Jean-Gaspard Ntoutoume-Ayi, porte-parole de Jean Ping, détaille la stratégie de l’opposition pour contraindre le président gabonais mal élu de se retirer.
De passage à Paris le 1er mars après une visite à Bruxelles, Jean-Gaspard Ntoutoume-Ayi, porte-parole de Jean Ping, candidat malheureux à la présidentielle du 27 août 2016 à l’issue d’un scrutin entaché de fraudes, détaille la stratégie de l’opposition, qui espère toujours contraindre Ali Bongo Ondimba à quitter la présidence du Gabon.
Vous revenez de Bruxelles où vous avez rencontré des représentants de l’Union européenne. Quel message leur avez-vous transmis de la part de Jean Ping ?
Jean-Gaspard Ntoutoume-Ayi Le message était simple. Après la résolution du Parlement européen [adoptée le 2 février qui juge « extrêmement douteux » les résultats ayant abouti à l’élection d’Ali Bongo Ondimba], l’Union européenne (UE) est dans le processus de l’article 96 avec le Gabon [le Parlement demande au Conseil européen de se saisir du dossier pour atteinte aux droits de l’homme et à la démocratie]. Or le Gabon a refusé de répondre à la demande de dialogue intensifié par l’UE. Il revient donc au Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de prendre une décision.
Lesquelles ?
Des sanctions ! Le sujet devrait être évoqué lors du Conseil des affaires étrangères de l’UE le 8 mars à Bruxelles. Nous sommes favorables à des sanctions ciblées à l’encontre de certaines personnes plutôt que des sanctions économiques générales qui pénaliseraient des programmes sociaux ou le travail des ONG. Nos interlocuteurs européens sont d’accord avec nous sur ce point-là.
Selon vous, qui doit être sanctionné ?
Pour faire simple, il faut neutraliser tous les « sécurocrates », ces faucons qui sont autour d’Ali [Bongo] depuis juillet 2016 : ministres de l’intérieur et de la défense, membres de la Cour constitutionnelle… Pour être efficace, il suffit de placer quinze personnes sous un régime de sanctions, de geler leurs avoirs et de leur refuser des visas pour l’espace Schengen.
L’UE connaît bien le dossier. Elle n’a pas apprécié d’être humiliée ! Ses deux missions au Gabon pendant l’élection – une de parlementaires et une d’observateurs – ont été accusées publiquement par le gouvernement d’avoir menti, d’avoir trafiqué les rapports. Ses envoyés ont été mis sur écoute…
Les questions des droits de l’homme et de la démocratie sont des éléments importants de la politique extérieure de l’Union. Il y a donc un risque pour l’UE de perdre de son crédit si elle ne fait pas preuve de fermeté vis-à-vis du Gabon. Elle ne peut pas se permettre de voir s’installer une « jurisprudence Gabon », alors que d’autres dossiers régionaux de taille sont sur la table, comme la République démocratique du Congo.
Vous vous dites satisfaits de la réaction européenne. Qu’en est-il de la position française ?
La France est souvent fragilisée lors des crises en Afrique francophone. Quel que soit le choix fait par Paris. Sur le Gabon, elle se cache derrière l’UE mais, à Bruxelles, tout le monde dit que la France tient le rôle principal sur ce dossier. Mais publiquement la France doit rester discrète sous peine d’être accusée d’ingérence. Elle ne veut pas se laisser prendre à ce piège. Si la France évoque les droits de l’homme au Gabon, elle risque d’être obligée de se justifier sur la colonisation, la traite des Noirs… Elle laisse donc l’UE traiter ces questions.
L’élection d’Ali Bongo Ondimba a été confirmée par la Cour constitutionnelle. Il a prêté serment et occupe la fonction. Quels peuvent être vos objectifs ?
Il y a eu une élection, on sait qui a gagné : Jean Ping. Il faut arrêter le jeu du qui perd gagne. Il faut nous organiser, prendre du temps mais traduire dans les faits le résultat du scrutin.
Que Jean Ping soit déclaré vainqueur ?
Tout à fait. La communauté internationale sait faire cela. Dans un cas comparable, la force a été utilisée en Côte d’Ivoire. Il serait préférable que cela ne se fasse pas au Gabon. Les sanctions ne sont pas une fin en soi, mais un bon instrument pour rendre raisonnables les sourds.
Parallèlement, nous n’avons pas pris les armes mais nous agissons autrement, par les mouvements sociaux. Economiquement, le Gabon se meurt. Depuis novembre [2016], les grèves se multiplient, notamment celles des enseignants. Les entreprises licencient, les majors du pétrole ont vendu leurs participations, notamment Total et Shell. La seule banque européenne présente au Gabon est partie.
Pendant ce temps-là, Ali Bongo Ondimba se bunkérise. Il ne voit pas que le système s’écroule, que nombre de ses proches cherchent à assurer leurs arrières. Il n’y a plus un semblant d’activités au cabinet présidentiel, ni dans l’administration, ni au gouvernement… Ce sera la débandade quand les sanctions européennes interviendront, probablement dans les trois mois qui viennent.
De quel soutien Jean Ping bénéficie-t-il encore maintenant que « l’épisode » présidentiel est terminé ?
Les Gabonais sont structurellement « anti-Ali ». Tant que Jean Ping restera, ils seront pour lui. Ils le perçoivent comme le cheval de Troie pour se débarrasser d’Ali [Bongo]. Très honnêtement, si on demande à un Gabonais quel est le programme de Jean Ping, la réponse sera : « Virer Ali, après on verra ! » C’est pareil pour les hommes politiques gabonais. Ils ont intérêt à rester autour de Jean Ping contre [le président] pour leur survie politique.
Les élections législatives sont prévues en juin. L’opposition va-t-elle y participer ?
On en discute, ce n’est pas sûr. Nous sommes allés à la présidentielle, nous avons gagné et au bout du compte nous avons perdu ! A priori, nous disposons d’une majorité politique dans le pays qui nous autoriserait donc à gagner.
Dans le même temps, le cycle de la présidentielle n’est pas épuisé. Comment passer à autre chose, à une autre élection, tant qu’Ali occupe le palais du bord de mer ? Pour donner un sens aux législatives, il faut que cette question soit réglée auparavant.