouvement estudiantin, le MEECI (Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire), inféodé au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), alors parti unique. Ce fut, si je puis dire, notre toute première rencontre. La lecture de l’interview qu’il avait donnée à « Fraternité Hebdo » quelques jours après sa prise de fonction comme ministre de la Fonction publique en avait fourni l’occasion. J’en étais sorti avec des sentiments fort ambigus, que j’avais résumés dans cette formule laconique inscrite à la marge de la coupure que j’en ai conservée : « Voici venue l’ère des hommes à tout faire… (et même le reste) ! ». Aujourd’hui, cette réaction me paraît totalement infondée, et même injuste, s’agissant d’un homme comme J.J. Béchio.
Mon repentir date de ce jour de décembre 2010 où, à la télévision, l’ancien « meeciste », l’ancien ministre de Félix Houphouët, l’ancien compagnon d’Alassane Ouattara, qui avait dû s’exiler au début du mandat de Laurent Gbagbo après avoir été soupçonné de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat (complot dit de la cabine téléphonique), et qui n’était revenu de cet exil qu’en 2007, se révéla soudain comme l’un des plus éloquents défenseurs de Laurent Gbagbo lors de la crise consécutive au scrutin présidentiel de 2010.[1] Mais ce qui me fit changer d’avis sur lui, ce n’était pas seulement de le voir sur une position si totalement semblable à la mienne en l’occurrence, mais la force et la qualité de son argumentation, la première, me semblait-il, à être vraiment à la hauteur non seulement des circonstances dramatiques du moment, mais aussi des véritables enjeux de ce tournant dramatique de notre histoire. Bref, c’est de ce jour-là que date ma conviction que J.J. Béchio avait en lui tout ce qu’il faut pour faire un authentique homme d’Etat.
Il y a dans ce pays beaucoup d’hommes politiques ou qui se disent tels ; ils formeraient même une classe à part, la « classe politique ivoirienne ». Mais, parmi eux – y compris ceux qui exercent ou ont exercé les plus hautes fonctions, Houphouët y compris –, combien sont vraiment dignes du label « homme d’Etat » ? Pour ma part je n’en ai encore vu qu’un seul, c’est celui qui le soir du 13 décembre 2010, alors qu’il ne pouvait pas ignorer qu’une épée de Damoclès pendait au-dessus de sa tête, affirmait tranquillement : « Il faut que les Ivoiriens comprennent que leur pays ne sera rien d’autre que ce qu’ils voudront qu’il soit. Nous sommes dans un monde ouvert et nous devons coopérer avec tout le monde. Mais ceux qui pensent que la coopération avec eux doit s’assimiler à l’esclavagisme, nous devons clairement leur dire non, non et non ! ». Ce fier et courageux citoyen qui, en toute conscience, se vouait ainsi lui-même à la haine et à la vindicte de ceux qui déjà fourbissaient leurs armes en vue de nous maintenir coûte que coûte sous leur joug, c’était Jean-Jacques Béchio. Et – nous en fûmes tous témoins le 11 avril 2011 – il ne tarda pas à le payer au prix fort ! Nous vîmes comment, ce jour-là, depuis la résidence en ruines du président Gbagbo, à coups de poings, à coups de savates, il fut traîné tout en sang, pantelant et presque nu, jusqu’à l’hôtel du Golf où régnaient les favoris de Nicolas Sarkozy et de Ban Ki-Moon.
Qu’est-ce en effet qu’un homme d’Etat ? Jean Serisé se le représente comme un homme politique qui ne s’enrichit pas grâce à sa situation, qui assimile rapidement les faits, qui sait s’adapter aux circonstances et s’élever au-dessus des événements, et qui creuse sa propre tombe ! « L’homme d’Etat, précise-t-il à ce propos, prend sans y être contraint des décisions dont il sait qu’elles le conduiront à sa perte. Il lui est impossible de faire autre chose que ce qu’il croit devoir faire ». Ce que le général de Gaulle – « l’homme du 18-Juin 1940 », que le régime de trahison nationale du maréchal Pétain condamna à mort –, exprime par ce raccourci lapidaire : « Un homme capable de prendre des risques ». A le relire aujourd’hui, l’intrépide risque-tout que je découvris un soir de décembre 2010 était déjà tout entier dans le jeune ministre de la Fonction publique interviewé par Fraternité Hebdo fin décembre 1983. Mais pourquoi alors ne l’avais-je pas reconnu ? C’est parce que je savais trop bien que sous le triumvirat Belkiri-Nairay-Houphouët, de tels propos dans la bouche d’un Ivoirien, fût-il ministre, ne pouvaient être que coups d’épée dans l’eau ou poudre aux yeux. J’en conclus donc que soit cet ancien meeciste qui faisait semblant de croire qu’on le laisserait faire ce qu’il disait se trompait de bonne foi, soit il nous « blaguait » seulement, en toute connaissance de cause. Et, d’emblée, je le classai comme l’un de ces « mangécrates » à la fois cyniques et naïfs qui grouillaient alors aux marges du régime fantoche. Et je l’oubliai… Jusqu’à ce 13 décembre 2010 !
Béchio avait été sans discontinuer ministre de la Fonction publique de 1983 à 1990 et, lorsqu’il avait quitté cette place, la Fonction publique ivoirienne n’était certainement pas moins corrompue que le jour où un ministre novice se faisait fort de la purifier de ses tares. J’ignore ce qu’il fit ou tenta de faire concrètement durant ses sept années de présence continue dans le gouvernement et au même poste mais, quoi qu’il ait pu tenter, dans les conditions de l’houphouétisme triomphant, comment aurait-il pu changer la situation dont il avait hérité ? Aussi bien n’était-ce pas pour éradiquer la corruption qu’on l’avait appelé à ce poste mais seulement pour faire croire au bon peuple qu’on voulait sincèrement associer des jeunes diplômés au gouvernement du pays. Mais de là à les laisser gouverner pour de bon, non seulement Houphouët n’y pensait pas mais cela était simplement impossible, pour la bonne raison que c’était une activité qu’il avait totalement abandonnée à ses soi-disant « conseillers », dont aucun – absolument aucun ! – n’était un natif de la Côte d’Ivoire. Et puis, s’il faut en croire Jacques Baulin, l’un de ces « conseillers » alors spécialement chargé de créer et de cornaquer une association d’étudiants collabos, le Mouvement des étudiants de l’Organisation commune africaine et malgache (MEOCAM) destiné à faire contrepoids à la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), la lutte contre la corruption était le cadet des soucis d’Houphouët. A preuve, un jour que son « conseiller » était venu l’informer de la propension des dirigeants du MEOCAM à se remplir les poches plutôt qu’à faire bénéficier l’ensemble de leurs camarades des fonds mis à leur disposition par le gouvernement, au lieu « des sanctions non seulement disciplinaires, mais pénales » auxquelles il s’attendait, Houphouët lui aurait dit le plus tranquillement du monde : « Et après ? Vous croyez que je me fie à leur honnêteté ? Mais je préfère qu’ils prennent mon argent, plutôt que celui des autres. Comprenez, ils nous font gagner du temps, ils nous sont utiles… ».[2]
Certes, le natif de Memni avait l’étoffe d’un homme d’Etat et, manifestement, il en avait aussi la vocation, voire l’ambition. Toutes les occasions où on peut le voir et l’entendre sur la Toile depuis la « crise postélectorale » nous montrent un citoyen d’une extraordinaire constance dans ses convictions et dans ses paroles ; un homme toujours fidèle à lui-même tel qu’il m’était apparu ce soir de décembre 2010. Or c’est néanmoins ce soir-là seulement, la veille pour ainsi dire de la catastrophe qui allait s’abattre sur notre patrie quatre mois plus tard, que l’homme d’Etat qui était en lui aura pu se révéler.
Pour que s’opère la métamorphose, il aura fallu que Béchio vive au plus près de l’œil du cyclone dévastateur qui balaya notre malheureuse patrie durant les derniers mois de 2010 et les premiers de 2011. Avant, dans le douillet confort des faux semblants de l’houphouétisme triomphant et légendaire, c’était juste impossible et, même, impensable…
Lors de notre rencontre, Béchio ne parla que de ce qu’il devait à Houphouët. Moi j’y étais venu – pourquoi m’en cacherais-je désormais – avec l’espoir de rencontrer quelqu’un qui, après ce qu’il avait vécu, aurait connu son chemin de Damas… Mais, dès l’abord, Béchio désarma toutes mes attentes en ramenant sans cesse la conversation dans ces temps d’avant auxquels, selon moi, le nom d’Houphouët est pourtant si honteusement attaché et d’où s’originent toutes nos misères.
Si paradoxale que puisse paraître cette fidélité à la mémoire d’Houphouët, il faut pourtant la mettre aussi à l’actif de Béchio. Après tout, nous savons qu’il y a plusieurs sortes d’houphouétistes. Au moins, autant que le vrai personnage d’Houphouët avait de facettes… Toutes ne sont pas méprisables.
Je ne puis cacher que je sortis de cette rencontre avec le sentiment oppressant que la flamme qui animait ce citoyen, et que j’admirais tant, s’était éteinte en lui. Etait-ce parce que, désespéré, il s’était volontairement retiré de la scène publique d’un pays où les citoyens honnêtes ne semblent plus avoir leur place ? Ou bien, était-il déjà atteint du mal qui devait l’emporter ? Et, bien sûr, on ne peut pas exclure que c’était parce qu’il ne voulait pas se confier à quelqu’un qu’il ne connaissait pas et dont il ignorait les motifs de l’intérêt qu’il disait porter à sa personne. Mais qu’est-ce qu’un homme comme Jean-Jacques Béchio pouvait encore craindre après tout ce qu’il avait déjà subi à cause de ce qu’il pensait, de ce qu’il disait et de ce qu’il était ?
Combien de telles graines de citoyens de qualité Houphouët gaspilla ainsi par sa lâcheté et par sa duplicité ? Par sa lâcheté, pour s’être si totalement abandonné à la volonté de nos ennemis ; par sa duplicité avec laquelle il a capté la confiance de nos concitoyens pour les persuader qu’il n’a jamais désiré que de faire leur bonheur !
Le destin de feu Jean-Jacques Béchio en est peut-être la plus belle illustration.
Marcel Amondji
« J’ai choisi volontairement la voie de la sagesse : celle du bonheur de l’Homme ivoirien ».
L’interview de J.-J. Béchio dans Fraternité Hebdo du 29.XII.1983
Depuis le dernier remaniement du 18 novembre 1983, le nouveau gouvernement de la Côte d’Ivoire comprend 28 membres. M. Jean Jacques Béchio est le plus jeune ministre ivoirien. Il est âgé de 34 ans. Comme plusieurs membres du nouveau gouvernement, c’est un ancien meeciste.
Dans un petit bureau du 19e étage de l’Immeuble « Alpha 2000 », l’ancien secrétaire général de la Réforme administrative nous a accueillis sans aucune note protocolaire. D’une simplicité exemplaire, le nouveau ministre a répondu à toutes nos questions. Les réponses du ministre sont claires. Il veut travailler tout simplement dans le sens des directives du Chef de l’Etat, c’est-à-dire : la fermeté, la rigueur, mais dans la souplesse.
M. Béchio entend non seulement réformer les programmes de la Fonction Publique, mais il espère aussi réformer la mentalité des fonctionnaires ivoiriens. Car, estime-t-il, « l’administrateur ivoirien doit être un administrateur idéal, parfait et exemplaire ». Pour ce faire, le ministre de la Fonction publique veut inculquer aux futurs administrateurs toutes les règles qui doivent aider pour être un bon administrateur. C’est-à-dire : les règles d’austérité, d’intégrité, de civisme, etc…».
F.H. : M. le ministre, depuis le remaniement du 18 novembre dernier, vous êtes le plus jeune ministre en Côte d’Ivoire. Comme plusieurs membres du gouvernement, vous avez fait votre entrée en politique par le MEECI, où vous avez été secrétaire général de 1973 à 1975. Vous êtes donc un exemple de cette promotion des jeunes voulue par le chef de l’Etat. Pouvez-vous donc, après nous avoir parlé davantage de vous (vos origines, vos études, votre carrière et votre famille), nous dire comment s’est passé votre entrée en militantisme et quelles en étaient les motivations profondes ?
— Je suis né le 22 août 1949 à Grand-Bassam. Je suis originaire de la sous-préfecture d’Alépé, plus précisément du village de Memni. Mon père s’appelle Kadio Jean-René ; il est né en 1917. C’est un ancien commis du Trésor d’Abidjan ; il est aujourd’hui à la retraite depuis 1970 et vit à Anono. Ma mère s’appelle Séka Sophie Germaine ; elle est née en 1927. C’est une ménagère.
Je suis issu d’une famille de treize enfants ; deux sont décédés ; nous sommes aujourd’hui restés onze, six filles et cinq garçons. Je suis catholique.
J’ai fait mes études primaires à l’école primaire publique « Habitat », à Adzopé. J’ai ensuite fréquenté le collège d’orientation de Treichville de la 6e à la 3e. De la seconde à la terminale au lycée classique d’Abidjan et puis ce fut l’université d’Abidjan où j’ai fait des études de droit public, option carrière publique. Et après cette licence, je suis entré à l’Ecole nationale d’Administration. J’ai été major de promotion à l’entrée comme à la sortie. C’est ce qui m’aura valu d’ailleurs par la suite d’être pris comme chef de cabinet par le ministre Boguinard. Après l’ENA je suis allé en stage au Quai d’Orsay à Paris, à l’OCDE, à l’UNESCO. Ensuite je suis allé à l’ambassade de France au Pakistan pour mon stage de diplomate. J’ai profité de mon séjour pour aller en Afghanistan et remonter jusqu’à la frontière russe pour voir un peu de paysage. Après ce stage, je suis rentré au pays, où j’ai travaillé au ministère des Affaires étrangères pendant un mois et demi, jusqu’au remaniement de février 1981. Et c’est à l’occasion de ce remaniement que M. Boguinard, qui était directeur de l’ENA, est devenu ministre de la Fonction publique et, comme je vous le disais, il a fait appel à moi pour être son chef de cabinet. Je suis donc resté dans mes nouvelles fonctions jusqu’au mois de février 1978. Et c’est alors que le ministre des Affaires Etrangères m’a demandé, puisque je suis diplomate de carrière, de partir à Téhéran pour aider l’ambassadeur Nouama à ouvrir notre représentation en Iran. J’y suis resté jusqu’en février 1979. De retour à Abidjan, je suis resté onze mois conseiller technique du ministre des Affaires étrangères. Et puis, un jour, le ministre Kéi Boguinard m’a demandé de revenir à la Fonction publique pour m’occuper, cette fois, du Secrétariat général de la Réforme Administrative, jusqu’à ma nomination le 18 novembre dernier.
Je suis marié, père de trois enfants, dont deux garçons et une fille, qui est née le lendemain même de ma nomination. Et il paraît que ça porte bonheur.
Ainsi que vous le disiez, comme certains membres du gouvernement, je suis effectivement un ancien responsable du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (le MEECI). Je ne vous cache pas que mon itinéraire politique ressemble beaucoup à celui de la plupart des étudiants ivoiriens. Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire tout simplement que, comme beaucoup de jeunes Ivoiriens, nous avons fait de la contestation. J’étais d’ailleurs, moi-même, membre du Comité central de l’USEECI, c’est-à-dire l’Union syndicale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire, que j’ai dû quitter à la suite de quelques divergences entre moi-même et mes camarades du Comité central. Vous permettrez que je n’entre pas dans les détails. Les camarades qui liront cette interview sauront de quoi je parle, et je crois que c’est ce qui est le plus important. Donc après l’USEECI, je suis entré au MEECI. Pourquoi ? Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, ce n’est pas parce que j’avais en idée que c’était la seule façon de réussir dans la vie. Parce qu’il y a des milliers de meecistes et il n’y en a pas beaucoup qui sont devenus ministres aujourd’hui. Et puis il faut être naïf pour croire qu’en 1983, les choses sont les mêmes qu’en 1960. Tous ceux qui pensent qu’il faut crier pour avoir une place au soleil se trompent lourdement. Il y a beaucoup d’autres critères qui entrent en ligne de compte. Donc je suis MEECI, j’ai été d’abord dans le bureau de Yao N’Guessan, l’actuel secrétaire général de la Commission nationale de l’UNESCO, comme secrétaire adjoint aux affaires sociales, tandis que mon ami Gilles Laubhouet, actuel ministre du Développement rural, était le délégué aux affaires sociales. C’est d’ailleurs lui, Gilles Laubhouet, qui m’a fait venir au MEECI. Je signale que j’étais aussi avec lui à l’USEECI. Après quoi j’ai été secrétaire général, pendant deux ans, dans le bureau de l’actuel ministre de la Santé publique et de la Population, le professeur Alphonse Djédjé Mady.
Les motivations ? Comme on dit le plus souvent, il y a un âge pour contester et un autre âge pour appréhender les problèmes de la vie avec sérénité et réalisme. En définitive, je ne pense pas que dans ce pays il se trouve des gens qui soient opposés à d’autres gens pour le simple motif qu’ils auraient des intérêts divergents. Il y a tout simplement en Côte d’Ivoire, des Ivoiriens qui doivent s’atteler les uns et les autres à la tâche de construction nationale. Peut-être qu’il peut exister une divergence de vues sur la façon d’aborder les problèmes. Mais je pense que fondamentalement tout le monde est d’accord pour maintenir dans notre pays la paix et la stabilité pour que la Côte d’Ivoire continue d’avancer sur le chemin du développement. C’est ça ma motivation profonde. Parce que, après avoir vu tout ce qui se passait autour de nous à cette époque-là, j’ai pensé que pour peu qu’on ait du courage, on peut venir au PDCI en passant par le MEECI, pour dire ce qu’on pense.
Enfin j’ai pensé qu’il était encore mieux d’être dans la maison pour la nettoyer, si l’on estime qu’elle est sale, au lieu de rester au dehors pour prétendre donner les leçons à ceux qui sont déjà à l’intérieur.
Guidé donc par toutes ces motivations j’ai choisi volontairement la voie de la sagesse : celle du bonheur de l’Homme ivoirien.
F.H. : En tant que secrétaire général, vous avez été l’un des moteurs de la Réforme administrative. Pouvez-vous nous en parler brièvement, nous relater les grandes lignes, et nous dire quels résultats a obtenu cette réforme ?
— Quand en 1979 nous sommes arrivé à la tête du secrétariat général de la Réforme administrative, c’était un service nouveau. Il n’y avait absolument rien. Je ne crois pas que soit venu le moment de faire le bilan global de notre action en tant que secrétaire général de la Réforme administrative. Toutefois, ce que je peux dire c’est que nous avons mené quelques actions concrètes. La première de ces actions, dont nous nous félicitons, c’est la collaboration que nous avons avec le ministère de l’Intérieur pour doter nos communes d’instruments légaux et juridiques qui leur permettent de mener cette action de prise en main de la gestion de leur destinée par les populations. La Réforme municipale en accord avec le ministère de l’Intérieur nous la menons et je crois que tant lui que nous-mêmes, nous avons de sérieuses raisons d’être fiers de ce qui a été fait jusqu’à présent.
Le nouveau statut de la Fonction publique
Je puis vous dire que le premier jet du statut de la Fonction publique est déjà terminé. Il est fait en deux tomes. Le premier tome fait l’analyse pour l’évaluation et la critique du statut actuel ; le deuxième fait la proposition de nouveaux statuts de la Fonction publique. Les choses étant aujourd’hui ce qu’elles sont le ministère de la Fonction publique va devoir donner son point de vue sur ce que le secrétaire général à la Réforme a fait. Je vais tâcher de me situer très haut pour ne pas être tenté d’approuver systématiquement ce qui a été fait par M. Béchio, secrétaire général de la Réforme administrative, parce que justement c’est moi-même le ministre de la Fonction Publique. C’est pour cette raison que le travail que j’ai fait avec mes services, en tant que secrétaire général à la Réforme, sera un travail critique. Tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont intéressés par le statut général de la Fonction publique seront appelés à participer à ces travaux parce qu’il s’agit assurément d’un problème d’intérêt général. Et parce qu’il est d’intérêt général, je n’ai pas le droit d’en faire un problème uniquement de technicien. Pour le troisième point, dont nous avons quelques motifs d’être fiers, c’est que très bientôt nous allons avoir une banque de données administratives. Cette banque va permettre au fur et à mesure, d’obtenir toutes les informations qui intéressent l’administration ivoirienne en s’adressant au secrétariat général à la Réforme administrative. Cette banque de données sera informatisée. Il y aura des écrans qui seront placés auprès des utilisateurs qui pourront la consulter et avoir, non seulement les références des documents qui les intéressent, mais aussi la projection de ces documents sur écran et sur fac-similé.
Le gros problème qui nous attend, c’est celui de l’analyse des procédures et des modes de gestion de l’administration.
Au départ nous avons été ambitieux et nous avons voulu recenser toutes les procédures de l’administration. Nous nous sommes très rapidement aperçus qu’il s’agit d’un travail titanesque. Nous avons dans un deuxième temps pensé que plutôt que de recenser toutes les procédures, il faut s’appliquer à recenser deux types de procédures : celles qui permettront à l’Etat de faire des économies substantielles et celles grâce auxquelles il améliorera ses relations avec les administrés. Mes experts sont attelés à cette tâche et je vous prie de croire que nous avons une documentation suffisamment élaborée pour nous permettre tantôt de commencer ce travail. Il en est de même pour les modes de gestion. Il y a des modes de gestion extrêmement compliqués dans l’administration et cela fait perdre de l’argent et du temps. Cela n’arrange pas du tout les relations entre l’administration et les administrés. Nous nous sommes attelés aussi à ce problème. Et pour terminer nous avons entrepris, comme je vous l’ai dit, la réforme de l’ENA. Je vous donne là quelques grands exemples de ce que nous avons fait et des espoirs que nous fondons sur ce que nous avons déjà fait. Je peux d’ores et déjà vous dire que le secrétariat général à la Réforme administrative va toujours continuer d’exister, mais ses prérogatives seront renforcées. Et je veillerai personnellement à cela parce que, mine de rien, c’est un outil extraordinaire que le ministre de la Fonction publique a entre ses mains pour rendre efficace notre administration.
F.H. : Vous avez été aussi vice-président du Conseil de discipline. De quoi s’agit-il ? Et comment fonctionne cette sorte de tribunal ?
— Effectivement, depuis 1979, je suis aussi vice-président du Conseil de discipline. Ce Conseil de discipline est institué pour donner un avis consultatif. Au départ on l’appelait Commission administrative paritaire. Mon prédécesseur a opéré des réformes au niveau du Conseil de discipline pour le rendre beaucoup plus efficace. Et je dois à la vérité de dire que depuis les réformes, la situation s’est améliorée. Donc c’est un Conseil de discipline, comme son nom l’indique, qui « juge » parce que la décision du Conseil n’est pas une décision qui s’impose absolument au ministre de la Fonction Publique. La décision du Conseil est un avis éclairé qui est donné au ministre qui, en tout état de cause, étant le gestionnaire du personnel de l’administration, doit prendre ses responsabilités. Donc quand un fonctionnaire commet une faute grave, il est traduit par son ministre technique devant le Conseil de discipline de la Fonction Publique. C’est alors que son dossier est envoyé à un membre du Conseil de discipline pour l’instruire. Il s’agit donc d’une garantie donnée au fonctionnaire, parce que le « juge d’instruction » va s’occuper de savoir si le mis en cause est traduit en Conseil de discipline à bon droit. Ceci pour éviter que les fonctionnaires ne soient pas victimes d’arbitraire. Une fois le dossier instruit, le « magistrat instructeur » va rédiger une note au président du Conseil de discipline pour lui donner son sentiment sur la question. A la réunion du Conseil de discipline, « l’accusé » peut bénéficier du concours d’un défenseur. Son « avocat » peut être soit un parent ou même un vrai avocat inscrit régulièrement au barreau. C’est exactement comme un vrai tribunal. On procède alors à l’interrogatoire, à la confrontation des parties au jugement.
Après tout cela, le Conseil se retire et propose une sanction au ministre de la Fonction publique. Ces sanctions peuvent partir de la suspension, qui va de un à six mois au maximum, jusqu’à la révocation avec ou sans suppression des droits à pension. S’il s’agit de peine autre que la révocation, le ministre signe la décision si, bien sûr, il partage les vues du Conseil. S’il s’agit de révocation, le dossier est alors transmis au président de la République, chef de l’administration et détenteur exclusif du pouvoir exécutif, qui donne son accord. En effet aucun fonctionnaire ne peut être révoqué sans l’accord du chef de l’Etat.
F.H. : Donc, à part une courte période à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Téhéran, votre carrière administrative s’est entièrement déroulée à la Fonction publique jusqu’à votre nomination. C’est dire que les arcanes du département de la Fonction publique n’ont aucun secret pour vous. Alors vous nous permettrez, M. le ministre, malgré votre récente nomination, d’entrer dans le vif du sujet. Avez-vous déjà conçu une politique d’ensemble.
— Je n’ai pas encore conçu une politique d’ensemble mais, par contre, j’ai un certain nombre d’idées qui méritent d’être exploitées, approfondies et affinées. Comme vous l’avez si bien dit, j’ai eu deux passages au ministère de la Fonction publique avant d’avoir eu en charge ce département. D’abord en tant que chef de cabinet pendant deux ans, et en tant que secrétaire général de la Réforme administrative pendant quatre ans. Assurément, à ces différents postes, j’ai appris beaucoup de choses. En effet, en tant que chef de cabinet du ministre Boguinard, j’ai eu l’occasion de connaître les hommes qui travaillent au ministère de la Fonction publique. En tant que secrétaire général à la Réforme, j’ai eu là aussi l’occasion de traiter un certain nombre de dossiers importants de la Fonction publique. Mais, même à ces niveaux, on n’a pas une vue globale des affaires de ce vaste département. On ne peut pas, seulement à partir de ses responsabilités, avoir l’œil sur tout le département. Mais on peut commencer à s’en faire une idée.
Je ne vous cache pas que les problèmes de la Fonction publique sont à la fois compliqués et simples. Compliqués parce que ce sont des problèmes qui touchent les hommes. Ils peuvent aussi être simples, pour peu qu’on veuille prendre ses responsabilités. Lesquelles responsabilités entraînent nécessairement une dose d’impopularité qu’il faut avoir le courage d’assumer. Et, comme je le disais récemment, si je ne voulais pas assurer ces responsabilités, donc l’impopularité qui en découle, j’aurais refusé ce poste de ministre de la Fonction publique. A partir du moment où j’ai accepté de diriger ce département, j’ai donc accepté de prendre les responsabilités qui s’imposent. Je dois donc travailler dans le sens des directives du chef de l’Etat, c’est-à-dire : la fermeté, la rigueur, mais dans la souplesse.
Les idées que j’ai sont simples : à la Fonction publique, en fait, il y a deux domaines extrêmement importants, et deux autres domaines qui sont des problèmes sérieux et connexes.
D’abord les deux domaines qui sont les plus importants. Ce sont : la direction du personnel et la direction de la formation professionnelle et des stages. D’ailleurs, ce sont ces deux domaines qui font l’objet de sévères critiques dans le public. En effet, l’on reproche à la Fonction publique de traîner dans le travail. L’on reproche aussi à la Fonction publique d’avoir en son sein des agents corrompus et qui exigent d’abord de l’argent avant de faire le travail pour lequel ils sont payés. Ce sont là deux problèmes qu’il faut chercher à résoudre dans un premier temps. En ce qui concerne le problème de la célérité à accorder au niveau des dossiers, j’ai eu l’occasion de réunir les agents et d’attirer leur attention sur le fait que, parce qu’ils sont au centre même de la gestion des hommes, ils ne peuvent pas se permettre un certain nombre de choses qu’on aurait toléré ailleurs.
J’ai donc donné des instructions précises pour que tous les dossiers qui parviennent à mes différents services soient traités dans un délai raisonnable. Il faut que le travail soit effectué le plus rapidement possible, c’est-à-dire dans un délai maximum d’un mois. Et en cas d’urgence, dans un délai maximum de quinze jours. C’est le vœu du chef de l’Etat. Et j’entends le faire exécuter. Bien sûr, je n’ai pas la naïveté de croire que ces instructions seront exécutées immédiatement. Car il y a des habitudes qui ont été prises, et il va falloir lutter contre. Mais je pense qu’avec beaucoup de persuasion et en rappelant toujours aux agents le sens de leurs responsabilités et le rôle effectif qu’ils ont, on arrivera à résoudre ce problème au mieux des intérêts des administrés.
En ce qui concerne la corruption, ce problème doit être vu sous deux aspects : il est évident que le ministre de la Fonction publique luttera de toute son énergie contre le phénomène de la corruption sous toutes ses formes. Mais il est aussi évident que pour que ce travail puisse se faire de façon convaincante et positive, il faut que ceux-là même qui sont victimes de la corruption acceptent justement de porter à ma connaissance ce genre d’agissements, pour que le ministre que je suis puisse prendre ses responsabilités afin de sortir de nos rangs les brebis galeuses, qui trouvent dans notre administration un terrain de prédilection, pour ce que je pourrais appeler du gangstérisme pur et simple. Mon bureau est ouvert à tous ceux qui voudraient bien nous aider honnêtement. Voici donc le premier travail à faire, pour ce qui concerne les problèmes du personnel et de la corruption.
Pour ce qui concerne les problèmes d’avancement, j’ai donné des instructions précises et nous allons ensemble revoir tantôt la question, puisque nous avons un ordinateur pour que ces avancements se fassent de façon automatique, sans que les fonctionnaires aient besoin de se déplacer d’un bout de la Côte d’Ivoire à Abidjan. Avec les techniques de communications et les cadres valables que nous avons au ministère de la Fonction publique, je pense que nous devrions être en mesure de régler ce problème avant fin 1984.
Guerre à la corruption sous toutes ses formes
Pour ce qui est du recrutement, il y a deux aspects. Et je dois confesser humblement que quelquefois des dossiers se perdent effectivement dans nos services. Je dois confesser également que nous devons revoir notre organisation. En effet, quand nous recevons un dossier au ministère, plutôt que de prendre le dossier et de demander au porteur de repasser, il faut que nos agents prennent d’abord la peine de vérifier si le dossier est complet et prendre l’adresse complète de l’intéressé. Si le dossier est incomplet, j’ai donné des instructions pour que l’on remette à la personne son dossier et qu’il revienne seulement quand il aura tout rassemblé. Si on n’a pas pu le vérifier sur place, il faut que nous ayons en notre possession l’adresse complète de l’intéressé afin de lui écrire pour demander le complément de son dossier tout en lui signifiant que rien ne sera fait pour lui sans le complément de son dossier. Je pense qu’en voyant le problème de cette façon, nous arriverons progressivement à résoudre tous les problèmes de dossiers. Le deuxième aspect de la chose, et cela concerne les enseignants. Nous sommes en contact avec le ministère de l’Education nationale, et nous savons que ce n’est pas facile à son niveau, pour nous mettre d’accord sur une date limite à laquelle tous les dossiers des nouveaux enseignants doivent nous parvenir de façon à nous permettre de sortir les décisions pour payer ces nouveaux fonctionnaires très rapidement après leur prise de fonction au mois d’octobre. Ce sont là les quelques problèmes que nous connaissons en ce qui concerne le personnel et les premières solutions à entreprendre. Quant aux problèmes de la formation professionnelle et des stages, et particulièrement les problèmes de concours, j’entends, au niveau de la Direction des concours, procéder à un vaste mouvement des agents qui travaillent dans cette direction. Car j’estime qu’à force d’exercer dans le même service, les agents se font des relations, par conséquent des obligés et, comme en Côte d’ivoire il y a cette fâcheuse tendance de croire qu’on ne peut rien avoir sans avoir rien donné ou qu’on n’a rien sans avoir des relations, tout cela donc favorise la corruption. A ce niveau, nous sommes décidés à mener une véritable guerre sans merci contre tous les agents corrompus de la Fonction publique. Je ferai en sorte que disparaisse le triste phénomène de la corruption dans mon département. Je profite justement de cette occasion pour dire de façon claire et nette à tous ceux qui, jusqu’à présent, d’une façon ou d’une autre, ont obtenu je ne sais trop pourquoi ni comment des faveurs de la part des agents de la Sous-Direction des concours, qu’ils ne doivent plus espérer à rien du tout. Car rien ne sera plus comme avant. Ces mauvaises habitudes doivent disparaître. Et je m’emploierai à cela. Je mettrai en place dans les prochains jours un système tel que tous ceux qui auront à l’esprit de passer par la petite porte, comme ils en ont l’habitude, c’est-à-dire de tricher, soient découragés. Néanmoins, si jamais, malgré ce nouveau système, quelqu’un était pris dans ce jeu dangereux qu’est la corruption, agent de la Fonction publique corrompu et fonctionnaire corrupteur, seront tous arrêtés et déférés au parquet quelle que soit leur situation sociale ou leurs relations.
En outre, j’interdirai de façon formelle, même si je dois faire appel aux forces de l’ordre, l’accès des lieux de concours à toute personne qui n’a rien à y faire. Je me déplacerai moi-même sur les lieux de concours, autant que faire se peut, pour veiller, avec mes collaborateurs, à ce que tout se passe comme je l’entends. C’est-à-dire de façon correcte. Il n’est pas normal que dans un pays comme la Côte d’Ivoire, où le président Félix Houphouët-Boigny s’évertue à établir un équilibre, une justice, que ne puissent réussir que ceux qui ont des « moyens ». Cela n’est pas normal. Je suis donc décidé à lutter contre ce mauvais comportement de la façon la plus énergique. Dans un premier temps, tous les agents de la formation et des stages, tous ceux qui s’occupent de concours, seront mutés dans d’autres services du ministère. Je dis bien mutés et non chassés. Par conséquent, de nouveaux agents seront affectés à leur place à la direction de la formation et des stages. Et je ferai en sorte qu’aucun agent de cette direction des concours et des stages ne reste pas longtemps, en tout cas, pas plus de deux ans à leur poste. Pour leur éviter de tomber dans les mêmes erreurs. Quant à l’Ecole Nationale d’Administration, l’ENA, nous allons opérer véritablement une révolution. Moi-même je suis un pur produit de cette grande école. Donc je connais ses qualités et ses travers. Avec les responsables de l’ENA, nous allons nous évertuer à former véritablement des administrateurs de développement, c’est-à-dire des administrateurs qui sont immédiatement opérationnels à la sortie de l’école. Ce qui suppose qu’il faut laisser l’enseignement rigide et théorique pour s’atteler à un enseignement beaucoup plus pratique.
Fini les stages de ballades à l’Etranger qui ne donnent aucun résultat positif. Maintenant les Ivoiriens seront formés en priorité en Côte d’Ivoire par nos administrations. Et s’ils doivent absolument aller à l’Etranger, c’est parce qu’ils auront suffisamment de matière pour pouvoir faire la comparaison avec les autres administrations. Mais il ne sera plus question d’envoyer des élèves en ballade en France ou ailleurs pour nous revenir sans avoir rien appris. Et nous sommes obligés encore de leur apprendre ce qu’ils auraient dû apprendre en stage.
Ce sera donc une réforme profonde non seulement des programmes mais aussi une réforme de la mentalité. Je suis absolument d’accord avec mon collègue et ami le Dr Balla Kéita, pour dire que l’école, fut-elle nationale d’administration et justement parce qu’elle est nationale d’administration doit servir de base à la formation des responsables. Dorénavant à l’ENA, nous allons inculquer aux futurs administrateurs toutes les règles qui doivent aider pour être un bon administrateur. C’est-à-dire: les règles d’austérité, d’intégrité, de civisme etc… Dorénavant le drapeau de notre grand Parti, le PDCI devra flotter à côté du drapeau national à l’ENA. Car il faut que cet élève sorti de l’Ecole Nationale d’Administration soit d’abord lui-même fier d’être sorti de l’ENA, et que ceux qui auront à l’employer soient aussi fiers de l’école.
Il faut qu’à partir de maintenant l’administrateur ivoirien soit un administrateur idéal, parfait et exemplaire.
La clarté
S’agissant de la direction des pensions, vous savez que le Chef de l’Etat a donné des instructions pour le dégagement des cadres qui ont atteint l’âge de la retraite. Là aussi nous allons nous évertuer à exécuter de la façon la plus fidèle et rapide ces instructions du Président de la République. Et nous allons nous mettre aussi à l’étude de la réforme du code des pensions qui, semble-t-il, prend du temps et qui mériterait qu’on y prête attention. Ce sont là les quelques actions que je tiens à entreprendre.
En ce qui concerne mes relations avec les fonctionnaires, à mon sens, elles doivent être faciles. Parce que j’estime que tout doit se passer dans la clarté et la transparence. Autant je veux être un ministre soucieux de faire en sorte que les fonctionnaires v
oient leurs problèmes résolus et le plus rapidement possible, non seulement dans leur intérêt, mais aussi dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire, parce que les deux choses ne sont pas antinomiques. Autant les fonctionnaires, doivent se rendre compte que je ne puis accepter des mauvais comportements qui n’ont que trop duré. Par exemple les « ballades » des fonctionnaires entre la Fonction Publique et d’autres services du privé, je n’accepte pas cela. Il y a des fonctionnaires qui travaillent pendant plusieurs années à la Fonction publique et dès qu’ils ont des offres plus alléchantes dans le privé, ils s’en vont, pour en revenir quelques temps plus tard dès qu’ils sont renvoyés de là-bas. Mais à partir de maintenant, rien ne sera plus comme avant. L’administration n’est pas là pour récupérer ceux qui échouent ailleurs, ou qui ne savent rien faire ailleurs. Je mettrai tout en œuvre pour décourager ceux qui en ont déjà pris la mauvaise habitude, ou tous ceux qui en ont l’envie.
J’ai déjà fait des communiqués dans ce sens à la radio et dans les journaux pour les gens qui sont en situation irrégulière ou qui croient que l’administration est un marché.
Le travail sera fait
Sur ce point, je peux dire que mes rapports seront vraiment tendus et difficiles avec les fonctionnaires qui vont se mettre dans cette situation. Parce que là, je serai intraitable. De même que pour les fraudeurs. Pour tous ceux qui prennent l’administration comme une sinécure où l’on vient pour extorquer et faire du gangstérisme. Ceux-là aussi trouveront devant eux un ministre qui est résolu à leur barrer le chemin. Je ferai en sorte que tous les gens qui se placent dans cette situation soient chassés et poursuivis en justice. Car il n’y aura pas de place à la Fonction publique pour les malhonnêtes.
Quant aux bons fonctionnaires, ils sont assurés de trouver devant eux un ministre décidé à les aider coûte que coûte, même si je dois aller présenter leurs dossiers devant le Président de la République si cela était nécessaire. Et je crois que justement nous sommes là pour cela.
J’aime tous les bons fonctionnaires. Les mauvais fonctionnaires, je le répète encore, nous auront des rapports difficiles, et je ne crains pas de les affronter. Je prendrai toujours mes responsabilités quand il le faudra.
Je voudrais aussi m’adresser aux usagers. Il faut qu’ils soient imprégnés d’un certain nombre de choses. Premièrement, les agents de la Fonction publique ne peuvent pas travailler si on ne les laisse pas faire leur travail tranquillement. Je parle là des envahisseurs perpétuels des locaux de la Fonction publique par les usagers. Cela empêche non seulement les agents de travailler, n’arrange pas les usagers eux-mêmes qui ne peuvent pas avoir satisfaction tous ensemble. J’ai donc décidé d’ouvrir l’accès des locaux du ministère en des jours précis qui seront communiqués aux usagers le moment venu. C’est-à-dire que si par exemple trois jours étaient fixés pour les visites, donc trois jours seront réservés pour le travail proprement dit. Alors les portes du ministère resteront fermées, sauf sur rendez-vous, -ainsi les agents pourront travailler tranquillement pour que les jours ouvrables, les usagers puissent venir trouver leurs dossiers prêts. Tout le monde y trouvera son compte.
Les directives du Chef de l’Etat sont claires : faire en sorte que tous les dossiers des fonctionnaires soient traités en priorité. Le travail pour lequel on est payé doit être d’abord exécuté et bien traité avant toute autre chose. Et j’entends faire exécuter ces instructions.
Propos recueillis par SENOU ADAMS