Le président sortant, 85 ans dont près de trente-six au pouvoir, a été reconduit pour un mandat de sept ans avec 71,28 % des suffrages.
L’élection présidentielle au Cameroun obéit à une scénographie bien réglée. Le contexte et le déroulement du vote, le casting des rôles secondaires varient selon les époques, mais la conclusion demeure immanquablement la même.
La campagne peut offrir une apparence de vitalité démocratique, les opposants clamer eur certitude de victoire dans les urnes, les contestations légales etre bien argumentées, l’attente du résultat contenir juste ce qu’il faut de faux suspense ; à la fin, un même visage émerge, seulement marqué de quelques rides supplémentaires.
Lundi 22 octobre, au terme des quinze jours légaux qui leur étaient offerts après le vote, perruqués, les épaules couvertes d’hermine, les onze membres du Conseil constitutionnel, tous nommés par Paul Biya, ont proclamé la victoire définitive et sans appel du même Paul Biya à l’élection présidentielle. Un septième mandat obtenu officiellement avec 71,28 % des suffrages pour un homme de 85 ans qui a déjà occupé pendant près de trente-six ans la plus haute fonction de l’État.
Que peut-il encore promettre que le temps ne lui a pas permis de réaliser ? Pour sa réélection, le président sortant n’a pas eu besoin de faire campagne ni de faire miroiter de nouvelles opportunités à son peuple. Son slogan, qui tapissait ces dernières semaines tout ce que le Cameroun compte de murs, s’est limité à une formule : « la force de l’expérience », qui ne l’engage en rien auprès de ses concitoyens. Il aurait aussi pu choisir « le poids des habitudes ».
Maurice Kamto, premier opposant
Une élection pour rien, pourrait-on dire alors ? Peut-être pas, car de l’avis de tous les observateurs de la vie locale, ce scrutin présidentiel a redonné un certain intérêt pour la politique à nombre de Camerounais jusque-là désabusés par la sclérose du débat public.
Retransmis à la télévision nationale et repris sur les réseaux sociaux, les trois jours d’audience devant le Conseil constitutionnel ont offert un spectacle inédit et largement suivi : celui de la mise en accusation des pratiques électorales du régime devant un tribunal.
Devant cette instance, chargée pour la première fois, vingt-deux ans après sa création, de se prononcer sur les recours déposés lors d’une élection à la fonction suprême, le candidat Maurice Kamto, qui demandait l’annulation du vote dans sept des dix régions du pays, estimant notamment que 1,327 million de voix ont été frauduleusement octroyées à Paul Biya, s’est fait le héraut d’un « Cameroun aplati, qui depuis les origines cherche à se redresser » face au « Cameroun de l’arrogance régnante, méprisante, sûre de son fait ».
Sans surprise, les membres du Conseil constitutionnel ne lui ont pas donné satisfaction – pas plus qu’aux deux autres candidats, Joshua Osih et Cabral Libii, qui réclamaient l’annulation complète du scrutin du 7 octobre –, mais Maurice Kamto (14,23 % des suffrages) a montré lors de cette élection qu’il pouvait désormais endosser la tenue de premier opposant à Paul Biya. Un pari sur l’avenir, en somme, sachant que la présidence Biya est entrée dans une ère crépusculaire et que personne ne sait comment les ténors du parti au pouvoir géreront l’inéluctable succession du « Sphinx d’Etoudi ».
Le pays n’a jamais paru aussi morcelé
Dans cette première élection organisée à l’ère des réseaux sociaux, propices à la diffusion d’informations rarement vérifiées, et des groupes WhatsApp permettant le rassemblement de tous ceux qui partagent un même avis, le Cameroun aura aussi montré un visage inquiétant.
« On a pu voir un ethnofascisme se developper contre les Bamiléké. Il faut pour cela regarder certaines chaînes de télévision soutenues par le pouvoir », indique Stéphane Akoa, politologue à la Fondation Paul Ango Ela. En effet, que ce soit dans les groupes de discussions ou dans certains médias, la campagne contre Maurice Kamto a été menée bien davantage contre la communauté à laquelle il appartient que contre le programme défendu par cet ancien ministre (2004-2011) à la personnalité policée et aux manières de technocrate.
Pour Paul Biya, tout le défi de son nouveau mandat de sept ans sera de presserver l’unité d’un pays qui n’a jamais paru aussi morcelé. Dans les provinces septentrionales, le combat contre les islamistes de Boko Haram, qui a permis à Yaoundé de se replacer sur l’échiquier international comme l’un des rouages de la lutte contre le djihadisme, n’est pas achevé. « Ils ont récupéré beaucoup d’armes lors de deux attaques sur des bases militaires au Nigeria. Dès la saison sèche, ils vont relancer des attaques », s’inquiète un officier de haut rang.
Dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les autorités camerounaises mènent en revanche depuis un an une guerre sans appui extérieur et sans regard étranger contre les rebelles indépendantistes anglophones. Nul n’est en mesure de savoir si, dans un avenir proche, Paul Biya privilégiera le dialogue, comme l’y incitent diplomates et leaders de la société civile, ou poursuivra la répression à huis clos.
Cyrille bensimon