Pourquoi je vais me lever ? Ça veut dire que tu veux manger seul.” Manger seuls, c’est-à-dire être les seuls Ivoiriens à profiter des richesses du pays, à vivre dignement et décemment: voilà enfin dévoilés par Cissé Bacongo le vrai projet de société, le véritable programme de gouvernement, l’agenda caché, la seule ambition du RHDP pour la Côte d’Ivoire, la raison pour laquelle il recruta des assassins dans la sous-région pour exterminer les Ivoiriens et détruire leur pays de 2002 à 2011. Autrement dit: Terroriser, violer, tuer, emprisonner, exiler les Ivoiriens proches de Laurent Gbagbo ou ayant voté pour lui en 2010, le RHDP a réalisé tous ces “exploits” parce qu’il voulait manger seul. En faisant un tel aveu, Bacongo nous apprend-il quelque chose de nouveau? Pas vraiment, sauf pour les Ivoiriens ignorant que les prétendus disciples d’Houphouët sont des gens persuadés que la Côte d’Ivoire est leur propriété privée et que, tant qu’ils ne sont pas au pouvoir, elle ne doit pas connaître la paix ou bien rien ne doit y marcher. Le RDR est certes sorti des entrailles du PDCI en 1994 mais il n’a jamais cessé de partager avec le vieux parti une vision que je pourrais résumer de la manière suivante: se soumettre à la France, se soigner, scolariser ses enfants et passer ses vacances dans ce pays, y ouvrir des comptes avec l’argent volé, accumuler le maximum d’argent pour sa famille, posséder plusieurs taxis et immeubles à Abidjan, vivre aux crochets de l’État, etc.
Ce n’est point dénigrer le FPI ou vouloir sa mort que de reconnaître que quelques Refondateurs tombèrent, malheureusement, dans ces travers. Ayons le courage de les considérer comme des faux socialistes, comme des représentants de la gauche caviar dont parle Laurent Joffrin quand il écrit : “une fausse gauche qui dit ce qu’il faut faire et ne fait pas ce qu’elle dit, une tribu tartuffe et désinvolte, qui aime le peuple et qui se garde bien de partager son sort.” (cf. L. Joffrin, “Histoire de la gauche caviar”, Paris, Robert Laffont, 2006). Pour Joffrin, en effet, on ne peut se réclamer de la gauche et mener une vie bourgeoise loin des milieux populaires. Il ajoute qu’il est difficile de professer que l’on a le cœur à gauche, alors que le portefeuille est à droite. Quand le FPI sortira de la catastrophe qui s’est abattue sur lui en 2002, il lui faudra se séparer sans état d’âme de ces hypocrites attachés au luxe et au lucre mais se voulant au service du peuple car ce qui distingue le vrai socialiste, c’est un certain comportement; on le reconnaît à la pratique de certaines valeurs: la justice, le partage, la simplicité, le respect du bien commun et l’amour du pays.
Thomas Sankara conduisait lui-même une Renault 5, percevait un petit salaire (450 dollars par mois, ce qui veut dire qu’il n’était pas le Burkinabè le mieux payé), voulait que ses ministres voyagent en classe économique, ne disposait pas d’un exorbitant budget de souveraineté. Idem pour le Cubain Fidel Castro. Jamais, ce dernier n’envoya ses enfants étudier aux États-Unis; jamais il ne se rendit dans un pays occidental pour être soigné. Sankara et Castro agirent de la sorte car ils étaient convaincus qu’on ne peut pas se dire de gauche et mépriser ou négliger les choses locales. Nos faux socialistes parlent constamment de la Côte d’Ivoire mais préfèrent les banques, écoles et hôpitaux de l’Occident. Ce sont ces pseudo-socialistes qui se jetèrent dans les bras de l’ennemi sitôt qu’un violent orage déchira le ciel ivoirien, le 11 avril 2011; ce sont eux qui proclament urbi et orbi qu’ils sont pour la libération de Laurent Gbagbo et qu’ils y travaillent tout en affirmant que son nom est un boulet; ce sont eux encore qui nous invitent sans cesse à entrer dans le jeu politique et à discuter avec un individu qui n’a que du mépris et de la morgue pour les Ivoiriens.
Quelle misère! Le “mangement” ou la “mangecratie” est une des choses qu’ils en ont en commun avec le RHDP dont certaines personnes avaient sincèrement cru qu’il arrivait au pouvoir pour développer la Côte d’Ivoire en redonnant à la capitale politique son lustre d’antan, en construisant des entreprises et usines comme le Nigérian Aliko Dangoté, des universités, des hôpitaux, des routes, en offrant des moyens financiers à nos centres de recherche comme Bill Gates le fait pour la lutte contre la malnutrition, la pauvreté et la maladie. Car une fortune qui ne peut offrir des opportunités d’emploi ou faire avancer la recherche ne sert strictement à rien. Aujourd’hui, ces personnes se rendent compte qu’elles ont affaire à de vrais imposteurs, que le bien-être du peuple ne fut jamais la préoccupation du RHDP et que les mensonges que ce mouvement servit à l’opinion internationale, les tueries perpétrées par ses mercenaires n’avaient qu’un but: manger, c’est-à-dire vider quotidiennement les caisses de l’État et mener une vie à l’abri du besoin.
Pour en finir avec cette mauvaise conception de la politique (on vient au pouvoir pour manger avec sa famille et ses copains), il faut revenir à ce qu’est la politique et au but qu’elle poursuit. La politique est un service: celui qui l’embrasse est appelé à se mettre au service de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions politiques, philosophiques et religieuses. Elle est donc incompatible avec un quelconque rattrapage ethnique. Apporter un peu de bonheur aux membres de la Cité, c’est-à-dire améliorer leurs conditions de travail et de vie, telle est la finalité de la politique. En ce sens, il est honteux et scandaleux, 57 ans après l’accession de notre pays à une indépendance de façade, que le paysan ivoirien continue de travailler la terre avec la machette ou avec la daba, que les étudiants manquent de laboratoires, de salles de classes et de bibliothèques bien équipées, que médecins et sage-femmes soient privés du matériel médical dont ils ont besoin pour bien accomplir leur tâche. Toutes ces choses nécessitent beaucoup d’argent, rétorqueront mes contradicteurs. Je leur répondrai ceci:
supprimons le budget de souveraineté alloué au président de la République et décidons que cet argent serve la cause du paysanat, de l’éducation et de la santé; réduisons le salaire des ministres et députés; diminuons le train de vie de l’État. L’État a certes l’obligation de fournir à ceux qu’il emploie les moyens qui leur permettent de bien faire leur travail mais il n’est pas acceptable qu’un fonctionnaire de l’État possède plusieurs comptes bancaires, terrains et immeubles; si, en peu de temps, il devient milliardaire, c’est qu’il a volé l’argent des contribuables. Il mérite alors d’être arrêté et ce qu’il a indûment acquis doit être restitué à l’État. Si nous voulons que le pouvoir ne soit plus un lieu ou un moyen d’enrichissement rapide et illicite, si nous voulons que la politique redevienne un service désintéressé, nous devons urgemment prendre et appliquer ces mesures. Les Occidentaux ne sont pas forcément plus vertueux que nous. Comme nous, ils commettent des fautes, n’obéissent pas toujours aux lois de la République, mais ce qui fait leur force, c’est qu’ils se soumettent à leurs lois parce qu’ils ont intériorisé le principe: “Dura lex, sed lex” (la loi est dure, mais c’est la loi). Cela signifie que ceux qui violent la loi acceptent d’être sanctionnés et ceux qui sont chargés de la faire respecter sanctionnent sans faiblesse au lieu de chercher à savoir si vous êtes fils de X ou de Y.
“Si nous nous couchons, nous sommes morts”, disait Joseph Ki-Zerbo. Si nous laissons les politiciens continuer à s’enrichir et à se gaver pendant que nous croupissons dans la misère, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer. Il est donc temps que la société civile se lève et prenne à bras-le-corps le combat contre ceux qui conçoivent le pouvoir comme une mangeoire. Elle doit exiger que le président de la République, les ministres et députés se soignent désormais sur place; elle doit donner de la voix, se mobiliser chaque fois que nécessaire, pour que ceux qui sont au pouvoir et ceux qui aspirent à y arriver comprennent que le pouvoir n’est pas un moyen d’enrichissement mais un service.
Jean-Claude Djereke