« Au Kenya, on raconte que les morts reviennent pour voter, puis s’en retournent dans leurs tombes », explique amèrement George Morara, vice-président de la Commission nationale kényane pour les droits de l’Homme.
Dix ans après les pires violences électorales de l’histoire du pays (1.100 morts), alimentées par des contestations du résultat, les Kényans sont appelés à élire leur président, députés et gouverneurs le 8 août. Et selon M. Morara, ces élections, comme les précédentes, ne sont pas à l’abri de diverses irrégularités.
Chasser, intimider, acheter
S’assurer que des groupes d’électeurs ne votent pas est une stratégie des plus pragmatiques, et début juillet, Human Rights Watch assurait avoir documenté des cas d’intimidation dans la région de Naivasha (centre).
De nombreux observateurs se sont également inquiétés dernièrement de violences dans les comtés de Laikipia et Baringo, dans la vallée du Rift, ayant provoqué des déplacements de population. Certains évoquent des manigances politiques, car les déplacés sont désormais loin des bureaux où ils sont inscrits.
Un autre stratagème consiste à « louer » des cartes d’identité pendant les élections. « Avoir la carte d’identité de quelqu’un, c’est la garantie que cette personne ne peut pas aller voter », note George Morara, selon lequel il y a au Kenya beaucoup de gens pauvres pour qui « 1.000 shillings (9 euros) suffisent ».
S’inscrire au bon endroit
Un électeur n’a aucunement l’obligation de s’inscrire dans la circonscription dans laquelle il habite, une règle qui offre la possibilité d’influencer l’élection des gouverneurs ou des députés.
« Dans certaines circonscriptions, le taux d’enregistrement des électeurs est anormalement élevé », constate Kelly Lusuli, de la Commission kényane des droits de l’Homme (KHRC). « Nous craignons que certains payent des électeurs pour aller s’inscrire dans une autre circonscription que la leur. »
La technologie
Le Kenya a introduit en 2013 un système électronique prévoyant une reconnaissance des empreintes digitales, pour s’assurer que seules les personnes enregistrées puissent voter, et la transmission électronique devant témoins du résultat d’un bureau de vote, afin d’éviter que le messager chargé de transmettre le document ne le modifie.
L’utilisation d’un système électronique implique qu’il peut être piraté, afin de modifier les résultats ou simplement le rendre inutilisable, estiment les analystes, rappelant qu’en 2013, une défaillance majeure du système avait contraint la Commission électorale à basculer sur un système manuel.
Nic Cheeseman, professeur de politique africaine à l’université de Birmingham, estime toutefois qu’un stratagème bien plus simple existe. « Le chef du bureau peut très bien trouver une excuse pour ne pas utiliser les kits biométriques, dire que le sien est défectueux ou que sa batterie est vide ».
Faire voter les morts
Une fois le système électronique hors course, plusieurs méthodes existent pour remplir les urnes de bulletins illégaux, notamment en votant au nom de défunts dont les noms figurent encore par erreur sur le registre des électeurs.
Un audit par la société KPMG, publié début juin et évoquant des manquements dans l’enregistrement des décès, a estimé à plus d’un million le nombre potentiel de défunts se trouvant encore sur le registre. Seule une petite partie d’entre eux a depuis été retirée.
En 2013, le président Uhuru Kenyatta avait gagné l’élection avec environ 800.000 voix d’avance.
« Il est également possible de remplir des bulletins au nom de ceux qui ne sont pas venus voter », soutient un diplomate africain sous couvert d’anonymat. « On attend la fin de la journée, on regarde les résultats d’autres bureaux de vote et on ajuste subtilement en fonction du nombre de votes nécessaires ».
Par le passé, notent les observateurs, les urnes étaient parfois grossièrement remplies de bulletins qui n’avaient pas été utilisés pendant la journée, sans que les auteurs de la fraude ne se soucient d’incohérences avec la liste d’émargement. Et ces dernières semaines, la Commission électorale a été accusée par certains candidats d’avoir imprimé bien plus de bulletins que nécessaire.
Les bastions
Les élections seront surveillées par des milliers d’observateurs, locaux et étrangers, mais ils ne peuvent pas être présents dans chacun des près de 41.000 bureaux de vote du pays.
« Dans les bastions des candidats, il y a des bureaux de vote où tous les assesseurs sont acquis à leur cause », souligne Kelly Lusuli. Quant aux agents envoyés par les partis adverses pour surveiller le déroulement des élections dans ces bastions, ils peuvent être achetés, ou intimidés.
En 2013, souligne M. Lusuli, le taux de participation a été par endroits supérieur à 100%, ce qui n’a pas empêché la justice, saisie par l’opposition, de valider l’élection. « On n’annule pas une élection juste comme cela. La condition, c’est que la justice estime que les irrégularités ont pesé plus lourd que la volonté du peuple. »
AFP