Le président sénégalais Macky Sall quitte la présidence de l’Union africaine (UA) au profit de son homologue comorien Azali Assoumani lors du 36e sommet de l’organisation continentale prévu du 15 au 19 février à Addis-Abeba, en Ethiopie. Pour le journaliste nigérien Seidik Abba, spécialiste des questions politiques africaines, le Sénégalais laisse un tableau satisfaisant, malgré les difficultés.
Le président sénégalais Macky Sall, dont le mandat comme président de l’Union africaine s’achève dimanche 19 février, a jugé « satisfaisant » son bilan à la tête de l’institution continentale. A-t-il raison?
Au cours de sa présidence de l’Union africaine, Macky Sall a obtenu quelques résultats significatifs pour le continent sur le plan de la visibilité et la participation à tous les grands agendas internationaux. Il s’est rendu à Sotchi, en Russie, pour porter la voix de l’Afrique auprès de Vladimir Poutine et obtenir de la Russie qu’elle puisse autoriser l’exportation vers l’Afrique du blé bloqué en Ukraine en raison de la guerre qui y mène Moscou depuis 2022. Il s’est aussi entretenu avec le président ukrainien Volodymir Zelinsky sur ce même sujet.
Il y a eu chez Macky Sall le souci de marquer la présence de l’Afrique dans l’agenda international sur les grands dossiers internationaux. Au G20 ou au sommet Etats-Unis-Afrique qui a eu lieu en décembre, il a montré une volonté de donner de la visibilité, de porter la voix du continent africain, de faire en sorte que l’Afrique soit sollicitée.
Des efforts de médiation dans de grands dossiers peuvent être inscrits à son compte comme on a pu le voir dans l’affaire des 49 soldats ivoiriens qui étaient détenus au Mali. Il y a eu de la part du président Macky Sall une volonté d’intermédiation.
Parmi, les acquis de son mandat, il y a aussi le sommet Union européenne – Union africaine de février 2022 qui a été organisé à Bruxelles, en Belgique, au cours duquel le président Macky Sall a porté la voix du continent africain. Du point de vue de la visibilité, par rapport à la présidence précédente notamment, on a senti chez le président sénégalais cette volonté de porter la voix de l’Afrique, de faire des choses autrement. Et on peut estimer que le bilan a été satisfaisant.
Comme tout bilan, il y a des acquis et des insuffisances. Au titre des insuffisances, on peut voir que l’Union africaine n’a pas réussi à régler les grandes crises qui se passent sur le continent, notamment au Sahel, dans le nord-est de la République démocratique du Congo, dans la Corne de l’Afrique etc. Il reste aussi l’agenda de l’autofinancement de l’Union africaine.
La visite du président Sall en juin en Russie pour demander à son homologue Vladimir Poutine de faciliter l’exportation des céréales a été critiquée par beaucoup d’Africains. Pourquoi ?
La démarche du président sénégalais peut se comprendre dans la condition où on était dans un blocage avec l’augmentation des prix des produits alimentaires. Il n’y avait pas d’autre solution que de demander au président russe, Vladimir Poutine, de résoudre de façon concrète ce problème.
Sur la durée, la solution est certes de faire en sorte que l’indépendance alimentaire de l’Afrique soit assurée. Mais dans la situation où on était, il n’y avait pas d’autre solution. Des pays comme l’Egypte ou la Mauritanie, dépendaient exclusivement du blé ukrainien et russe. Donc il était nécessaire que le président en exercice de l’Union africaine parte débloquer la situation.
Maintenant, il faut aller au-delà. Il s’agit d’un problème de fond pour les pays africains. Il faut qu’ils puissent produire eux-mêmes que de dépendre de l’extérieur. A chaque fois qu’il y a une crise internationale, l’Afrique est arrêtée. Il y a quelques années, c’était le problème de l’augmentation du prix du riz importé d’Asie parce que l’Afrique dépend de ce continent pour son approvisionnement en riz. Aujourd’hui, c’est le problème du coût du blé qui a augmenté à cause de la guerre russo-ukrainienne.
Pour Macky Sall, il n’y avait pas une autre solution que d’aller voir Poutine. Et c’est d’ailleurs cette démarche qui a permis aux Nations Unies, à la Turquie de faire la médiation et de permettre que les céréales, principalement le blé, puissent être évacuées et que les prix reviennent à la raison. L’inflation a fait que le prix du blé a été augmenté de 30 à 40% dans certains pays. On allait vers des émeutes de la faim comme on en avait connu en 2008. Et le fait qu’il y ait eu cette démarche a permis de débloquer cette situation.
La sécurité, l’alimentation et la bonne gouvernance sont encore des défis pour plusieurs pays du continent, particulièrement dans le Sahel. Quelles sont les réalisations de Macky Sall dans ces domaines ?
La sécurité alimentaire est une question importante surtout dans le contexte actuel de pénurie avec les événements en Ukraine. Beaucoup de pays africains dépendent de l’Ukraine et de la Russie pour l’importation de céréales telles que le blé. Certains pays dépendent à 80% de ces importations, d’autres à 60% et d’autres beaucoup moins. Il est donc important qu’il y ait des avancées sur cet agenda. Le président Macky Sall a obtenu qu’on puisse continuer l’approvisionnement de l’Afrique sur ces questions. Donc, on peut estimer que sa contribution a été importante.
Toutefois, la question de la sécurité alimentaire de l’Afrique ne peut être réglée que par l’autosuffisance alimentaire. Aujourd’hui, l’Afrique importe au moins 35 milliards de dollars de produits alimentaires chaque année alors qu’elle détient 65% des terres arables du monde. Les gens viennent acheter des terres pour faire de l’agriculture en Afrique, qui ne met malheureusement pas en valeur ses terres elle-même.
En outre, on peut mettre au crédit du président Macky Sall le sommet de Dakar sur la sécurité alimentaire qui s’est tenu du 25 au 27 janvier 2023. Lors de cette rencontre, les jalons ont été posés pour le développement de l’agro-industrie en Afrique. Il est très important qu’on puisse faire de l’autoproduction pour assurer la sécurité alimentaire. Il y a eu quelques avancées positives qui ont été faites de ce côté.
En revanche, sur les dossiers politiques comme le Sahel, il n’y a pas eu d’avancées significatives. Au contraire, la situation sécuritaire a continué à se dégrader. Le Burkina a été le théâtre de deux coups d’État en janvier et en septembre 2022 au cours de la présidence de l’Union africaine du président Macky Sall. Le Sahel est un indicateur de la dégradation de la situation sans compter l’extension de la menace sécuritaire.
L’année 2022 a été celle de l’extension de la menace terroriste aux pays du Golfe de Guinée parce que le Bénin a été attaqué plusieurs fois, ainsi que le Togo. Il y a encore des efforts à fournir pour la résolution de la crise au Sahel. Même si, là aussi, on sent que l’Union africaine a encouragé la coopération entre les pays du Sahel et ceux du Golfe de Guinée. Le président Macky Sall est notamment allé voir le président de transition tchadien, Mahamat Idriss Déby, qui est le président en exercice du G5-Sahel, pour essayer de relancer cette organisation de coopération militaire qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad pour lutter contre le terrorisme. Parce que la solution à la crise au Sahel ne peut être que globale et transnationale. Elle ne peut venir que de cinq pays pris ensemble.
Le président Sall a récolté les soutiens de plusieurs pays développés, tels que la France, pour l’adhésion de l’Afrique au G20. Que représenterait cette adhésion pour le continent africain ?
L’adhésion de l’Afrique au G20, si elle se fait, en tant que chantier du président Macky Sall, va permettre à l’Afrique d’avoir voix au chapitre. Elle ne changera pas fondamentalement la position de l’Afrique dans les dossiers internationaux, mais il vaut mieux être présent. Aujourd’hui, le G20 est composé de 19 pays en plus de l’Union européenne. L’Union africaine est invitée de temps en temps, selon la présidence en exercice du G20. Il faut sortir de cela justement pour que l’UA soit une instance et devienne le vingt-unième pays du G20. Être présent dans une instance comme celle-là permet d’avoir voix au chapitre, d’exprimer son opinion, d’être là où les choses se décident.
Sur la crise ukrainienne, l’Union européenne décide et veut que l’Afrique suive. Mais l’Afrique ne peut pas suivre l’Union européenne parce que c’est sa décision. Donc si l’Afrique est au niveau du G20, elle peut mieux faire entendre sa voix, avancer ses dossiers. Mais il faut prendre garde à considérer que l’adhésion au G20 va régler le problème de la gouvernance internationale. Il faut que l’Afrique soit présente au Conseil de sécurité des Nations Unies, parce qu’elle est le continent qui est marqué par le plus grand nombre de crises et le plus grand nombre de missions de casques bleus. C’est en Afrique donc que les choses doivent se décider.
Cette adhésion, elle a sa valeur. Elle peut être utile, symbolique, mais ne règle pas le problème de la gouvernance internationale. La question aujourd’hui de fond, c’est la gouvernance internationale. L’Afrique n’est pas présente là où se prennent les décisions qui engagent l’avenir du monde, là où se prennent les décisions sur les crises.
Comment le successeur de Macky Sall doit-il s’y prendre pour relever les défis auxquels est confrontée l’Union africaine ?
Le président Assoumani Azali des Comores qui va succéder à Macky Sall va devoir mobiliser la communauté internationale et les pays africains. Le président Azali aura besoin du soutien des pays de la sous-région puisqu’il va représenter l’Afrique orientale. Les Comores n’ont pas l’appareil et le poids diplomatiques du Sénégal. Donc il faut aider ce pays à réussir sa présidence de l’Union africaine. Les Comores sont un pays insulaire pas très peuplé et qui n’a pas un personnel diplomatique équivalent à celui du Sénégal. Il y aura beaucoup de défis pour porter la voix de l’Afrique comme l’a fait le président Macky Sall.
La présidence comorienne de l’Union africaine devra travailler sur les différentes crises que connaissent le continent : le Sahel, le Nord-Kivu, la Corne de l’Afrique etc. Toutes ces crises sont des dossiers importants ainsi que le défi que pose la guerre en Ukraine. Pour réussir son mandat, le président Azali a besoin du soutien des pays africains et des autres partenaires de l’Union africaine. Il est important que, par exemple, dans le cadre de cette transition entre le président Macky Sall et son homologue comorien, il y ait un accompagnement. C’est dans l’intérêt de l’ensemble du continent que les Comores, qui vont prendre la succession du Sénégal, puissent effectivement réussir leur mission.
APA
Par oumar DEMBEL