En continuant d’exploser les compteurs du box-office, aux US comme en Afrique, le comic des Studios Marvel, Black Panther, confirme son impact, tant sur le plan économique qu’identitaire, auprès de l’Afrique et ses descendants.
Des films à la distribution 100% noire, ou presque, il y en a eu avant Black Panther. On pense d’abord aux productions de la blacksploitation des années 70, où pour la première fois dans l’histoire du cinéma américain, réalisateurs, scénaristes et producteurs noirs portent à l’écran des acteurs africains-américains dans des premiers rôles charismatiques. Qu’ils soient gangster bling-bling, détective, ou même vampire (Bracula !), peu importe, les Noirs sont les héros de l’histoire. Une décade après, l’arrivée du jeune réalisateur afro, Spike Lee, cristallise le genre du cinéma noir militant en produisant ses « Spike Lee joints »…
Des productions indépendantes à faible budget, à destination d’un public de niche, les Africains-Américains, et d’initiés. Si le premier du genre, Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (Melvin Van Peebles, 1971), rapportera tout de même 15 millions de dollars à Hollywood, le mouvement s’inscrit dans une tradition cinématographique communautaire. Là où Black Panther, avec un budget colossal de 200 millions de dollars, se veut taillé pour le grand public. Et tous les publics. Une première donc…
Rassembler les Africains
Les derniers chiffres du box-office nord-américain viennent de tomber, et, sans surprise, le blockbuster – co-écrit et réalisé par l’Africain-Américain Ryan Coogler -, continue à dominer le paysage. Pour sa quatrième semaine d’exploitation, le film a généré 41,1 millions de dollars de recettes, 562 millions depuis sa sortie, et plus d’un milliard dans le monde. Concernant le marché africain, la superproduction a connu le meilleur démarrage de tous les temps au mois de février en Afrique de l’Est (400 000 dollars) et de l’Ouest (300 000), selon le New York Times. Tandis qu’elle s’arrache la troisième place des meilleures sorties de l’histoire du box-office en Afrique du Sud (1,4 millions d’entrées).
D’ordinaire désertées, les salles obscures, au demeurant peu nombreuses en Afrique faute de réelle industrie sur le continent – hormis Nollywood au Nigeria – sont pleine à craquer. Black Panther a inversé la tendance en ramenant le public africain dans les salles obscures. Les scores affichés, certes nettement plus faibles qu’outre-Atlantique, prouvent par ailleurs la potentielle (re)naissance d’un marché de l’exploitation en Afrique, jusque-là quasi inexistant.
D’après le LA Times, les salles d’Imax Corp. – société de divertissement spécialisée dans les technologies cinématographiques – implantées au Nigeria et au Kenya ont battu les records de fréquentation. Du côté de l’Afrique francophone, en particulier en Côte d’Ivoire où s’est tenu le Marvel Festival à Abidjan, les tickets se sont vendus comme des petits pains le 17 février dernier, laissant plus d’un spectateur sur le carreau. Au total, ce sont trois cinémas qui ont fait salle comble : le Palais de la Culture, le Majestic Prima et Majestic Sococé.
Même dans les départements ultramarins, comme en Martinique, le film a rencontré un franc succès auprès du public. Si aucun chiffre n’a été communiqué par l’unique salle de l’île, le Palais des Congrès, l’engouement a été général avec des projections complètes, tant en 2D qu’en 3D, en VF qu’en VO, selon France TV.
Une prouesse que l’on doit à un casting étoilé et à 95% noir. Mais ce n’est pas tant le personnage de Chadwick Boseman, premier super-héros noir de l’histoire des comics, que l’Afrique qui tient le rôle-titre : c’est elle qui va sauver le monde ! Une image positive inédite du continent, véhiculée à travers ce pays fictif et utopique, le Wakanda : terre puissante et prospère. Rien d’étonnant à ce que cet écrin afro-optimiste ait rassemblé les Africains dans un élan de fierté identitaire commune.
Fierté identitaire commune
Et c’est sans compter l’hommage au patrimoine culturel commun aux Africains et Afrodescendants, ô combien fédérateur. De la coiffe de la reine Ramona Angela Basset convoquant celles des femmes du peuple mangbetu de RDC aux bantu knots de Nakia (Lupita Nyong’o), en passant par les ras de cou des femmes ndebele d’Afrique du Sud arborés par la super armée de femmes guerrières, qui ne sont pas sans rappeler les amazones du dahomey. Sans oublier le rouge de leur armure, qui puiserait sa référence dans les costumes massaï d’Afrique de l’Est, les références pullulent.
La costumière, Ruth E. Carter – qui a collaboré avec des designers africains comme le Ghanéen d’origine, Ozwald Boateng, et le Nigérian, Ikiré Jones -, a confié au New York Times s’être inspirée des vêtements touareg pour les costumes de la tribu de marchands, et de ceux du peuple Himba de Namibie pour la tribu de la mine. Côté langue, c’est le Xhosa (l’une des 11 langues officielles d’Afrique du Sud), qui fait office d’idiome officiel du Wakanda. Une reconnaissance pour ses huit millions d’utilisateurs.
Si certains y voient un mash-up malheureux ou un échantillon réducteur de l’Afrique, ce serait toutefois nier la portée unificatrice de ce pays imaginaire pour les Africains. Laquelle a trouvé un échos au-delà des frontières de la fiction, avec le hashtag #wakandaforever qui émaille les fils Twitter et Instagram depuis près d’un mois.
Cette formule née du signe exécuté par les deux protagonistes du film est aujourd’hui reprise par une ribambelle de sportifs. En France, Paul Pogba et Jesse Lingard ont boudé le dab pour s’approprier le geste symbolique wakandais lors du match Manchester United-Chelsea disputé le 25 février dernier. Tandis qu’aux États-Unis, c’est la joueuse de tennis, Sachia Vickery, qui l’a repris sur le court du BNP Paribas Open 2018. Une succession d’hommages en chansons et en danse déferlent également sur la toile, comme le Black panther Challenge emmené par la danseuse africaine-américaine Kendra Oyesanya. Un mouvement culturel clairement installé jusqu’à s’inscrire de manière indélébile sur la peau des fans…