Côted’Ivoire/CPI:Procès Gbagbo : Ne faut-il pas prononcer la liberté provisoire ?

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Côted’Ivoire/CPI:Procès Gbagbo : Ne faut-il pas prononcer la liberté provisoire ?

7 ans après son transfèrement à la Haye, l’ex-Président Laurent Gbagbo s’est vu refuser 11 fois les demandes de liberté provisoire introduites par ses avocats. Les arguments évoqués par la Chambre de première instance I sont-ils assez solide pour le maintenir en détention ? Notre observateur donne des éléments de réponses.

Par R. Boni

Depuis le 29 novembre 2011, date de son transfèrement à la Cour Pénale Internationale, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo est incarcéré au centre pénitentiaire de Schevenighen. Il lui est reproché quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité. De cette date jusqu’à ce jour, une dizaine de requêtes ont été introduites par ses avocats pour demander sa mise en liberté provisoire. Elles ont toutes été rejetées.

Dans l’air des révélations de Médiapart sur les conditions de son transfèrement vers la CPI et des supposées malversations de l’ancien procureur de la Cour – Louis Moreno Ocampo, l’on peut aussi douter de l’équité des décisions de juges. Car les motivations souvent avancées pour refuser les demandes de mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo laissent à désirer.

La méconnaissance du droit à la présomption d’innocent…

Dans sa décision du 10 mars 2017, la Chambre de première instance I de la CPI avait décidé du maintien en détention de M. Gbagbo en évoquant un argument surprenant au regard de la présomption d’innocence. Il a été reproché au pensionnaire de Scheveningen d’avoir plaidé non coupable lors de l’audience de confirmation des charges.

Dans tous les cours élémentaires de procédure pénale, on enseigne le principe sacro-saint de la présomption d’innocence. C’est-à-dire que toute personne qui se voit reprocher une infraction doit être considérée comme innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement prouvée et établie par une décision de justice devenue définitive.

Ainsi, lorsque l’on est arrêté, détenu et en cours d’être jugé, même pour crime contre l’humanité, l’individu doit tout de même être considéré comme n’étant pas coupable des faits qui lui sont reprochés. Cela aussi longtemps que la juridiction devant laquelle il comparaît n’a pas rendu une décision de condamnation devenue définitive. C’est un principe fondamental qui trouve sa source dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Et pourtant, curieusement, pour refuser la liberté provisoire à Laurent Gbagbo, un tel principe a été violé par les juges de première instance chargés de concourir à la défense et à la protection des Droits de l’Homme dans le monde. Heureusement pour le droit, la Cour d’Appel de l’institution s’est voulue très critique sur une telle décision.

L’existence d’un réseau Pro-Gbagbo…

Dans la dernière décision de maintien de Laurent Gbagbo en détention, le principal argument avancé était l’existence d’un réseau de supporters. Pour les juges de Première Instance, le réseau de pro Gbagbo pourrait organiser la fuite du pensionnaire de Scheveningen une fois mis en liberté provisoire. En effet, pour les juges, Laurent Gbagbo bénéficie de nombreux soutiens qui le considèrent toujours comme le président légitime de la Côte d’Ivoire. Les plus de 25 millions de signatures d’une pétition recueillie à travers le monde en faveur de l’accusé viennent renforcer cette position.

Un tel argument fait appel à des conjectures que seuls les juges sauront justifier dans les moindres détails. Mais quoiqu’il en soit, il semble évident que les arguments de fait peuvent maintenant servir à justifier le maintien en détention de Laurent Gbagbo.

Cependant, il y a lieu de se demander si la CPI a pu se rapprocher des Etats coopérants pour s’enquérir de leur capacité en matière de sécurité à recevoir en résidence surveillée un accusé. Car, à notre connaissance, le supposé réseau Pro Gbagbo n’a pas été publiquement reconnue comme une organisation criminelle internationale.

De plus, de nos jours, les technologies disponibles pour assurer le traçage, surveillance et limitation des déplacements des personnes foisonnent. Elles peuvent donc servir la cause de la justice internationale.

Les autres arguments…

Pour terminer, passons rapidement sur deux, voire trois points.

Tout d’abord le délai raisonnable dans lequel doit être jugé un accusé. A ce sujet, le juge Cuno Tarfusser, contrairement à l’avis de ses deux collègues, dans son « opinion dissidente » a déclaré que le long séjour de détention milite en faveur de l’octroi de la liberté provisoire. Pour rappel, il y a bientôt six ans (06) que l’ex-président ivoirien est détenu à la Haye.

Ensuite, les 72 ans d’âge de Laurent Gbagbo font de lui un vieillard avec quelques problèmes de santé. Comme l’a fait remarquer la Chambre d’appel, « l’âge avancé [devrait plutôt être considéré, Ndr] comme un facteur qui pourrait potentiellement atténuer la possibilité de fuir ». En clair, l’âge de Laurent Gbagbo devrait pouvoir servir la cause du prononcé de sa liberté provisoire.

Enfin, et pour conclure, il semble qu’à ce jour tous les arguments de droit justifiant la détention de Laurent Gbagbo soient désormais caducs. Et ironie du sort à notre sens, la Cour, organe juridictionnel, semble surfer sur des supputations quasiment d’ordre politique pour maintenir Laurent Gbagbo à la prison de Scheveningen.

A lire aussi : La chambre d’appel de la CPI prononce-t-elle des décisions de mise en liberté provisoire ?

A l’heure des révélations fracassantes de Médiapart, des accusations persistantes et des soupçons d’être un outil à la solde des puissants, la CPI se doit de rassurer. Elle doit rassurer en évitant le piège des émotions. Elle doit s’habiller du voile de l’ignorance et se prononcer uniquement en droit. Peut-être qu’ainsi, elle verrait qu’il est maintenant opportun de prononcer la mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo. Car, il faut le rappeler, la mise en liberté provisoire ne signifie pas que l’accusé est disculpé des charges qui lui sont reprochées.