2020 ! Année électorale en Côte d’Ivoire. Et pas n’importe quelle élection : il s’agit de la suprême, pour le pouvoir suprême. L’évocation de cette année fait frémir plus d’un politicien ivoirien. Tant les uns et les autres sont préoccupés par les noms des représentants dans les différents camps. Au PDCI-RDA, l’heure n’est plus à la candidature unique prônée dans le cadre du RHDP. Le parti et surtout les militants qui ne croient plus en la sincérité de leur allié le RDR pour la passe en 2020 remobilisent les troupes. On assiste ça et là au renouvellement des instances du parti, à la réintégration de militants et membres du parti considérés il n’y a pas longtemps comme persona non grata. Des dispositions qui démontrent que le PDCI-RDA ne veut plus jouer les seconds rôles et a décidé de prendre le taureau par les cornes. Ailleurs, dans les « petits » partis comme l’UDPCI, l’UPCI c’est la veillée d’armes. Après leurs limogeages du gouvernement, Mabri Toikeusse et Gnamien Konan ne ménagent aucun effort pour la conquête du pouvoir d’Etat. Chacun bat le rappel de ses troupes. On s’organise comme on peut au sein de tous les partis politiques, à l’exception du FPI qui compte deux camps (Sangaré et Affi) où la paix ne semble pas être pour l’heure, la préoccupation des leaders.
Pour tous les Ivoiriens et les observateurs étrangers, cependant, la compétition se déroulera essentiellement entre le Pdci-Rda et le Rdr. En somme une confrontation entre les héritiers d’Houphouët-Boigny qui retrouvent, au fil des jours, leurs facultés de détestation réciproque étouffée, le temps de l’élection 2015, par le célèbre « Accord de Daoukro ». La raison en est toute simple : d’un côté, la base du Pdci-Rda réalise que leur parti s’est fait duper par l’allié d’hier qui s’est montré vorace dans le partage du butin électoral ; pis : il se montre aujourd’hui peu reconnaissant et arrogant envers le Pdci, son bienfaiteur. De l’autre côté, le Rdr qui, lui, estime que non seulement le PDCI est trop gourmand, mais en plus le RDR n’a pas encore suffisamment joui du pouvoir pour être prêt à le céder juste 10 années après. Mais a-t-on jamais suffisamment joui du pouvoir, surtout en Afrique ?
Dans tous les cas, il apparaît nettement que pour ces deux grandes formations politiques du pays, 2020 sera un rendez-vous chargé de périls : la victoire de l’un consacrera sans aucun doute le déclin de l’autre. Et pour longtemps ; surtout pour le Pdci qui se sera, dans ce cas, signalé par une absence d’au moins 25 années du pouvoir d’Etat. Le temps d’une génération. Le Rdr, de son côté, a conscience des implications d’une défaite électorale : la fin de son règne sur l’administration et le monde politique ivoirien. Il s’agit donc de choisir le bon candidat, pas même l’as, mais le joker qui garantira la victoire d’un seul coup fatal.
Au Pdci, l’on évite d’évoquer la question du candidat idéal, qui pourrait fâcher. Des langues peu sérieuses parlent de la perspective de la candidature de l’octogénaire Henri Konan Bédié, qui serait même en attente d’un « Appel de Kong », en signe de renvoi d’ascenseur. D’autres langues, vraiment mauvaises, chuchotent à qui veut l’entendre que le « Bouddha de Daoukro » prépare un second « Appel de Daoukro » car Ouattara n’a pas envie de partir. Possible : d’une manière générale, en Afrique, on ne part jamais du pouvoir sinon que par contrainte.
Au RDR, l’ordre du jour, officiellement, est à la succession du chef de l’Etat ; ce dernier ayant lui même indiqué qu’il ne se présenterait plus. Et, comme cela est de règle en politique, on manœuvre donc comme on peut, au sein du Rdr, pour écarter tout camarade d’hier devenu potentiel adversaire. Et, pour tous, le camarade d’hier que l’on regarde désormais du coin de l’œil avec méfiance et suspicion, s’appelle Guillaume Soro.
LE SPECTRE SORO
L’éviction de Guillaume Soro des probables présidentiables au Rdr a commencé à se préciser dès la création du poste de vice-président ; car ce poste écarte systématiquement le PAN de la succession automatique en cas d’empêchement du chef de l’Etat. Une manière donc pour le pouvoir de mettre un terme aux ambitions du PAN. Et, depuis, à tous les niveaux, l’on manœuvre pour briser les ailes du PAN. Chaque occasion de malaise social attire sur lui les regards suspicieux de ses rivaux, notamment ceux du Rdr. Se débarrasser définitivement de lui est devenu une préoccupation majeure.
Le mécanisme d’affaiblissement a été mis en place par approche homéopathique : limogeage d’Alain Lobognon, l’un de ses premiers lieutenants, chassé du gouvernement après la CAN 2015 à la suite de l’affaire dite des primes impayées ; limogeage du général Soumaïla Bakayoko, chef d’état major des armées, à la suite de la mutinerie de janvier. On note d’autres départs : Sidiki Konaté, Moussa Dosso, Affoussiata Bamba, etc. Les dernières mutineries et le mouvement d’humeur des démobilisés à Bouaké n’ont pas encore fini de livrer leurs secrets. L’enquête continue avec la convocation du chef du protocole de Guillaume Soro surnommé Soul To Soul à la brigade de recherche. Il faut ajouter à cela, le projet de démolition de la résidence du PAN à Bouaké, projet arrêté en Conseil des ministres. C’est dans cette perspective de nuire au PAN qu’il faut lire le manque de soutien à la candidate Fatoumata Diop candidate aux récentes législatives à Brobo et Bouaké Sous-préfecture. La défaite, aux senteurs d’humiliation, de la ministre Affoussiata Bamba à Cocody face à Yasmina Ouégnin pourtant en rébellion ouverte contre le Pdci et le Rdr, en rajoute aux actes d’intimidation infligés à Guillaume Soro. Tous ses actes et décisions démontrent une certaine frilosité du gouvernement et du Rdr à l’approche de 2020. Les pics entre partisans ne manquent pas à la partie.
Qui donc a peur de la présidentielle 2020 ? La réponse semble évidente : le Rdr et le Pdci-Rda. Deux partis qui essaient de court-circuiter le choix du peuple souverain de Côte d’Ivoire par des combines successorales internes. Leur défaite respective et probable en 2020 conduirait immanquablement Guillaume Soro au pouvoir ; et avec lui et par lui, à un sérieux renouvellement de la classe politique ivoirienne qui a besoin de toilettage et de rajeunissement. En Afrique, on ne quitte pas le pouvoir de gaîté de cœur. Il faudrait bien le quitter un jour, pourtant…
Moh Laumet-Djè.
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