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« Les “influenceurs” africains ne servent à rien : que les jeunes fassent de la politique ! »

Notre chroniqueur s’élève contre la célébration d’acteurs numériques du continent qui anesthésie la jeunesse et son nécessaire devoir de politisation.

 

A l’instar des Adicom Days, événement ayant réuni les acteurs africains du digital jeudi 2 mars à Paris, des manifestations sont organisées tous les jours sur le continent pour vanter ce nouveau héros de notre époque : l’« influenceur », voire le « e-influenceur ». Pour sortir l’Afrique de la grande nuit et faire briller un soleil de progrès humain et social, il y aura dorénavant, en première ligne, l’« influenceur », quelque part entre le « youtubeur », le « start-upper » et le « digital évangéliste ». Une version contemporaine de Don Quichotte, romantisme en moins.

Certes, les blogs et les start-up foisonnent sur le continent. Certes, la révolution numérique changera notre monde – elle le change même déjà. Mais ses acteurs doivent considérer les convulsions d’un continent qui se débrouille encore pour manger à sa faim et boire à sa soif. Un continent qui subit encore trop souvent des hommes politiques à la solde de leur unique dessein de prédation des ressources publiques.

Sublimation du moi sur Internet

La jeunesse africaine ne doit pas se tromper de combat. L’urgence en Afrique est politique. La mission qui échoit à la jeunesse est celle d’une participation citoyenne qui dépasse le seul cadre de la contestation ou de la sublimation du moi sur Internet. Les outils que notre époque met à notre disposition sont à utiliser pour provoquer un changement en profondeur du vécu de millions de personnes souvent opprimées ou en situation d’extrême précarité. Bref, le numérique doit servir à changer la vie en Afrique.

Les influenceurs – je trouve le terme ridicule, mais ils choisissent de se nommer ainsi – sont souvent dans la confusion du spectateur qui se prend pour un acteur. Mettre à nu une énième ignominie de nos hommes politiques est important. Rendre virale une vidéo d’un drame permet de diffuser des réalités jadis confidentielles. Mais partager la vidéo d’un massacre ne peut suffire. Il faut aller plus loin. Il faut un engagement viscéralement et pleinement politique, afin de participer un jour à l’exercice de l’action publique et imposer des politiques de rupture qui répondent aux préoccupations des peuples.

La jeunesse d’Afrique a toute sa place dans l’espace décisionnel dans nos pays. Elle doit se donner les moyens d’y arriver avec un projet de rupture, et refuser qu’on l’écarte du chemin du pouvoir. Dénoncer des crimes est salutaire. Mais s’engager afin que des drames comme ceux du Burundi, de l’est du Congo ou de plusieurs lieux d’horreur ne soient plus le quotidien des Africains est hautement supérieur. Ce ne sont pas les influenceurs qui ont fait partir Blaise Compaoré en 2014. Ni fait reculer Abdoulaye Wade dans son projet de révision constitutionnelle le 23 juin 2011. Il y avait une jeunesse avec un projet politique, sur le terrain, qui a obtenu des victoires et changé le cours de l’histoire des deux pays.

Inanité vaine et ludique

La politisation de notre jeunesse est une voie de salut. Il faut tenir tête, voire affronter tous ceux qui, sous le couvert d’une forme coupable de bienveillance, éloignent la jeunesse de la politique au profit d’autres miroirs aux alouettes ; qu’il s’agisse de l’entreprenariat ou du numérique, souvent nimbés d’une inanité vaine et ludique. Les Africains vivent des souffrances terribles dans leur chair. Appréhender les enjeux du continent doit être un travail sérieux, grave, qui rompt avec la naïveté, la puérilité qui caractérise souvent l’entre-soi des influenceurs.

Méfions-nous des nouveaux amis de l’Afrique qui substituent au mépris condescendant des anciens une forme de connivence candide. Il faut interroger tout ce vacarme néolibéral qui se drape de mots « cool » pour mieux anesthésier de salutaires velléités politiques de renversement d’un ordre fondé sur le creusement des inégalités sociales. Le fétichisme des nouveaux amis de l’Afrique est de promettre un avenir meilleur par le prisme de l’entreprenariat et du numérique, tout en éloignant la vigueur de la jeunesse d’un nécessaire devoir de politisation. Les défis de l’Afrique doivent sécréter une jeunesse politisée, consciente des rapports de forces dans l’espace public, mais nullement figée dans l’impasse sotte de l’influenceur, qui est un lointain cousin en entreprenariat du narrateur.

Hamidou Anne

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