PressOpinion

Libye : un groupe armé annonce la libération de Saïf Al-Islam, fils cadet de Kadhafi

Le fils du défunt dirigeant libyen a été relâché par la milice qui le détenait depuis le soulèvement contre son père, en 2011.

La ville de Zinten, pôle militaire influent du djebel Nefoussa, les monts au sud-ouest de Tripoli, était plongée dans une vive tension au lendemain de l’annonce, samedi 10 juin, de la libération de Saïf Al-Islam Kadhafi, 44 ans, fils cadet de l’ancien « Guide » libyen renversé par la révolution de 2011. Détenu à Zinten après son arrestation en novembre 2011, Saïf Al-islam se trouve, depuis environ un an, au cœur d’un imbroglio politico-judiciaire particulièrement trouble, partisans et adversaires de sa libération s’affrontant autant à Zinten qu’à l’extérieur.

Après plusieurs annonces de son élargissement restées sans suite, la déclaration diffusée samedi par Ajmi Al-Atiri – le chef de la brigade Abou Bakr As-Siddiq, qui détient le célèbre prisonnier –, affirmant que ce dernier avait quitté Zinten, est cette fois jugée sérieuse par les Zintenis contactés par Le Monde. « Il a en effet été libéré », confirme Mohamed El Gorj, porte-parole du bureau des   medias de la municipalité. Outre la déclaration d’Ajmi Al-Atiri, la libération avait été annoncée par l’avocat libyen de Saïf Al-Islam Kadhafi, Khaled Al-Zaïdi.

L’information a aussitôt suscité des réactions hostiles de la part de groupes à Zinten partisans d’un maintien en détention du fils de l’ancien « Guide ». Des manifestants en colère auraient tiré des coups de feu en l’air. Berceau de la révolution de 2011, Zinten avait rallié lors de l’éclatement de la guerre civile de l’été 2014 le camp de Tobrouk (Est), opposé au bloc politico-militaire à inclination islamiste de Fajr Libya (« aube de la libye   »), qui s’était alors imposé à Tripoli. Tobrouk est le siège du Parlement soutenant le maréchal Khalifa Haftar, chef en titre de l’ Armée  nationale libyenne (ANL) et homme fort de la Cyrénaïque (Libye orientale).

Pas vu en public

A Zinten, la faction la plus proche du camp Haftar, mouvance où s’activent des figures de l’ancien régime, militait pour une libération de Saïf Al-Islam. Une autre faction, fidèle aux idéaux de la révolution de 2011, s’y opposait. Samedi soir, une déclaration commune du conseil militaire et du conseil municipal a dénoncé la libération de Saïf Al-Islam, illustrant la fracture de la cité.

Le mystère reste toutefois entier sur le lieu où le fils de Mouammar Kadhafi aurait trouvé refuge. Des informations non confirmées font état d’un départ vers Tobrouk. D’autres évoquent un exil à l’étranger. L’intéressé n’a pour l’instant pas été vu en public ni n’a fait de déclaration. Le secret qui l’entoure s’explique en grande partie par des considérations de sécurité.

La plupart des analystes s’accordent à imputer   la récente évolution du sort politico-judiciaire de Saïf Al-Islam Kadhafi aux grandes manœuvres déployées par le camp du maréchal Haftar. Ce dernier cherche à  consolider  son alliance avec des réseaux kadhafistes afin de renforcer   sa position vis-à-vis du gouvernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj, qui a pris le contrôle de Tripoli en mars 2016 avec le soutien des Nations unies et des capitales occidentales. Déjà au printemps 2016, le Parlement de Tobrouk avait adopté une loi d’amnistie dont Saïf Al-Islam Kadhafi était censé  avoir bénéficié. Aux côtés de huit autres anciens dirigeants du régime déchu, il avait été condamné à mort en juillet 2015 par une cour spéciale de Tripoli pour son rôle joué dans la répression des insurgés de 2011.

Conflit larvé

Mais ce jugement avait été prononcé par contumace, car cette cour n’exerçait de facto aucune autorité sur Zinten où était détenu l’intéressé. Bien que Zinten reconnaisse Tobrouk, la loi d’amnistie du printemps 2016 n’avait pu être exécutée en raison des divisions au sein de la ville entourant le sort de Saïf Al-Islam. Les partisans de sa remise en liberté ont apparemment redoublé d’activité ces dernières semaines. Fin mai, un haut cadre du ministère de la justice   du gouvernement de Tobrouk s’est rendu à Zinten pour  reaffirmer  qu’à ses yeux Saïf Al-Islam était un homme libre.

Si cette libération devait se confirmer  , elle est de nature à peser  sur les équilibres politico-militaires d’une Libye fragilisée par le conflit larvé qui oppose les camps rivaux de M. Haftar à Tobrouk et de M. Sarraj à Tripoli. « Une déclaration de soutien à Haftar d’un Saïf Al-Islam libre mettrait Tripoli sous pression », affirme un observateur libyen basé à Tunis. Des fiefs kadhafistes comme Tarhounah ou Beni Oualid, au sud-est de Tripoli, ou le réseau tribal des Warshefana, présent à l’ouest de la capitale, pourraient se mobiliser  dans cette éventualité pour  soutenir une offensive du maréchal Haftar sur Tripoli. La libération de Saïf Al-Islam est bien plus qu’une simple péripétie judiciaire.

monde d’afrique/ frederic bobin

Quitter la version mobile