L’audience du 28 mars entendait Lassana Soumano, dernier des dix-neuf accusés jugés à Abidjan après le démantèlement en 2022 d’un vaste réseau de narcotrafiquants.
Lassana, Lassina ou Alassane, son prénom varie selon les récits de ses coaccusés, mais son nom de famille, Soumano, reste le même. Le dernier personnage du feuilleton judiciaire qui passionne les Ivoiriens depuis décembre 2023 a été présenté, jeudi 28 mars, devant le pôle pénal économique et financier d’ABIDJAN où se tient le procès d’un vaste réseau de narcotrafiquants. Jugé pour trafic international de cocaïne et association de malfaiteurs après la saisie de plus de deux tonnes de cocaïne à San Pedro et Abidjan, en avril 2022,il ne reconnaît pas les faits. Elancé dans son boubou bleu ciel bien coupé, Lassana (le prénom inscrit sur son passeport ivoirien) Soumano est un homme d’affaires à la double nationalité, malienne et ivoirienne, et aux multiples casquettes. Gérant d’une société de négoce international d’hydrocarbures, il se présente également comme « web-entrepreneur » et s’adonne occasionnellement à la revente en ligne de véhicules d’occasion.
Selon lui, c’est cette activité secondaire qui l’a rattaché, par infortune, au vaste réseau de narcotrafiquants avec lesquels il comparaît. Lassana Soumano raconte avoir été approché « en juin ou juillet 2021 » par un certain Dramane Koné, qui souhaitait acheter une voiture. Les deux hommes se seraient donné rendez-vous sur le parking de la boulangerie Pangolin à Koumassi, dans le sud d’Abidjan, où M. Soumano avait l’habitude de mener ses négociations. Dramane Koné s’y serait présenté accompagné de son patron, le cerveau présumé du trafic de cocaïne Miguel Angel Devesa Mera, mais l’Espagnol ne serait pas descendu de la voiture. La vente n’aurait pas abouti, et les deux Ivoiriens auraient alors débuté une correspondance amicale.
« Dramane Koné m’envoyait des messages pour me souhaiter “Jumu’a Mubarak” » [“bon vendredi”], précise le prévenu. On s’appelait de temps en temps. Je le trouvais sympathique. » Si sympathique qu’il consent à lui accorder un prêt de 500 000 francs CFA (762 euros), lorsque M. Koné invoque une urgence familiale. Miguel Angel Devesa Mera se porte garant pour son employé et lui signe une reconnaissance de dette, que Dramane Koné rembourse quelques jours plus tard.
« C’est un gentleman ! »
Mais, en octobre 2021, c’est au tour de M. Devesa Mera de demander un prêt de 1 million de francs CFA à Lassana Soumano. L’Espagnol signe une nouvelle reconnaissance de dette, mais l’échéance passée, ne rembourse pas. Lassana Soumano multiplie les appels et va jusqu’à tenter de l’intercepter dans les restaurants qu’il fréquente habituellement, sans succès. Le prévenu raconte même une scène rocambolesque au cours de laquelle il confronte Miguel Angel Devesa Mera dans le restaurant d’un hôtel, s’écriant : « De gré ou de force, tu me paieras mon argent ! » M. Devesa Mera se serait alors enfui, relate Lassana Soumano, qui n’aurait plus eu de ses nouvelles jusqu’à celle, sur les réseaux sociaux, de son arrestation. Quelques membres de l’assistance laissent échapper un rire incrédule. Pareille altercation pour une dette d’un million de francs CFA semble peu compatible avec les sommes considérables évoquées lors des précédentes audiences par le parquet.
A la procureure qui l’interroge sur ses rapports avec le narcotrafiquant, Lassana Soumano répond que « M. Miguel n’est pas mon ami, juste une connaissance ». Pourquoi alors lui accorder un prêt ? « C’est un gentleman, il est très persuasif ! s’exclame le prévenu. Vous l’avez bien vu à chaque fois qu’il est passé à la barre ! » Au premier rang des accusés, Miguel Angel Devesa Mera se caresse le menton, réprimant mal un sourire.
Lassana Soumano est également interrogé un long moment sur ses deux pièces d’identité. L’orthographe de son prénom, sa date de naissance, mais aussi le nom de famille de sa mère diffèrent d’un passeport à l’autre. De simples erreurs administratives, jure M. Soumano. Des faux papiers, selon la cour. Si la question est cruciale, c’est parce que Miguel Angel Devesa Mera a affirmé pendant l’instruction avoir connu Lassana Soumano au Mali en 2009, dans le cadre d’un précédent trafic de cocaïne, annonce la présidente. Puis avoir travaillé une seconde fois avec le prévenu, dix ans plus tard, à Abidjan. « Selon M. Devesa Mera, il a eu recours à vous pour vendre les petites quantités de cocaïne », lance-t-elle, précisant que le numéro de M. Soumano est enregistré dans le répertoire du narcotrafiquant sous le nom de « Amigo [ami en espagnol] Mali Koumassi ».
« Je vais vous expliquer »
« Une contre-vérité ! », jure le prévenu qui maintient avoir rencontré l’ancien policier espagnol pour la première fois sur le parking du Pangolin. La présidente de la cour invite alors Miguel Angel Devesa Mera à prendre sa place à la barre. Immédiatement, les murmures se taisent. « Je ne vais rien changer à ma déclaration », lâche-t-il avec décontraction, les mains croisées devant lui. Mais il accepte de la développer, en commençant son récit par sa formule fétiche : « Je vais vous expliquer… »
Et il explique donc avoir rencontré M. Soumano, qu’il appelle Alassane, à Bamako « en 2008 ou 2009 ». Déjà impliqué dans le trafic de cocaïne, Miguel Angel Devesa Mera recourt à cette époque aux services de l’agence Go Voyages pour laquelle travaille Lassana Soumano. Ce dernier aurait également été employé par un associé colombien de M. Devesa Mera, pour lequel il livrait de la cocaïne en Europe.
Puis les deux hommes se sont perdus de vue après l’incarcération de Miguel Angel Devesa Mera au Mali, entre 2010 et 2011. Avant de se recroiser, par coïncidence, sur le parking de la pâtisserie Pangolin. « J’étais en voiture avec Dramane Koné quand Alassane Soumano m’a reconnu, lâche M. Devesa Mera, flegmatique. Il m’a appelé : “M. Miguel ! M. Miguel !” Et c’est comme ça que nous avons repris contact. » M. Soumano était déjà actif dans le trafic à Abidjan, indique-t-il, et lui aurait proposé ses services.
« On a une mauvaise connexion »
Miguel Angel Devesa Mera reconnaît les deux prêts, pour remédier à des problèmes de liquidité, mais assure avoir toujours remboursé M. Soumano à temps, « et avec des intérêts ». Il l’aurait également employé en 2021, lorsqu’il cherchait à écouler une cargaison de cocaïne venue du Ghana. Mais il jure que Lassana Soumano n’a rien à voir avec la drogue saisie à San Pedro et Abidjan, en avril 2022, au cœur de ce procès. « Je ne suis pas à l’aise avec M. Soumano, reconnaît l’Espagnol. On a une mauvaise connexion. Je ne voulais pas travailler avec lui pour de grosses quantités. »
Par MARINE JEANNIN (Abidjan, correspondance)