Une procédure « discriminatoire et injuste », à l’encontre d’une « victime expiatoire ». Tels sont les arguments de Me Paul Yomba Kourouma pour réclamer la remise en liberté conditionnelle de son client, Aboubacar Sidiki Diakité, dit « Toumba ». Extradé du Sénégal le 12 mars, l’ancien aide de camp du président déchu Moussa Dadis Camara (au pouvoir de décembre 2008 à décembre 2009) est considéré comme l’un des principaux responsables du massacre du 28 septembre 2009 : rassemblées dans le stade de Conakry pour contester la junte au pouvoir, 157 personnes avaient été tuées par les forces de sécurité, et plus d’une centaine de femmes violées. L’une des pages les plus sanglantes de l’histoire de la Guinée.
Après avoir tenté en décembre 2009 d’assassiner Moussa Dadis Camara qu’il soupçonnait de vouloir lui faire porter l’entière responsabilité du massacre du 28 septembre, « Toumba » avait fui le pays. Arrêté à Dakar, il est aujourd’hui le seul gradé derrière les barreaux. Parmi la quinzaine d’autres inculpés dans le dossier du 28-Septembre, trois occupent encore de hautes fonctions dans l’appareil d’Etat : le général Mathurin Bangoura, nommé en mars 2016 gouverneur de Conakry, Claude Pivi, ministre chargé de la sécurité présidentielle, et Moussa Tiégboro Camara, chef des services spéciaux chargés de la lutte contre la drogue et le crime organisé. Quant à leur ancien patron, Moussa Dadis Camara, il vit toujours en exil à Ouagadougou, à l’abri des poursuites.
« Culture de l’impunité »
« Cela démontre le poids de l’armée sur les instances politiques et judiciaires, assure Moctar Diallo, directeur pays de l’organisation non gouvernementale Aide et action International Afrique, mais aussi la culture de l’impunité qui prévaut en Guinée ». Une analyse partagée par Florent Geel, responsable Afrique de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), partie civile dans le dossier : « En Guinée, aucun militaire n’a été condamné pour violations graves des droits de l’homme depuis quarante ans », rappelle-t-il. « Toumba » pourrait être le premier, quitte à porter le chapeau pour tous les autres.
Impensable pour Asmaou Diallo, présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa) : « L’Etat serait très mal à l’aise. Tous les Guinéens savent qui sont les coupables, et tout le monde veille. » Mais d’autres, comme Moctar Diallo, se montrent moins catégoriques : « Les gens sont partagés. Beaucoup pensent qu’on ne peut pas faire confiance à la justice et que ces responsables préparent une nouvelle mascarade. » Toujours bien placés dans l’appareil sécuritaire, les responsables en question font profil bas dans l’attente d’une éventuelle inculpation. « Je n’ai pas eu vent d’actes concrets pour influencer la procédure, mais leur simple présence en liberté suffit à dissuader des témoins », assure Moctar Diallo.
Neuf ans après les faits, l’ombre de la junte militaire plane encore. Moussa Dadis Camara conserve de nombreux soutiens en Guinée forestière, la partie sud du pays, opposée au Nord majoritairement peuplé de musulmans. « Comment imaginer, sinon, qu’un individu arrivé par un putsch et responsable de telles exactions puisse encore se porter candidat ? » s’interroge Florent Geel, en référence à l’annonce par Moussa Dadis Camara, en 2015, de sa participation à l’élection présidentielle cette année-là.
Un procès prévu pour la fin de l’année
Elu une première fois en 2010 avec une courte majorité (52,5 % des suffrages), le président Alpha Condé a dû composer avec un système déjà en place. « Une grande partie du personnel politique est issu de l’ancien système. Le président a changé, mais la classe au pouvoir est restée la même », commente Moctar Diallo. L’exécutif demeure le théâtre d’« équilibres politico-sécuritaires souvent mal compris par les victimes », selon Florent Geel. Néanmoins, le dossier du massacre du 28 septembre a trouvé un nouveau souffle avec l’arrivée de Cheikh Sakho à la tête du ministère de la justice, en 2014.
Pour le président Alpha Condé, le procès, prévu pour la fin de l’année, doit permettre au pays de s’affranchir de la Cour pénale internationale (CPI), qui accompagne la procédure. « Personne n’aurait imaginé voir un militaire en prison il y a cinq ou six ans », rappelle Mouctar Diallo. Du côté des victimes, Asmaou Diallo reconnaît des « avancées », mais regrette toujours le manque de moyens octroyés aux juges par le pouvoir en place. Personne ne sait ni où ni comment accueillir ce procès, qui s’annonce hautement symbolique : la comparution de militaires à la barre est très attendue par les Guinéens, désireux de tourner la page de l’impunité.
Camille Laffont