Quelques jours après la victoire de la sélection nationale, le président ivoirien a pris cette mesure pour « renforcer la cohésion du pays ». Elle vise des personnalités proches des opposants Laurent Gbagbo et Guillaume Soro.
Les moments d’euphorie sportive ont parfois des traductions politiques subites et inattendues. Moins de deux semaines après la victoire de la Côte d’Ivoire à la Coupe d’Afrique des nations (CAN), le président Alassane Ouattara a octroyé sa grâce à 51 prisonniers, civils et militaires, tous condamnés pour « des infractions commises lors des crises post-électorales ou pour atteinte à la sûreté de l’Etat ».
L’annonce a été faite jeudi 22 février par Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet du chef de l’Etat, au terme d’une réunion du Conseil national de Sécurité (CNS). Selon le communiqué lu sur les antennes de la télévision publique, cette décision est directement liée au bilan sécuritaire de la CAN qui s’est déroulée en Côte d’Ivoire du 13 janvier au 11 février sans incident et s’est achevée en apothéose avec la victoire du pays hôte. Mais aussi, et surtout, à « l’esprit de fraternité, d’union et de cohésion » manifesté par les Ivoiriens pendant cette compétition. « Il y a encore quelques semaines le président estimait qu’il était trop tôt pour libérer des gens qu’ils considèrent pour certains comme des assassins, mais là il a jugé que le moment était venu pour renforcer la cohésion du pays », relate l’un de ses proches.
La grâce la plus attendue politiquement concerne un militaire. Le général Bruno Dogbo Blé, ancien commandant de la garde républicaine de Laurent Gbagbo, avait été arrêté le 15 avril 2011, quatre jours après la chute du pouvoir, sorti de sa planque en pyjama. Il avait depuis été condamné à trois reprises à de lourdes peines, notamment pour complicité dans l’assassinat en 2002 de l’ancien président Robert Gueï et pour celui de quatre personnes, dont deux français Stéphane Frantz Di Rippel et Yves Lambelin, enlevées au Novotel d’Abidjan en avril 2011 puis tuées.
Militaires pro-Gbagbo et proches de Guillaume Soro
Autre figure parmi les militaires pro-Gbagbo à bénéficier de cette mesure présidentielle : le colonel paulin kate gnatoa ancien adjoint du général Dogbo Blé, condamné pour avoir organisé en février 2012 au Ghana un « complot » visant à renverser le nouveau pouvoir ivoirien.
D’autres graciés sont des proches de l’ancien chef de la rébellion et ancien premier ministre Guillaume Soro, à commencer par Souleymane Kamaraté dit « Soul to Soul ». Déjà condamné, puis amnistié après la découverte d’une importante cache d’armes à Bouaké, le chef du protocole de Guillaume Soro était retourné en prison en 2019 pour une affaire similaire. Des armes retrouvées cette fois à Abidjan, au siège du parti Générations et peuples solidaires (GPS, depuis dissous), et dans la station balnéaire d’Assinie, lui avaient valu une condamnation à vingt ans de prison en 2021 pour « complot » et « tentative d’atteinte à la sûreté de l’État ».
Jean-Baptiste Kouamé Kassé, le chef de la garde rapprochée de Guillaume Soro, condamné à la même peine a bénéficié de la même mesure. Tout comme Affoussiata Bamba-Lamine, ex-porte-parole de la rébellion et ancienne ministre de la communication d’Alassane Ouattara. Condamnée en 2021 avec Guillaume Soro et ses coaccusés, elle avait suivi l’opposant en exil, et devrait désormais pouvoir revenir sur le sol ivoirien. Guillaume Soro, qui ne figure pas parmi les personnalités graciées, n’a effectué aucun commentaire.
« Les Ivoiriens sont parvenus à s’entendre sur l’essentiel »
En plus de la grâce accordée à 51 personnes, six autres en détention préventive doivent être placées en liberté provisoire, selon le communiqué du CNS. Ce dernier indique également que le premier ministre Robert Beugré Mambé a rencontré les associations des victimes des crises post-électorales mercredi, « en vue de leur réitérer la compassion et le soutien de l’Etat » et de les « exhorter au pardon ». Un mémorial doit être érigé en hommage aux victimes, promet le CNS, « afin que de tels crimes ne se produisent plus jamais dans notre pays. »
« Depuis le début de l’année, il y a une certaine paix sociale qui prévaut en Côte d’Ivoire du fait de la CAN, estime le politologue Sylvain N’Guessan, laquelle s’est encore renforcée après la victoire. Dans leur grande majorité, les Ivoiriens sont parvenus à s’entendre sur l’essentiel et à s’aligner derrière leur équipe nationale. » Cette vague de grâces vise donc à prolonger situation, analyse Sylvain N’Guessan, à un an et demi de l’élection présidentielle, et alors que la grogne commençait à monter au sein de la population face à une cherté de la vie qui ne faiblit pas et au récent déguerpissement des habitants du quartier de Gesco, à Yopougon.
Du côté de l’opposition, Laurent Gbagbo s’est dit « heureux » auprès de ses proches de cette décision. Ira-t-il jusqu’à se saisir de son téléphone pour remercier Alassane Ouattara d’un geste que lui et ses partisans réclamaient depuis des années ? L’ex-première dame Simone Gbagbo, divorcée civilement et politiquement de son époux, n’a, elle, manifesté aucune joie. Il faut dire que son ancien aide de camp, Anselme Seka Yapo, connu sous le surnom de seka seka ne figure pas parmi les bénéficiaires de la mesure présidentielle.
« Son dossier est plus complexe », explique une source proche du pouvoir, et aussi plus lourd. Condamné pour l’assassinat en 2002 de l’ancien président Robert Gueï ainsi que celui du chauffeur de l’ancien ministre Joël N’Guessan durant la crise postélectorale de 2010-2011, « Seka Seka » a également été accusé d’être l’un des responsables des « escadrons de la mort », suspectés d’assassinats politiques durant les années 2000. Son nom a notamment été cité dans la disparition toujours irrésolue du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer.
MARINE JEANNIN