La DGSE est un service de l’État, placé sous l’autorité du pouvoir exécutif, qui opère dans un cadre juridique et déontologique très strict.
Alassane Ouattara et le Roi du Maroc Mohamed VI, lors de la visite d’État de ce dernier en Côte d’Ivoire.
188,5 milliards de francs cfa remboursés au gouvernement ivoirien dans le cadre de l’initiative ppte ont atterrit sur le compte suisse du gendre d’Alassane Ouattara en février 2014 après avoir transité par un circuit opaque. L’antenne marocaine de la DGSE qui soupçonne le chef de l’Etat ivoirien lui-même a également démontré des relations d’affaires pas toujours propres entre le chef de l’état ivoirien et son homologue royal. Des documents ultra confidentiels mettent également en lumière le fait que c’est sous l’administration Gbagbo que le trésor public ivoirien a viré quelque 5,2 milliards dans un compte HSBC Bank Genève logé à Paris Opéra pour assurer le payement de factures pour des marchés fictifs d’infrastructures urbaines.
Alassane OUATTARA, avec Sa Majesté Mohammed VI, Roi du Maroc
Alors qu’il n’était même pas encore président de la ré- publique et n’avait aucune responsabilité au niveau de l’état, Alassane Dramane Ouattara avait réussi, en 2006, déjà, à faire virer sur le compte parisien du trésor public ivoirien logé dans la succursale française de la banque suisse HSBC Private Bank Genève située dans la rue Paris-Opéra sous le numéro 300568900000012395678, quelque 7,9 millions d’euros, soit 5,2 milliards, grâce à l’entregent du directeur général du trésor public de l’époque qui n’était autre que Charles Koffi Diby lui-même et dont on imagine amplement la re conduction dans les mêmes fonctions lorsque Ouattara arriva au pouvoir en 2011, dans des conditions que j’épargne au lecteur.
En tout cas, c’est ce que disent les derniers documents de la DGSE dont le journal « Aujourd’hui » a obtenu copie. Sur l’échelle du scandale, ce n’est d’ailleurs pas la plus grande révélation de ce document qui montre également que 188,5 milliards de francs, soit 2,9 milliards d’euros, représentant les crédits remboursés au gouverne- ment ivoirien par le gouvernement français, dans le cadre du contrat désendettement développement (C2D) qui fait lui-même suite à l’obtention de l’initiative (p.p.t.e), et sont destinés aux financements de divers projets, ont suivi un circuit opaque pour se retrouver sur le compte de Benedict Senger gendre du président ivoirien réfugié derrière le code BUA. Ce compte est répertorié sous un numéro identique à celui du secrétaire particulier du roi du Maroc Mohammed VI avec qui Alassane Ouattara entretient un réseau d’affaires depuis qu’il était dans l’opposition.
C’est d’ailleurs au nom de ce lien relativement ancien que le ministre de l’économie de Laurent Gbagbo a financé des factures fictives endossées par le roi. Ces sommes n’ont pas été encaissées par le roi lui-même, puisque selon son entourage, Mohammed VI a accepté cette magouille pour venir en aide à la famille Ouattara qui avait besoin de cet argent. « Le chef d’antenne, au cours de ses recherches, a procédé à des manipulations qui lui ont permis d’atteindre l’entourage M. El-Majidi discrètement interrogé au sujet du compte suisse du roi, en souhaitant savoir s’il était toujours actif. Son entourage, notamment son secrétaire particulier avec lequel, le chef est en bonne intelligence a, en effet, confirmé [l’ensemble de ces renseignements, qui] relèvent du plus strict secret bancaire et de la vie privée de Sa Majesté le roi, dès lors qu’il s’agit d’éléments relevant de la sphère patrimoniale privée de ce dernier. Avant d’ajouter : En tout état de cause, que cette ouverture de compte bancaire en Suisse s’est faite pour apporter un soutien à la famille du président Ouattara avec qui, sa majesté le Roi entretient d’excellents rapports d’affaires », assure la DGSE dont la hiérarchie estime « qu’entre l’automne 2013 et le 31 mars 2014, période couverte par les listings que le chef d’antenne de Rabat a pu consulter, le montant maximal enregistré sur ce compte était de 7, 9 millions d’euros.
Montant correspondant au transfert opéré à partir du compte parisien du trésor public ivoirien ». Les liens d’affaires entre Alassane Dramane Ouattara et le roi du Maroc sont d’ailleurs nombreux et permettent de comprendre les raisons pour lesquelles le souverain chériffe est déjà venu à Abidjan à deux reprises dans le cadre des visites d’état. Mais le document de la DGSE permet aussi de comprendre pourquoi le gouvernement ivoirien a réservé au roi les côtes sablonneuses de Port-bouët et Gonzagville débarrassées de ses habitations précaires dans une violence inouïe.
Le souverain chérifien doit en effet y construire des logements parce qu’il détient une holding de construction de logements, la SNI, qui pèse des milliards. Grâce à Group Invest et Mamadi Diané qui est l’un de ses conseillers spéciaux de Ouattara, le chef de l’état ivoirien est devenu l’un des principaux actionnaires ayant financé l’offre publique de rachat de la SNI. Dès lors, sa participation qui était insignifiante avant l’offre de 2010, est aujourd’hui de 13%. Les renseignements collectés au cours de ces recherches révèlent par ailleurs qu’une offre publique de rachat de l’omnium nord africain retranchée de la SNI en 2010 a en outre permis au clan Ouattara de prendre le contrôle de quelques éléments sur cette structure qui était, avant sa dissolution en 2010, le premier groupe industriel et financier privé marocain investissant dans les mines, l’agroalimentaire, la grande distribution et les services financiers.
Lorsque le souverain chérifien s’est débarrassé de l’ONA, 50% de son capital a été alors détenu par quatre sociétés immatriculées au Panama et créées par des mem- bres du clan Ouattara associés à certains membres de la fa- mille de Mohammed VI »… La holding royal compte égale- ment en son sein une société qui se nomme Group Invest où « la famille Ouattara possède des participations camouflées grâce à des prête- noms », accuse la DGSE. En plus de Group Invest, la SAR Invest contrôlée à 99,9% par le clan présidentiel ivoirien, élargit la palette des liens d’af- faires que Ouattara et le roi ont construits depuis de nombreuses années. Et si les fins limiers français re- commandent à leur pays de fermer les yeux sur les gaffes du roi en raison du soutien qu’il représente pour la France dans la lutte contre le terrorisme, en revanche pour le chef de l’état ivoirien, la DGSE appelle à la mise en place d’une opération spécifique destinée à mettre fin au recyclage des fonds illicites en provenance d’Afrique. « En revanche, s’agissant de l’implication directe et avérée du clan Ouattara dans ce processus de transferts opaques de fonds publics destinés au pro- gramme de développement de la Côte d’Ivoire, il est urgent de mettre en chantier une opération spécifique avec le concours soutenu dans la lutte contre le blanchiment et le recyclages de fonds illicites en provenance d’Afrique, des autorités des différents états de l’Union Européenne qui ont fait ratifier par leur parlement respectif cette disposi- tion réglementaire qui rentrera en vigueur en janvier 2017 », prévient le document.
SEVERINE BLE
CI-DESSOUS LE RAPPORT DE LA DGSE
1°) LE CONTEXTE
Suite à des renseignements de sources humaines, faisant état de soupçons avérés de transferts illicites de fonds massifs en provenance d’Afrique subsaharienne, ayant transité par le Royaume du Maroc, pour ensuite être réceptionnés par la HSBC Private Bank de Genève en toute opacité, le service a instruit le chef d’antenne de Rabat, conformément à la 4e directive de Lutte contre le blanchi- ment et le financement du terrorisme, lancée le 5 février 2013 et votée en commission du Parlement européen le 27 janvier 2015, d’entreprendre des recherches ciblées afin de mettre à jour la nature réelle de ces transferts avec leurs conséquences éventuelles pour la sécurité économique et politique des états de l’Union Européenne.
2°) LE DEBAT
Le compte-rendu du chef d’antenne met effectivement au jour un certain nombre d’intérêts croisés existants entre la famille royale et celle du Président Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire. Ces intérêts de la famille Royale et des membres du clan Ouattara sont logés au sein de la SNI et portés par trois grands ensembles. Il s’agit d’abord de Copropar, une coquille vide qui, jusqu’en 2013, ne comptait aucun salarié et que le service a vraiment découvert en 2014, lors d’un méga chamboulement capitalistique qui avait complètement métamorphosé l’architecture du groupe. Copropar est devenu la holding de tête contrôlant la SNI, qui elle-même a pris le contrôle de l’ONA à partir de cette date. Les données obtenues à partir de sources diverses et concordantes au sein de cette structure, permettent d’en savoir plus sur l’origine partielle des fonds ayant alimenté ces comptes. 2, 9 Milliards d’euros, remboursés au gouvernement ivoirien dans le cadre du contrat Désendettement Développement (C2D) pour le financement de projets co-décidés par la France et la Côte d’Ivoire ont pu suivre un circuit opaque pour se retrouver sur un compte bancaire à la HSBC Private Bank de Genève au nom Benedict Senger gendre du président ivoirien réfugié derrière le code BUA tout comme la famille royale et répertorié dans les livres de la banque sous un numéro identique à celui du secrétaire particulier du roi Mohammed VI.
Les renseignements collectés au cours de ces recherches, révèlent qu’une offre publique de rachat de l’ONA retranchée de la SNI en 2010 a permis au clan Ouattara de prendre le contrôle de quelques éléments sur cette structure. Près de 50% de son capital est détenu par quatre sociétés immatriculées au Panama. Il pourrait s’agir de : Providence Holding, Unihold Holding, Yano Participation et Star Finance. « Il s’agit de sociétés créées par des membres du clan Ouattara associés à certains membres de la famille de Mohammed VI »… Plus de 9% du capital est quant à lui détenu par Ergis, l’ancienne Siger héritée de Hassan II qui a changé de dénomination en 2002. La nouvelle Siger, qui appartient exclusivement à Mohammed VI, détient plus de 41% du capital de Copropar créé conjointement avec le chef d’état ivoirien Alassane Ouattara (toujours selon les notes de renseignement de 2014), mais aussi une participation directe dans la SNI. La holding royal compte également, en son sein, une structure qui se nomme Group Invest dans la quelle la famille Ouattara pos- sède des participations camouflées grâce à des prête- noms.
Celle-ci a été également révélée lors des opérations de 2014. Et selon les données rendues publiques par le CDVM, il s’agirait d’une société contrôlée à 99,9% par une autre entité qui s’appelle SAR Invest qui a également partie liée avec le clan présidentiel ivoirien. Officiellement, cette structure appartiendrait exclusivement son à Altesse Royale. Des témoignages tous aussi divers et concordants font , en revanche, état de ce que Alassane Ouattara a pu mettre Group Invest à profit à travers un de ses conseillers spéciaux Mamadi Diané pour devenir l’un des principaux initiateurs qui ont mis la main à la poche lors de l’OPR, offre publique de rachat, sur la SNI. Alors que sa participation était insignifiante avant l’offre de 2010, la part du capital détenu au- jourd’hui est de 13%. Mais si cette structure s’est renforcée dans le tour de table, après les opérations de radiation et de fusion, d’autres sociétés en revanche ont vu leur part se diluer. RMA Watanya par exemple, propriété de Oth- man Benjelloun devenu persona non grata depuis sa tentative avortée en 1999 de prendre le contrôle de la SNI (ancienne version), a vu ses parts diminuées à 3%, alors qu’il devait détenir 9% dans la nouvelle entité née de l’absorption. La compagnie avait, comme d’autres institutionnels, vendu une partie de ses titres lors des OPR.
Le clan Ouattara porté par la famille royale marocaine comptait parmi les clients de HSBC Private Bank. En effet, selon les documents confidentiels ob- tenus par Le journal le Monde, un compte bancaire au nom de « Sa Majesté le roi Mo- hammed VI », codétenu avec son secrétaire particulier, Mounir El-Majidi, a été ouvert le 11 octobre 2006 chez HSBC Private Bank à Genève et a ré- gulièrement reçu d’importants flux financiers provenant du compte parisien N° 30056 89000 0001 2395 678 HSBC Paris-Opéra appartenant au trésor public ivoirien en guise de payement de factures pour des marchés fictifs d’infrastructures urbaines. Cette fois encore, l’’identité royale se réfugiait derrière un code interne (BUP, pour « business partner ») répertorié dans les livres de la banque de la HSBC Private bank Genève : 5090190103. Entre l’automne 2013 et le 31 mars 2014, pé- riode couverte par les listings que le chef d’antenne de Rabat a pu consulter, le mon- tant maximal enregistré sur ce compte était de 7, 9 millions d’euros. Montant correspondant au transfert opéré à par- tir du compte parisien du tré- sor public ivoirien. Or, il est en principe illégal, pour des Ma- rocains résidant au Maroc, de détenir un compte bancaire à l’étranger. Seul l’Office des changes conserve le pouvoir d’accorder des dérogations à titre exceptionnel. Cette administration chargée de réguler la circulation des devises ac- corde régulièrement des amnisties en échange du rapatriement des fonds marocains placés à l’étranger – la dernière campagne sous le sceau du « patriotisme économique » vient tout juste de s’achever sur un rapatriement record de 2,2 milliards d’euros.
Dans un tel contexte, la révélation d’un compte ouvert en Suisse au nom du roi est politiquement sensible – même si le montant de près de 8 millions d’euros qui y figure semble modeste, en regard d’une fortune personnelle du monarque estimée à 1,8 milliard d’euros. La révélation d’un compte ouvert en Suisse est sensible en période de campagne de « patriotisme économique » Le chef d’antenne au cours de ses recherches a procédé à des manipulations qui lui ont permis d’atteindre l’entourage M. El-Majidi discrètement interrogé au sujet du compte suisse du roi, en souhaitant savoir s’il était toujours actif. Son entourage, notamment son secrétaire particulier avec lequel le chef est en bonne intelligence a en effet confirmé [l’ensemble de ces renseignements, qui] relèvent du plus strict secret bancaire et de la vie privée de Sa Majesté le roi, dès lors qu’il s’agit d’éléments relevant de la sphère patrimoniale privée de ce dernier. Avant d’ajouter : En tout état de cause, que cette ouverture de compte bancaire en Suisse s’est faite pour apporter un soutien à la famille du président Ouattara avec qui, sa majesté le Roi entretient d’excellents rapports d’affaires, mais aussi dans le strict respect de la réglementation en vigueur au Maroc.
Le cas spécifique de la famille royale Le prince Moulay Rachid et la princesse Lalla Meryem, respectivement frère cadet et sœur aînée de Mohammed VI, figuraient égale- ment dans la liste des clients de HSBC PB à Genève, sans indication des montants de leurs avoirs. Les manipulations effectuées par le service n’ont pas permis à ce jour de mettre en lumière les montants réels qui ont été déposés sur ces comptes et leurs origines. Les personnes ressources contactées dans le cadre des recherches ont envoyé les mêmes éléments de réponse que pour le roi. La famille régnante, outre ses nombreuses terres et rési- dences, tire l’essentiel de sa fortune de la Société nationale d’investissement (SNI), le plus important groupe privé du pays. Selon nos estimations, Mohammed VI aurait perçu près de 8,7 millions d’euros en dividendes de la SNI à l’été 2006. Or, en octo- bre, en plus des fonds provenant du clan présidentiel ivoirien qui ont été recyclés par le canal de ce compte codé, c’est à peu près la même somme qui a été déposée sur le compte ouvert à Genève.
La SNI (ex-ONA-SNI, ex-ONA) avait été héritée de Hassan II à la mort de ce dernier, en 1999. A la fin de sa vie, le monarque n’en détenait que 13 %. Depuis, le contrôle royal s’est raffermi et le groupe s’est étendu. C’est au- jourd’hui un empire qui détient des parts, le plus souvent majoritaires, dans trente-quatre compagnies – certaines multinationales – réparties dans une quinzaine de sec- teurs économiques majeurs (banque, énergie, métallurgie, mines, téléphonie, immobilier, hôtellerie, distribution…). Ce conglomérat, qui pesait 6,4 milliards d’euros en 2013 (soit à lui tout seul, 7 % du PIB marocain), est aujourd’hui dé- tenu à près de 60 % par la famille royale, à travers différentes holdings personnelles. Si la structure et les chiffres de la SNI sont connus au Maroc, ceux des holdings royales « de tête » ont toujours été un mystère, à peine effleuré à l’occasion d’une opération boursière en 2014. Grâce à des documents qu’il a pu consulter en marge des listings HSBC, Le service peut au stade actuel de ses recherches confirmer l’existence d’un vaste réseau de transferts illicites de capitaux publics, notamment ivoiriens ayant atterrit dans les livres de HSBC Private Bank Genève en violation des dispositions réglementaires de l’Union Européenne desquelles le canton de Genève et la Confédération Helvétique ne se préoccupent aucunement. Les holdings Ergis et Siger (deux anagrammes de regis, le mot latin pour roi), coiffant la SNI, appartiennent au monarque lui-même, même si celui-ci ne l’a jamais précisé officielle- ment. Reste que les HC dont le service dispose au sein du palais l’admettent eux-mêmes :
Le fait que Sa Majesté le roi dispose d’un patrimoine privé et de participations actionnariales dans un certain nombre de sociétés, au travers d’une société holding, demeure un sujet sensible doit absolu- ment rester dissimulé à cause de ses nombreuses ramifications extérieures qui impliquent des chefs d’états amis de la région. En plus de leurs parts dans la SNI, Siger et Ergis détiennent de solides in- térêts dans l’agroalimentaire et les cosmétiques, l’hôtellerie, l’électricité, l’ameublement, mais aussi des secteurs surprenants comme la chasse au gibier, la verrerie, et l’entretien des sols. Au total, plus d’une vingtaine d’entreprises dont plusieurs, lourdement capitalisées. Chacun des frères et sœurs de Mohammed VI dispose également de sa pro- pre holding : Providence hol- ding pour le prince Moulay Rachid, et Unihold, Yano Participation et Star Finance pour, respectivement, les princesses Lalla Meryem, Lalla Asma et Lalla Hasna. 3°) Le Positionnement du service Ce dossier, même s’il présente un intérêt particulier au plan politique et économique ne devrait pas, pour ce qui est de la famille Royale du Maroc, ne devra pas nous amener à perdre de vue que la France et le Maroc viennent de franchir un pas décisif vers le rétablissement de leur coopération judiciaire, près d’un an après sa suspension décidée par Rabat sur fond de vives tensions politico-militaires. Cela ouvre la voie à une reprise du partenariat sécuritaire de deux pays engagés dans la lutte anti dji- hadiste. Cette reprise annoncée, du dialogue résulte d’abord de la volonté des deux chefs d’état. François Hollande et Mohammed VI se sont parlé au téléphone en début de semaine dernière, sans que cela fasse l’objet de communiqué, pour apaiser les tensions.
Quelques jours plus tôt, le ministre marocain des Affaires étrangères, Salahed- dine Mezouar, avait annulé sa visite à Paris pour rencontrer Laurent Fabius, sans en donner la raison. En fait, le Palais n’avait pas apprécié les derniers propos de Christiane Taubira lors des obsèques du dessinateur Tignous assassiné au siège de Charlie Hebdo le 7 janvier. La ministre française de la Justice y avait affirmé qu’il était plus prudent de ne pas vouloir représenter le roi en caricature dans son pays. La Garde des Sceaux et à son homologue marocain, Mustapha Ramid, se sont rencontrés sur instruction du Président de la République et du Roi Mohammed VI pour trouver une issue à la querelle judiciaire alors que les premières visites techniques de magistrats n’avaient pas abouti, la partie française invoquant le principe d’indépendance des juges d’instruction et la signature de conventions internationales. Après trois réunions de travail, les deux ministres sont parvenus à un texte amendant la convention d’entraide judiciaire qui sera prochainement soumis aux deux parlements. Cela va faciliter le travail des deux justices puisque plus de 60 000 Français vivent dans le royaume et 1,3 million de Marocains résident en France. Nombre de ces ressortissants sont des binationaux. L’affaire Hammouchi a montré que notre accord de coopération judiciaire avait des failles, l’accord d’entraide judiciaire prévoit des dispositions comme les demandes d’information et les commissions rogatoires. Or à aucun moment les magistrats de liaison français et marocain n’ont été avisés par le juge français qui, avec beaucoup de zèle, a décidé de convoquer le patron du contre espionnage marocain à la suite d’une plainte déposée par un franco-marocain déjà jugé et condamné au Maroc.
A Rabat, cet épisode judiciaire a été vécu comme une « gifle » en donnant l’impression que la justice française primait. D’où la demande de remise à plat de la convention. Pour éviter pareille mésaventure à l’avenir, le nouveau texte introduit plus de subsidiarité en empêchant l’application d’un prin- cipe trop large (intrusif et unilatéral) du principe de compétence universelle qui est déjà encadré en France. Les juges français pourront continuer à poursuivre des Marocains en France, et vice versa, mais certains actes juridiques devront êtres assortis d’une demande d’information ou d’une commission rogatoire passant par le canal de la coopération. Pour sceller cette reprise de l’entraide judiciaire, le magistrat de liaison marocain est arrivé en début de semaine à Paris. Cela ouvre aussi la voie à la reprise d’une relation normale dans les autres champs de coopération même si le partenariat économique et culturel n’a pas été affecté.
A la suite de la dernière vague d’attentats en France, les responsables de droite (Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Bernard Squarcini) ont appelé à la reprise de la coopération en matière de sécurité et de renseignement. C’est un des piliers de nos relations depuis feu Hassan II, le Maroc ayant régulièrement soutenu les actions militaires françaises en Afrique. « La France ne pouvait pas accuser le patron du contre espionnage marocain, un allié très fidèle, et lui demander de coopérer avec vous, justifie le haut responsable marocain. Cet accord jette toutefois les bases d’une reprise des échanges. Les attentats de Charlie Hebdo ont fait comprendre aux deux pays la nécessité de tourner la page ». Le Palais marocain propose aussi ses services pour faciliter le dialogue interreligieux, la lutte contre le terrorisme et la dé radicalisation. Au Maroc où le roi est le Commandeur des croyants, la formation des imams est encadrée et les mosquées surveillées. Ce qui a jusqu’à présent permis d’endiguer, même si le pays a subi plusieurs attentats depuis 2003, la menace terroriste. Paris et Rabat ont beaucoup de choses à partager puisque quelque 1500 Marocains et 1000 Français, parmi lesquels des binationaux, combattent auprès de groupes djihadistes en Syrie et en Irak. En revanche, s’agissant de l’impli- cation directe et avérée du clan Ouattara dans ce processus de transferts opaques de fonds publics destinés au programme de développement de la Côte d’Ivoire, il est urgent de mettre en chantier une opération spécifique avec le concours soutenu dans la lutte contre le blanchiment et le recyclages de fonds illicites en provenance d’Afrique, des autorités des différents états de l’Union Européenne qui ont fait ratifier par leur parlement respectif cette disposition réglementaire qui rentrera en vigueur en janvier 2017.
Source: Aujourd’hui / N°933