L’infanterie sénégalaise en route pour la frontière sénégalo-guinéenne, des avions de combats nigérians et burkinabés sur le tarmac prêts à décoller pour le ciel de Conakry, un navire de guerre ghanéen, équipé de deux hôpitaux de campagne mouillant en direction des eaux territoriales guinéennes : ce n’est pas le scénario d’une fiction cinématographique mais bien les contours d’une opération militaire déclenchée en octobre 2009 par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) contre la junte militaire au pouvoir en Guinée-Conakry.
Frappée du sceau du « secret défense », l’intervention est restée inconnue du grand public jusqu’à ce qu’en janvier, à la faveur de l’engagement de la Cédéao en Gambie, un ancien vice-président de la Commission de l’organisation sous-régionale décide de s’en ouvrir à nous.
A la veille de cette gigantesque opération militaire, la Guinée, alors aux mains de la junte qui s’est emparée du pouvoir après le décès en décembre 2008 du président Lansana Conté, venait de vivre la plus grande tragédie humaine de son histoire.
En effet, le 28 septembre 2009, sans crier gare, des soldats fidèles au capitaine Moussa Dadis Camara, chef de l’Etat de fait, massacrent au stade de Conakry au moins 157 personnes qui manifestent pacifiquement contre le pouvoir en place. Des dizaines de Guinéennes sont violées publiquement tandis que d’autres sont emmenées dans des casernes pour servir d’esclaves sexuelles pendant plusieurs jours.
Opération punitive
A quelque 2 500 km de là, à Abuja, la capitale fédérale nigériane, siège de la Cédéao, la situation en Guinée est alors jugée suffisamment grave pour justifier une opération militaire sous-régionale contre Moussa Dadis Camara et ses sbires.
Le hasard faisant bien les choses, la présidence en exercice de la Cédéao est assumée par le président nigérian Umaru Yar’Adua et la présidence de la Commission de l’organisation sous-régionale par le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas. Deux personnalités qui, en plus d’être allergiques aux militaires putschistes (Shehu Musa Yar’Adua, le frère d’Umaru Yar’Adua est mort en prison en décembre 1997 sous la dictature du général nigérian Sani Abacha), s’entendent à merveille.
Pour le malheur de Dadis Camara, réputé pour ses coups de gueule et ses éruptions colériques, la disposition des textes réglementant les interventions militaires qui confère au président de la Commission le pouvoir de recourir à la force à la condition d’obtenir le feu vert du président en exercice.
En octobre 2009, Ibn Chambas, devenu secrétaire général du groupe Afrique Caraïbes et Pacifique (ACP), puis représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest, n’a eu aucune peine à obtenir l’accord explicite du président Yar’Adua (décédé en mai 2010 au pouvoir) pour lancer l’opération punitive contre la junte guinéenne.
Levée de boucliers
Après s’être assurés que les troupes sont effectivement entrées en mouvement pour faire payer aux auteurs de la boucherie de Conakry leur forfait, Yar’Adua et Ibn Chambas en informent les autres chefs d’Etat de la Cédéao. Erreur : plutôt que de recevoir des félicitations chaleureuses, ils se heurtent à une forte levée de boucliers. Résultat : il faut stopper immédiatement la progression des troupes. A Conakry, Moussa Dadis Camara n’en demandait pas mieux.
A en juger par les réactions rapportées par l’un des bras droits d’Ibn Chambas au moment des faits, le Sénégalais Abdoulaye Wade était le président de la sous-région le plus farouchement opposé au raid militaire contre le capitaine putschiste guinéen. Non qu’il ne mesure pas la gravité des actes du 28 septembre 2009 à Conakry, mais parce qu’il voyait dans l’opération militaire l’ouverture d’une brèche dangereuse dans laquelle pourraient demain s’engouffrer des opposants « mal intentionnés ».
Outre l’arrêt immédiat de l’intervention contre Dadis Camara, les chefs d’Etat ont ensuite révisé les textes en la matière pour retirer toute possibilité au président de la Commission de recourir à des opérations militaires, même avec l’autorisation expresse du président en exercice.
On a d’ailleurs eu la démonstration de ce changement de doctrine avec la crise gambienne et l’intervention militaire de la Cédéao de décembre 2016 qui fut gérée de bout en bout par les chefs d’Etat eux-mêmes et a permis de mettre fin à vingt-deux années de dictature Jammeh.
A la différence de son prédécesseur Ibn Chambas, l’actuel président de la Commission, le Béninois Marcel de Souza, fut le simple exécutant de la volonté des chefs d’Etat pour résoudre la crise.
Même si elle a finalement avorté, l’intervention militaire d’octobre 2009 contre la junte guinéenne aura donc été un exercice grandeur nature dont les leçons ont été utiles pour monter aussi rapidement et efficacement l’action contre Yahya Jammeh.
Seidik Abba, journaliste et écrivain,