Chers Tous,
Aujourd’hui, chers amis, je ne donnerai pas plus de détails, parce que mon biographe dont je tais le nom, à la lecture du premier billet de « Trop est Toujours Trop » hier, s’est plaint en m’accusant de vouloir lui piquer son boulot.
Je vous raconterai seulement deux petits faits assez intéressants pour ne pas être anecdotiques, qui ont dû marquer mon enfance et sans doute forgé aussi mon caractère. Le célèbre psychanalyste autrichien Sigmund Freud ne disait-il pas à juste titre que « L’enfant est le père de l’homme » ?
Je ne me souviens plus très exactement de l’année, mais je crois que nous devions être autour de 1976, toujours dans notre petite bourgade de Niéllé, dans l’extrême-nord de la Côte d’Ivoire, avec mon père, ma mère et un de mes cousins, Soro Nonhonton Yacouba. Mon cousin Yacouba et moi dormions sur une natte, dans cette petite maison de deux chambres-salon. Mon père ne nous avait pas encore acheté de lit. Mon cousin, plus âgé que moi, allait déjà à l’école primaire publique. Une nuit, très tard, nous étions endormis. Soudain, je ressentis à mon mollet gauche une douleur brûlante. Brusquement réveillé, je me mis à pleurer à chaudes et bruyantes larmes. Et plus je grattais le lieu de la brûlure, plus augmentait la douleur !
Mon père et ma mère, alertés par mes cris stridents, accoururent aussitôt dans notre chambre. Mon père me prit dans ses bras, me demandant ce qui n’allait pas et cherchant dans cette nuit, à comprendre ce qui m’arrivait. Je tentai, en plein sanglots une piteuse explication, qui ne le convainquit point. Mon père crut d’abord que c’était une fourmi qui m’avait piqué. S’emparant de notre lampe-tempête à pétrole, il se mit à inspecter les recoins sombres de la pièce et découvrit aussitôt un scorpion. C’est ce terrible insecte qui venait de m’injecter son dard. J’avais terriblement mal et je pleurai de plus belle.
Les voisins alertés par mon émoi bruyant, vinrent aussitôt à notre rescousse. Autant vous dire que Niellé (ce village éloigné), était à mille lieux du premier médecin! Comment allait-on apaiser ma douleur qui empirait? Les adultes étaient dépassés par la situation. C’est alors qu’un voisin, dont j’ignore le nom, proposa une idée originale.
Il convainquit mon père d’utiliser le câble de transmission du courant électrique d’une mobylette mise au démarrage. Il suggéra de poser ce câble de courant actif sur ma plaie. Mon père accepta la terrible solution, tellement il avait hâte de voir ma douleur cesser. Enfant, j’ignorais bien sûr tout des risques pris par ces adultes pour apaiser ma douleur…
Je reçus une forte décharge électrique qui fit tressaillir tout mon corps.
Je poussai un grand cri d’effroi et de douleur. Mon père ne recommença pas la manœuvre. Mais curieusement, la douleur s’apaisa.
Cet épisode m’a beaucoup marqué, car j’ai appris depuis lors à affronter courageusement la douleur. Mieux, on m’a appris ainsi que dans certaines situations, c’est l’acceptation de la douleur qui permet de dépasser la douleur. On m’a appris que parfois, c’est la douleur qui tue la douleur. Quand la douleur est de trop, il arrive que trop de douleur neutralise la douleur !
Le deuxième fait que je voudrais vous raconter date aussi de cette époque de mon enfance à Niellé. Vivant dans cette petite maison d’enfance, je dus affronter de longs moments de solitude quand mon papa partait au travail, et mon cousin, à l’école. Moi, un garçon si intrépide et dégourdi, je devais rester à la maison avec ma seule maman. Et c’est avec elle seule que je pouvais jouer. Vous pouvez deviner à quel point c’était frustrant, d’autant plus que tous les autres enfants du patelin allaient soient à l’école, soit avec leurs parents aux champs. Nous venions à peine de nous installer à Niellé et mon père n’avait pas encore fait de champs.
Je sentais peser sur mes épaules la monotonie des jours. Et voici qu’un jour, ma mère s’en alla en voyage au village, je ne savais trop pourquoi. En fait, je devais apprendre plus tard que c’était pour accoucher d’un enfant. Sur le moment, je n’en savais rien, d’autant plus que je ne savais même pas que ma maman était enceinte. Je restai donc à Niéllé avec mon père et mon cousin Yacouba. Et chaque fois, il fallait désormais que je reste seul à la maison, quand l’un était au travail, l’autre à l’école. Pendant cette période de solitude, je maugréais. Mon père essayait tous les matins de me distraire et me flatter avec des bonbons que j’aimais bien. Mais cela n’y faisait rien. Même bonbon en bouche, je pleurai sur mon sort. Je me sentais abandonné. Et surtout, je m’étais passionné pour l’idée d’aller à l’école ! Quand ma mère revint quelques mois plus tard, je la vis affublée d’un petit bébé dans les bras. Je me demandai d’où sortait celui-là, quand on m’apprit que c’était mon petit frère Soro Simon, que ma mère était allée accoucher au village.
Je ne l’avais pas vu venir ! Et voilà que, quand mon père et mon cousin Yacouba étaient au travail et à l’école, moi je devais rester avec ma mère qui me confia le rôle ingrat de baby-sitter de mon cadet Simon. Un garçon agile comme moi n’aimait pas ce genre de tâches statiques et monotones. Je n’aimais pas ça du tout ! Rester assis pendant de longues heures derrière le bébé, les jambes écartées et l’œil attentif, pour veiller qu’il ne se casse pas la figure… Je n’en pouvais franchement plus ! (Je lui faisais de petites méchancetés que je n’ose avouer ici. Ceux qui connaissent Simon, posez lui la question, Il vous racontera car ma Mère lui rapportera longtemps après ce que je lui fis subir, et ce à ma plus grande honte). Je désirai ardemment aller à l’école plutôt que de veiller Simon et je le fis savoir de toutes les façons possibles !
Dans ces villages des tréfonds perdus de la savane ivoirienne, autant vous signaler qu’on n’allait à l’école primaire publique qu’à partir de l’âge de huit ans. J’avais six ans, et le joli kaki, tout comme les chaussures Bata des écoliers de Niéllé me fascinaient à mourir. Je pleurais tant et si fort tous les matins de cette année-là que mon père finit par se résoudre d’aller négocier une place anticipée pour moi à l’Ecole Primaire Publique, pour la rentrée de septembre 1978. Mais la direction de l’EPP n’accepta pas de me prendre comme un élève-plein. Je fus admis à l’école au départ comme élève-bénévole.
Pour moi, l’essentiel était obtenu.
J’eus enfin droit au kaki et aux chaussures Bata comme mes camarades ! J’étais ravi et soulagé de mes tâches de baby-sitter ! Mais mieux encore, tout dégourdi que j’étais, je surpris agréablement le maître par ma volonté d’apprendre. Il finit par me remarquer. Mon premier instituteur me donna alors ma chance en m’admettant d’office comme élève-plein au Cours Préparatoire, à six ans et demi. Je terminai l’année scolaire au rang de 7ème de la classe ! A une époque où beaucoup d’enfants fuyaient l’école à cause de la chicotte qui y faisait des ravages, moi je conçus l’école comme la promesse et la garantie de ma liberté. Je n’ai d’ailleurs jamais oublié la scène terrible d’un de mes camarades de classe, traumatisé par la vue du fouet du maître qui allait claquer sur sa chair. IL avait bondi comme un fauve effrayé hors de la classe, par la fenêtre, et s’était enfui à tout jamais de l’école ! Je le revis au quartier quelque fois en train de faire paître les bœufs pour la culture attelée.
Cet épisode m’a en tout cas appris que la détermination et la persévérance sont essentielles pour accomplir nos rêves. Devant les nombreux obstacles de la vie, il faut savoir se choisir un cap et chercher de toutes les façons possibles, des solutions pour le réaliser de la meilleure manière dont nous puissions être capables. Le trop plein d’obstacles et d’embûches requiert toujours trop de volonté, pour que le destin de chacun d’entre nous s’accomplisse.
Zut la sonnerie vient de retentir dans ma chambre…
Ah c’est mon protocole Adon Honorat!
Je dois interrompre mon inspiration, qui commençait pourtant à prendre son envol !
Voilà c’est l’heure de se rendre au cocktail dînatoire de nos hôtes Luxembourgeois!
Ah, ces agents du protocole ! De vrais dictateurs.
J’espère vous revenir bientôt, si les charges républicaines m’en laissent le loisir, pour un troisième épisode de « Trop est toujours Trop », chères lectrices et lecteurs .
Guillaume Soro