Une sortie médiatique qui ne manquera pas de susciter des gorges chaudes, de la passion, de la controverse… En voilà une vraiment ! Celle de François Compaoré dans les colonnes de l’hebdomadaire Jeune Afrique n°2959 du 24 au 30 septembre 2017 de la 28e à la 32e page. Dans une interview, le « petit président » déchu revient sur les circonstances de la chute du régime Compaoré, les affaires judiciaires le concernant, le climat sécuritaire délétère au Burkina et leur souhait de rentrer au bercail pour participer à la construction du pays.
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François Compaoré était devenu comme aphone. En dehors de quelques rares déclarations de ses avocats sur des dossiers dans lesquels il est présumé impliqué, l’intéressé lui-même ne s’était plus adressé directement à une quelconque opinion depuis la chute du régime Compaoré les 30 et 31 octobre 2014. C’est donc la toute première fois que le « petit président » déchu brise le mutisme derrière lequel il se terrait. Une sortie du bois qui suscite toutes les attentions et les opinions possibles en ce sens que l’interviewé se prononce sur des questions brulantes qui sont bien loin d’épuiser l’intérêt de la classe politique et des citoyens burkinabè.
Sur la tentative de modification de la Constitution et l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014
C’est un François Compaoré plus que lucide et réaliste qui donne sa lecture sur cette entreprise politique hasardeuse ayant causé la descente aux enfers de leur régime. Une lucidité et un réalisme qui lui avaient crucialement fait défaut en 2014 où en tant maître-thuriféraire du régime, il faisait flèche de tout bois pour réussir le tripatouillage constitutionnel.
Au journaliste qui lui demande si le régime Compaoré n’était pas dans l’erreur de vouloir modifier la Constitution, François Compaoré répond par l’affirmative, mais non sans avoir relativisé, juridiquement parlant. « Parler d’erreur juridique reviendrait à dire que nous avons voulu violer la loi, ce qui n’est pas le cas. En revanche nous avons commis une erreur politique : il aurait sans doute fallu faire les choses autrement. Il est vrai que cette modification n’était pas opportune, vu le nombre de jeunes qui manifestaient et auxquels on avait mis dans la tête que tous les maux du pays venaient de Blaise Compaoré » a-t-il déclaré.
A travers ce propos, l’on constate un refus donc de l’ancien conseiller spécial de Blaise Compaoré de faire endosser à leur régime la responsabilité de tout ce qui leur était reproché… Effectivement, en sus de la volonté de patrimonialisation du pouvoir qui était reproché au parti au pouvoir, la malgouvernance, des crimes économiques et de sang, la mise en coupe réglée de l’économie par le régime, la corruption, la subordination de la justice… faisaient partie d’une kyrielle de griefs égrenés par l’opposition politique et bon nombre d’organisations de la société civile.
Il faut dire que toutes ces raisons avaient contribué à créer une union sacro-sainte de l’opposition politique, d’organisations de la société civile et de citoyens pour opposer un non possumus à la dictature « juridicisée » du parti au pouvoir. Mais sur cette réalité, François Compaoré n’est certainement pas du même avis puisqu’il soutient plus haut que certes les manifestants aspiraient au changement, mais « ils ont été instrumentalisés par l’opposition ».
Blaise Compaoré a quelques regrets
A la question sur d’éventuels regrets que Blaise Compaoré nourrirait-il sur les circonstances de son départ, son petit-frère explique : « Il a quelques regrets. Il imaginait que seule sa personne posait problème et ne pensait pas que tout ce qu’il avait construit serait remis en cause par quelques-uns après son départ. » Voilà une déclaration, surtout l’expression « remis en cause par quelques-uns », qui ne manquera pas de courroucer les manifestants qui ont obtenu la tête du régime Compaoré. Ce n’est certainement pas quelques-uns qui ont remis en cause toute l’œuvre politique et économique de Blaise Compaoré. A moins d’être myope politiquement parlant, ce n’est pas une poignée d’individus qui a contraint le régime à rétropédaler et à quitter le pouvoir. En parlant d’une remise en cause du système de son frère « par quelques-uns », François Compaoré refuse de reconnaître le degré d’impopularité qu’avait atteint la gouvernance Compaoré.
Il soutient par ailleurs ne pas comprendre la haine et l’ire des manifestant à son encontre en ces termes : « Il m’est difficile de le comprendre. Si j’étais aussi haï que certains le disent, je n’aurais pas pu sortir dans Ouaga sans garde-corps comme j’avais l’habitude de le faire. » Il oublie à coup sûr qu’en ces bons moments dont il se souvient, le régime n’avait pas encore franchi le Rubicond, dernier acte gravissime qui allait l’obliger à prendre la poudre d’escampette.
Selon Jeune Afrique, la famille de Blaise Compaoré vit éclatée entre plusieurs pays. Blaise Compaoré comme on le sait est exilé avec sa femme Chantal en Eburnie d’où il sort rarement. François Compaoré et sa femme Salah avec leurs enfants demeurent à Paris. Antoinette, leur sœur cadette, est restée à Ziniaré. Elisabeth une autre sœur cadette vit à Ouagadougou. Béatrice, sœur cadette aussi, épouse de l’ancien ministre Lucien Marie Noel Bembamba, vit entre Ouagadougou, Dakar et Paris. Quant à Alizèta Ouédraogo, belle-mère de François Compaoré, elle vit la plupart du temps à Abidjan d’où elle se rend de temps en temps à Niamey et à Cotonou pour ses affaires.
A propos de ses implications judiciaires : les affaires Norbert Zongo et David Ouédraogo
François Compaoré ne s’est pas contenté de laisser libre court à son analyse sur les circonstances de leur départ des affaires du pays en octobre 2014. Il est de notoriété publique que l’individu est cité dans un certain nombre de crimes crapuleux dont les plus emblématiques sont les affaires David Ouédraogo et Norbert Zongo. Notamment sur le dossier Norbert Zongo, il dit ceci : « Le juge d’instruction a prononcé un non-lieu en 2006. S’il y a des éléments nouveaux à mon sujet et que j’obtiens la garantie d’un procès équitable, alors, oui je répondrai à la justice burkinabè. » Plus bas, il est catégorique dans le refus d’y être mêlé. « Je n’ai jamais été impliqué dans la mort de Norbert Zongo » soutient-il.
Même antienne concernant la mort de David Ouédraogo sur laquelle Norbert Zongo enquêtait avant d’être envoyé ad patres. Selon ses explications, l’arrestation de David Ouédraogo était liée à un coup d’Etat en gestation. Sur ce fait il fait la déposition suivante : « Notre cuisinier nous avait dérobé de l’argent qu’il avait remis à David. Quand la gendarmerie est venue l’arrêter, j’ai résisté pendant trois jours en leur disant qu’il n’y était pour rien ». En ces propos, François Compaoré veut dire qu’il n’a jamais demandé à ce qu’on appréhende une quelconque personne dans cette affaire ? Dans ce cas, comment la gendarmerie a-t-il pu outrepasser son avis, lui qui à l’époque était tout puissant et tout craint ?
Il poursuit : « Mais dans sa déclaration, le cuisinier a affirmé que David-qui était un ancien militaire-lui a confié qu’un coup d’Etat était en préparation, les enquêteurs ont donc interpellé David. Ils l’ont interrogé à la gendarmerie puis à la présidence. Au bout de trois semaines, il a été emmené à l’infirmerie. J’ai appris ensuite qu’il était mort de mauvais traitements. » Un évènement douloureux pour lequel il a exprimé sa compassion à l’endroit de la famille du défunt. « J’en ai été très ému et j’ai présenté mes condoléances à la famille à Kaya » termine-t-il sur la question.
Par ces propos, François Compaoré veut se disculper de tous les soupçons, de toutes les accusations qui pèsent dans ces dossiers qui sont bien entendus loin de dépassionner les opinions. Tant que la justice ne s’exercera pas dûment sur ces questions par un bon jugement, le ping-pong entre accusateurs et accusés est parti vraiment pour perdurer… Quid alors du fameux mandat international lancé contre François Compaoré ?
Le mandat international lancé contre François Compaoré : un bluff politico-judiciaire ?
Voilà une information qui suscitera mille et une interrogations sur la crédibilité de la justice burkinabè et même du pouvoir en place. Lorsque notre confrère Benjamin Roger interroge François Compaoré sur l’existence d’un mandat international lancé contre lui « ainsi que l’affirment certaines sources judiciaires burkinabè », il donne cette réponse qui ne manquera pas d’étonner plus d’un au pays des Hommes intègres : « Mes avocats ont investigué sur cette question auprès des autorités de France et de Côte d’Ivoire, deux pays dans lesquels je séjourne régulièrement. Ils n’ont trouvé aucune trace de ce mandat. Je suis donc serein et continue à vivre normalement ».
Cette affirmation bât naturellement en brèche cette communication judiciaire qui avait instruit l’opinion nationale burkinabè sur le lancement d’un mandat d’arrêt international contre François Compaoré courant l’année 2016. L’on ne peut que tomber des nues en apprenant ces propos de la part de l’objet même dudit mandat. Comme un coup de bluff au poker, les autorités judiciaires ayant communiqué sur l’existence de ce mandat ont elles voulu faire une sorte de dérision de sorte à esquiver la pression populaire qui s’appesantissait sur elles ?
Sauf que dans cette éventualité, elles auraient menti aux Burkinabè, à toutes ces personnes assoiffées de vérité et qui scrutent depuis des lustres les horizons de la justice pour espérer voir poindre cette vérité-là. En tout cas s’il s’avère que, comme François Compaoré le dit sans équivoque, il n’y a jamais eu de mandat d’arrêt international lancé contre lui, ce serait un précédent judiciaire dangereux qui creusera davantage le fossé entre les institutions judiciaires burkinabè et les justiciables. En tout cas, l’opinion attend d’être située sur cette sortie. Wait and se…
« Il y a un problème sécuritaire qui n’existait pas sous Blaise Compaoré »
Sans surprise, la question sécuritaire s’est invitée dans l’échange entre François Compaoré et notre confrère. Pour l’ex petit président, les déboires sécuritaires que le Burkina Faso connait de nos jours sont consubstantiels au départ de Blaise Compaoré du pouvoir d’Etat. Sans restriction, il soutient que son grand frère, homme fort, était le garant de la stabilité du pays et de la sous-région. « Le président jouait un rôle majeur pour la paix civile et dans la stabilisation de la sous-région. Nous ne savions pas ce qu’il adviendrait s’il quittait le pouvoir. Cette inquiétude était partagée par plusieurs diplomates étrangers qui m’en avaient fait part. Aujourd’hui les faits sont là : il y a un problème sécuritaire qui n’existait sous Blaise Compaoré », foi de François Compaoré.
Et comme pour résumer le destin sécuritaire et politique du pays à Blaise Compaoré, il se remet à surfer sur cette fameuse théorie des hommes forts sans lesquelles ce serait la banqueroute consacrée pour les pays africains : « La politique a ceci de particulier en Afrique que pour des institutions soient fortes, il faut un homme fort aux commandes, sinon c’est le chaos… »
Au demeurant, comment Blaise Compaoré faisait-il pour que le Burkina Faso ne soit pas dans l’œil du cyclone islamiste ? Une réponse cohérente à cette question aurait été plus intéressante pour les Burkinabè. Du reste, d’aucuns rétorqueront au petit président déchu que c’est parce que son « homme fort » n’était vraiment pas aussi fort comme il le croit qu’il n’a pas été capable de jeter les bases d’une politique sécuritaire qui lui survivrait. C’est cela aussi avoir de la vision politique. Blaise Compaoré n’étant pas éternel, même s’il n’avait pas quitté le pouvoir de cette façon, ce n’était pas évident que le Burkina Faso ne connaitrait pas les problèmes sécuritaires actuels. En cela, on pourrait soutenir que la politique sécuritaire de la compaorose n’était pour garantir la survie de l’Etat burkinabè, mais plutôt celle du système et d’une nébuleuse que certains analystes n’hésiteraient pas de qualifier de mafieuse et terroriste…
Rentrer pour participer à la construction du pays : « Mon cœur et une grande partie de ma famille sont au Burkina »
L’interview se termine par un souhait de retour au pays des Hommes intègres formulé par François Compaoré. Celui de refouler le sol burkinabè et s’inscrire dans la dynamique de la construction du pays. De quoi apporter de l’eau au moulin de ceux qui commencent à donner de la voix pour réclamer le retour de tous les fils burkinabè au pays au nom de la réconciliation nationale. François Compaoré l’exprime en des termes non moins éloquents : « Mon cœur et une grande partie de ma famille sont au Burkina ». Il énonce en même temps la condition : « Quand les autorités trouveront nécessaires que nous soyons là, nous rentrerons. Il faut que nous puissions tous participer à la construction de notre pays. » Et il en appelle à l’Histoire pour terminer : « J’ai joué un rôle important, mon frère fait partie de la grande Histoire – l’Histoire d’ailleurs lui rendra justice – et je pense que nous aurons toujours une place au Burkina Faso. »
Anselme Marcel Marie Kammanl
Lefaso.net