Marwane Ben Yamed répond aux pro-Soro: « En quoi exiger la vérité est un crime ? ». Le directeur de publication de Jeune Afrique qui a écrit un édito comme sans doute jamais un journaliste ne l’avait osé concernant, l’ex-chef de la rébellion, a soulevé le courroux des supporteurs de ce dernier. Nous vous proposons sa brève réponse écrite sur son mur Facebook.
« Incompréhensible : quand on demande vérité et justice équitable en Côte d’Ivoire, on est forcément « contre » ou « à charge »… (cf les Unes des quotidiens des 6 et 7 juin et les commentaires sur FB ou Twitter).
Mon éditorial « Docteur Guillaume et Mister Soro » a provoqué chez ses fans un déluge d’insultes et de contré-vérités. À aucun moment je n’écris qu’il est coupable. Mais que la suspicion qui ne cesse de l’entourer doit être dissipée. A fortiori s’il entend incarner la nouvelle génération de dirigeants et aspire aux plus hautes fonctions.
Deux mandats d’arrêts internationaux ont été émis contre lui (France et Burkina), les caches d’armes, les mutineries de ses ex-troupes, etc. En quoi est-ce un crime d’exiger, pour les Ivoiriens eux-mêmes, que l’on recherche (enfin) la vérité en toute transparence ? »
Voici l’édito qui a fâché les pro-Soro
Si Guillaume Soro devait un jour songer à sa reconversion professionnelle, nul doute que s’ouvrirait à lui une voie toute tracée : armurier !
Entre l’arsenal – AK 47, lance-roquettes, munitions… – découvert mi-mai dans une maison du quartier de Beaufort, à Bouaké, propriété de son directeur du protocole ; les grenades et gilets pare-balles retrouvés lors d’une perquisition dans sa villa de Ouagadougou, en octobre 2015 ; les 300 tonnes de matériel militaire, dixit un rapport de l’ONU de mars 2016, acquis en Albanie et en Bulgarie – via le Burkina – par lui et ses troupes des Forces nouvelles au lendemain de la crise – il pourrait même passer pour le digne successeur du célèbre Viktor Bout.
Mais trêve de plaisanterie. L’affaire qui le concerne, une de plus, est grave. Le halo de suspicion qui entoure ce personnage insaisissable ne fait certes pas de lui un coupable. Mais il est temps que les enquêtes qui le visent aboutissent ou que les doutes qui nimbent près de vingt ans de carrière sur le devant de la scène politique soient dissipés.
Et, dans le cas contraire, si ce qui lui est reproché était avéré, que toutes les conséquences soient tirées.
Tel Janus, Guillaume Kigbafori Soro a deux visages. Le premier est celui d’un enfant de chœur. Ses interviews, comme chacune de ses « réflexions » publiées sur Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, son site et sa web TV, n’auraient pas détonné dans la bouche d’un dalaï-lama qui aurait décidé de s’installer sur les bords de la lagune Ébrié. Paix, réconciliation, amour du prochain, partage, miséricorde et humilité.
Il n’a que ces mots à la bouche. Et, bien entendu, fidélité, comprendre au chef de l’État, Alassane Ouattara. L’autre visage, à en croire ses détracteurs, mais aussi ceux qui le connaissent bien, est pour le moins sombre et sent le soufre.
Soro ne serait mû que par un seul objectif : parvenir à ses fins. Par tous les moyens. Un homme brillant, d’un certain point de vue, froid et méthodique, qui se nourrit habilement du conflit. Un fin stratège aussi. Autrement dit un Machiavel en terre d’Éburnie.
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Malgré l’explication qu’il a avancée – la volonté de défendre la démocratie –, personne ne sait réellement ce qui l’a fait basculer du côté d’Alassane Ouattara lors de la présidentielle de décembre 2010.
On sait, en revanche, qu’il a moult fois confié, notamment au Gabonais feu André Mba Obame, sur le parking de l’hôtel Ivoire, à quelques mois de l’échéance, sa déception de ne s’être rien vu proposer de concret par Gbagbo en cas de victoire de ce dernier et que cela l’a incité à se rapprocher de Ouattara…
Côté sombre, toujours, les exécutions et les exactions dont se sont rendus coupables ses hommes lors de la période fondatrice que fut pour lui la guerre civile qui a sévi dans son pays entre 2002 et 2011.
Mais aussi l’assassinat de son rival au sein de la rébellion et chef du « commando invisible », Ibrahim Coulibaly dit « IB ». Ou celui de Désiré Tagro, ministre de l’Intérieur, mort d’une balle dans la bouche lors de la chute de son mentor, Laurent Gbagbo, dans des circonstances jamais élucidées. Ou encore son implication personnelle « supposée » à Abidjan, mais « certaine » à Ouaga lors du coup d’État avorté de septembre 2015.
Ensuite, les écoutes téléphoniques de ses conversations avec Djibrill Bassolé, jamais certifiées mais ô combien troublantes pour ceux qui connaissent les deux hommes, et dans lesquelles le sort funeste qu’ont connu Tagro et « IB » est presque revendiqué.
Sans oublier cet aller-retour d’un hélicoptère de l’armée de l’air burkinabè entre Ouaga et la petite ville de Niangoloko, près de la frontière ivoirienne, le 19 septembre, deux jours après la prise du pouvoir de son ami le général Gilbert Diendéré, non sans avoir récupéré, dans des véhicules venus de Côte d’Ivoire, grenades lacrymogènes et valises de cash.
Enfin, les mutineries qui éclatent chaque fois que sa situation politique se détériore, comme en janvier dernier, quand son poste de président de l’Assemblée nationale était, dit-on, menacé. Ce ne sont plus des zones d’ombre, c’est le triangle des Bermudes !
André silver konan
presse-opinion.com