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Mis en examen pour corruption, Bolloré songe à quitter l’Afrique définitivement

Je crois que dans un avenir proche, la France aura plus besoin de l’Afrique que l’inverse », dit-il. Dans une tribune au JDD, vincent bolloré défend sa vision du continent, qui selon lui « se développe heureusement bien plus vite que le nôtre ». Mais l’industriel breton y dénonce en premier lieu la suspicion portée sur cette « terre de non-gouvernance, voire de corruption » : « On y imagine des chefs d’États décidant seuls d’accorder des contrats mirobolants à des financiers peu scrupuleux… »

Après deux jours de garde à vue, Vincent Bolloré a été mis en examen, jeudi, pour « corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et « complicité de faux » dans l’enquête sur les conditions d’attributions de ses concessions portuaires en Afrique de l’Ouest. Les juges Serge Tournaire et Aude Buresi soupçonnent le groupe Bolloré d’avoir utilisé les activités de conseil politique de Havas, filiale du groupe, afin de décrocher la gestion des ports de Lomé, au Togo, et de Conakry, en Guinée, via une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV.

Des soupçons de « finalité corruptrice »

Celui qui s’apprête à passer la main à son fils Yannick à la tête du conseil de surveillance de Vivendi défend dans sa tribune au JDD les réalisations de son groupe en dépit d’un climat proche de la « chasse aux sorcières » en Afrique.

« Le développement de salles de cinéma que réalise Vivendi dans des pays qui n’en avaient plus depuis trente ans, le développement d’expériences d’électrification grâce aux technologies exceptionnelles de nos batteries, vont-ils être considérés comme des cadeaux ayant une finalité corruptrice? Toute embauche peut-elle être requalifiée comme un service rendu? »

Portrait élogieux du futur africain

Dans sa tribune, Vincent Bolloré s’interroge surtout sur l’avenir de son groupe : « Faut-il abandonner l’Afrique? », se demande-t-il à deux reprises, avant d’expliquer avoir réalisé « ces derniers jours » que ce « nous faisions en toute bonne foi depuis longtemps, vu à travers le prisme d’un continent africain considéré comme dirigé par des équipes sans foi ni loi, était le terreau d’une suspicion légitime. »

Mais s’il menace de quitter l’Afrique, où son groupe gère 18 terminaux à conteneurs, Vincent Bolloré dresse malgré tout le portrait élogieux d’un continent tourné vers l’avenir : « Loin des clichés d’une Afrique misérabiliste, je vois les buildings, les réseaux informatiques se créer, le souhait d’une vigoureuse jeunesse pour dessiner un futur démocratique et serein. Arrêtons ce traitement inexact et condescendant des Africains. »

Bolloré mis en examen : décryptage des réactions en Afrique

Jean-Baptiste Placca. (Photo : Claudia Mimifir)

Une des leçons de ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Bolloré » est que certaines populations africaines, victimes de leurs propres dirigeants, ne pourront plus compter que sur les magistrats français pour espérer obtenir une justice… de substitution. « Corruption d’agent public étranger, complicité d’abus de confiance, faux et usage de faux »… Les mots choisis sont d’une extrême sévérité. Mais, au-delà des faits reprochés à Vincent Bolloré, comment expliquer que cette mise en examen ait déclenché autant de réactions hostiles à l’intéressé sur le continent ?

Nous savons tous que dans les pays où il opère, le Groupe Bolloré contrôle des secteurs vitaux de l’économie nationale. Et, de fait, partout, Vincent Bolloré passe pour un homme très puissant, qui suscite un mélange de crainte et de haine. D’où la très grande colère que l’on peut percevoir dans nombre de commentaires, et qui sont du genre des sentiments qu’inspirent les gens dont les populations pensent qu’ils conditionnent (ou peuvent conditionner) négativement leur vie.

La dernière personnalité française dont les difficultés judiciaires ont, à un tel point, réjoui les Africains sont… devinez qui ? Charles Pasqua ! Même pas Nicolas Sarkozy ! Pour Pasqua, les gens se sont dit et disaient à haute voix : « Bien fait pour lui ! Les charters, les collusions avec certains chefs d’Etat africains, la Françafrique… ». Tous se disaient que tout cela devait se payer, un jour ou l’autre, au nom d’une justice immanente.

Bolloré est dans le même registre. Ce qui est à la fois triste et étonnant, parce que cet homme, en théorie, implante ses entreprises dans les pays pour y investir et donner du travail aux nationaux, quitte à en tirer de superprofits.

Le Groupe Bolloré est présent dans près d’une vingtaine de pays, sur le continent. Il n’a des ennuis qu’en Guinée et au Togo. N’est-ce pas, après tout, marginal ?

Il va falloir patienter un peu, pour apprécier ce qu’il en est réellement des autres théâtres d’opération du Groupe Bolloré. Vous avez sans doute remarqué à quelle vitesse les langues se sont déliées depuis sa mise en examen. Tant qu’on le croyait puissant, il était intouchable. A présent que la justice française semble lui avoir trouvé quelques points de vulnérabilité, les Africains, et pas seulement eux, n’auront plus peur de témoigner. Ils ont d’ailleurs commencé à le faire, dans les médias, sur les réseaux sociaux, et dans la vraie vie, comme l’on dit aujourd’hui.

A quoi faut-il s’attendre, maintenant ?

Il y aura beaucoup de déballages. Et, même s’il n’était pas condamné, en fin de comptes, Bolloré sortira de tout cela bien dégoûté de l’Afrique. De cette Afrique qui, en à peine cinq jours, lui a prouvé qu’elle ne l’aimait guère, en tout cas pas d’une tendresse folle. Mais, au-delà de Vincent Bolloré, il y aura aussi quelques victimes collatérales. En fait, des acteurs bien réels de tout le mal qui a été fait aux Etats, aux peuples.

Vous voulez parler des amis africains de Vincent Bolloré ?

Lorsque les citoyens du continent auront fini de dénoncer Bolloré et ses méthodes, lorsqu’ils auront épuisé leur colère sur les actes de prédation dont son groupe se serait rendu coupable ici et là, ils devront, à un moment ou à un autre, revenir à quelques considérations toutes simples : en Guinée, comme au Togo, il n’a jamais été dit que Vincent Bolloré avait mis un révolver sur la tempe d’Alpha Condé ou de Faure Gnassingbé, pour les obliger à lui concéder le contrôle de ces ports à conteneurs, si juteux.

Si les populations sont autant en fureur, c’est parce que subsiste, dans la mémoire collective, le souvenir des sacrifices qu’il a fallu pour la construction de ces ports. Et des morts, tombés dans l’océan. L’idée que le privilège de ces concessions n’avait pour contrepartie que la facilitation de l’élection de l’un et de la réélection de l’autre peut rendre fou, en effet.

Qu’en pensent les autres chefs d’Etat ?

Rien, pour le moment. En tout cas, ils ne disent rien, pour le moment. Dans un de ces puissants discours auxquels il nous a habitués depuis son élection, le Ghanéen Nana Akufo-Addo déclarait que l’Afrique n’est pas là où elle devrait se situer. Et d’assurer que jamais lui n’accepterait d’ouvrir son pays aux entreprises qui veulent enregistrer, en Afrique, des marges bénéficiaires qu’elles ne pourraient espérer nulle part ailleurs dans le monde.

Jamais Nana Akufo-Addo ne s’aviserait d’offrir à un quelconque ami la gestion du port de Tema contre de dérisoires privilèges personnels. Car il sait qu’il aurait des comptes à rendre à son peuple, et immédiatement. Son peuple qui, certainement, le lui ferait payer très cher. Nul n’oublie que, dans ce pays, son prédécesseur, après seulement un mandat, a été congédié par les électeurs, pour avoir laissé le cedi, la monnaie nationale, perdre 40% de sa valeur en une année. Même si rien ne prouve qu’il était personnellement responsable de cette chute.

vabe charles / presse opinion

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