Alassane Dramane Ouattara aurait « reçu mandat de la présidente Dagri pour signer l’accord politique de parti unifié ». Voici une nouvelle qui a causé chez les Ivoiriens une hilarité à les casser en deux. Et nous aussi aurions ri à gorge déployée si cette comédie ne reflétait un grave penchant de la dictature d’Abidjan pour le faux ; un penchant qui en définitive affecte négativement le vécu quotidien des Ivoiriens.
Il est en effet un fait – et certainement pas le seul – que nous trouvons très agaçant chez ceux qui gouvernent la Côte d’Ivoire depuis le coup d’Etat de 2011 : c’est leur propension à prendre des gants avec la vérité, à jouer à cache-cache avec le réel, à tricher avec les chiffres, à tromper, à – disons-le sans ambages ! – mentir sans vergogne ; c’est-à-dire, mentir bêtement, mentir lourdement, mentir gauchement, mentir inélégamment. Cette dictature ment jusqu’à croire à son propre mensonge. Cette façon de mentir n’est pas du tout ordinaire ; elle a quelque chose de pathologique.
Et je ne parle pas seulement de la mystification sans retenue de Sidi Tiémoko Touré, le ministre de la promotion de la jeunesse, de l’emploi des Jeunes et du service civique d’Alassane Dramane Ouattara, qui, confortablement installé sur le plateau du journal Afrique de TV5, ce jour de 4 avril 2018, déclarait, avec tout le calme d’un lac sans rides, que le taux de chômage en Côte d’Ivoire est de 2%. Et même lorsque, assommé par un tel attachement au faux de « notre » ministre, le journaliste de TV5 lui lança des « hum ! » et des « han ! » dubitatifs, Sidi Touré maintint sa fable : 2%, ce sont les vrais chiffres, si l’on considère que l’économie de la Côte d’Ivoire est principalement informelle et que ne sont pas pris en compte tous les travailleurs de l’informel dans les chiffres formellement divulgués.
Cet hyperbolique mensonge débité par Sidi Touré, il me revient que lorsqu’il fut pour la première fois énoncé à Abidjan en janvier 2017, avait aussitôt soulevé des protestations et d’impétueux appels au discernement, des cris d’orfraie du genre « prenez un peu les Ivoiriens au sérieux ! », que le porte-parole du gouvernement, Bruno Nagbané, se précipita d’apaiser, avançant, pour ce faire, un taux qui oscillerait entre 23% et 26%. La vérité vraie est que le taux de chômage en Côte d’Ivoire aujourd’hui n’est ni de 2% ni même de 23 ou 26%, mais pire.
La vérité vraie est que le taux de chômage le plus conservateur partagé par les observateurs sérieux, et qui prend en compte les emplois précaires, les emplois vulnérables, aussi bien que ces occupations dans le secteur informel que cite abondamment le régime d’Abidjan pour justifier ses chiffres, est de 42%. Pour que tiennent les chiffres avancés par Sidi Touré et Bruno Nagbané, il faudrait inclure sous la rubrique de « non chômeurs » du régime d’Abidjan les mendiants aux carrefours, les microbes écumant les nuits, les coupeurs de routes et les braqueurs qui ont désormais pignon sur rue et qui opèrent en toute impunité ; ah ! Ces microbes dont Sidi Touré, sur le même plateau de ce même jour, rationalise l’existence comme étant « un phénomène mondial » !
Et je ne parle pas seulement de cet autre gros mensonge de la dictature d’Abidjan sur cette autre chaîne internationale, un jour d’octobre 2014, où j’émergeais lentement aux nouvelles de CNN sur le déguerpissement des populations ivoiriennes installées dans les zones dites « à risques ». Alors que toute la Côte d’Ivoire savait que les déguerpis des zones à risques n’avaient, dans le meilleur des cas, perçu du gouvernement d’Alassane Dramane Ouattara qu’un dédommagement de 150.000 francs CFA (voir à ce sujet les articles suivants : http://www.imatin.net/article/societe/deguerpissement-des-zones-a-risques-150.000-f-par-famille_1496_1339706585.html http://www.koaci.com/cote-divoire-deguerpissement-quartier-tomber-mort-dattecoube-rase-94020.html?lang=1 ) ; et alors que dans la plupart des cas cette modique somme n’avait jamais été versée aux ayants droit, parce que détournée par certains fauves, quel ne fut mon étonnement, d’apprendre dans ce reportage de CNN que selon les autorités ivoiriennes les déplacés d’Abidjan percevaient pour chaque famille la somme de 2000 dollars (l’équivalent de 984.000 francs CFA). Quelle grosse tromperie !
Et je ne parle pas seulement de cet autre gros mensonge de Gon Coulibaly, qui, prenant les Ivoiriens pour des imbéciles coupés du monde extérieur, annonçait grossièrement que la Côte d’Ivoire était la 5e économie mondiale. Un mensonge que Dramane Ouattara, sur le parvis de l’Elysée, dans son style querelleur qui ne laisse à aucun journaliste l’occasion de finir une question avant de débiter son chapelet de mystifications, faillit réitérer, mais se satisfit de broder à la pénultième minute par la déclaration que la Côte d’Ivoire à « l’une des économies les plus enviables du monde ».
De quelle économie parle donc Ouattara ? Parle-t-il vraiment de cette économie de paupérisation qu’il a instituée en Côte d’Ivoire ? Car en vérité la politique coléreuse, tâtonnante, déficiente, et déshumanisante de Ouattara n’a jamais pu tenir les promesses qu’elle avait faites d’offrir à la jeunesse ivoirienne des milliers d’emplois ; tout comme elle a failli à sa promesse de construire 65000 nouvelles salles de classe et de bâtir 5 universités ultramodernes en 5 ans. La vérité vraie, c’est qu’après avoir pompeusement célébré son entrée dans le cercle des PPTE (le club des pays les plus pauvres et les plus endettés de la planète dont font partie l’Afghanistan, le Burundi, le Burkina Faso, la République Centrafricaine, l’Ethiopie, Haïti, la Guinée-Bissau, le Madagascar, le Malawi, le Mali, le Niger, le Rwanda, le Sénégal), une induction qui lui valut d’obtenir un allègement de la dette ivoirienne, le régime d’Abidjan, amoureux du clinquant, du scintillant, du lumineux, et du « m’as-tu vu ? », plutôt que de s’employer à l’amélioration des conditions de vie des Ivoiriens ployant sous le chômage, la pauvreté, et le mal-être moral et physique, se lança dans une vrille de galas, de soûleries, d’étalages de fortunes infondées, de voyages ruineux, et d’invites de stars (Delon, Rihanna, Deneuve, Carla Bruni, Kardashian, dont certains, comme Chris Brown, repartaient avec des enveloppes de 500 millions de nos francs).
Et lorsque l’argent fut gaspillé dans la satisfaction pulsionnelle du « regardez-moi », l’on se remit à tendre la main au monde comme de vulgaires mendiants, à s’endetter, à se rendetter et à se sur-rendetter sans la moindre vergogne auprès des « amis » de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, auprès des « amis » du Club de Paris et du Club de Londres, auprès des populations ivoiriennes par un déluge d’emprunts obligataires, et même auprès d’autres pays très, très pauvres et très, très endettés, comme le Congo de Sassou N’Guesso.
Les Ivoiriens commencent à se faire aux broderies éhontées du pouvoir, qui, d’un ricanement blasé, les écartent du revers de la main toutes les fois qu’elles sont débitées, en s’exclamant « encore une autre crise de mythomanie ! ». Mais aller les répéter sur des ondes internationales et en accuser, indifférent, les railleries du monde demande une audace et une amoralité exceptionnelles que très peu de personnes peuvent se permettre d’exhiber avec fierté. Ce n’est pas cette audace qui manque depuis 2011.
D’évidence, la politique est métier qui attire de nombreux fourbes et trompeurs ; cela est indéniable ! Mais tricher à s’oublier, tricher à exposer inélégamment les fils blancs de ses broderies ? Quelle goujaterie !
Martial Frindéthié