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RCI/ TROUBLE A L’ORDRE PUBLIC: UNE APPLICATION A GÉOMÉTRIE VARIABLE SOUS LE RÉGIME OUATTARA .Par Pr Félix TANO

Depuis 2011, la justice pénale s’est fortement invitée dans les différends politiques en Côte d’Ivoire. D’Abidjan à la Haye (Pays bas), elle a été utilisée comme une arme politique contre des adversaires politiques. La dernière actualité des manifestations publiques en Côte d’Ivoire vient nous rappeler que la répression judiciaire de l’opposition politique a encore de beaux jours devant elle.  


31 cadres et militants du Parti des Peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) ont été interpellés, par la police (?), le 24 février 2023. Ils partaient apporter leur solidarité au Secrétaire général de leur parti, M. Damana Adia Pickass, qui avait été convoqué par Madame le juge d’instruction chargée de la Cellule spéciale de Lutte contre le Terrorisme. Déférés devant le parquet, ils ont été placés sous mandat de dépôt par le procureur de la République et incarcérés à la MACA d’où ils viendront être jugés ce jeudi 9 mars 2023. Ils sont accusés de trouble à l’ordre public. Or, il y a de multiples manières d’être coupable de trouble à l’ordre public car la notion d’ordre public est très large, et c’est ce qui laisse la place à tous les abus.

L’ordre public définit la paix sociale garantie par la sécurité publique et le respect d’un certain nombre de lois. Le trouble à l’ordre public est une situation où la paix publique est atteinte de manière significative par un individu (ivresse publique) ou par un groupe (attroupement). Toutefois, un rassemblement d’une cinquantaine de personnes ne constitue pas en soi un « attroupement dangereux ». La jurisprudence est clair là-dessus : « Un rassemblement calme et pacifique, même s’il est susceptible de gêner la circulation, ne peut être qualifié d’attroupement ». Et la participation à un attroupement en tant que telle n’est constitutive d’une infraction que dans certaines conditions. Il faut donc s’étonner des arrestations rocambolesques opérées ce jour-là.

 
Certains interpellés du 24 février 2023 étaient dans le cortège du Secrétaire général, dans des voitures dont ils ont été extraits. D’autres, des chauffeurs, conduisaient tout simplement leur patron. Les autres participants devisaient entre eux. Surtout, aucun acte de défiance ou susceptible d’entraver l’audition prévue n’avait été posé. Ils n’empêchaient pas la circulation et ne menaçaient aucunement la tranquillité publique. Il ne s’agissait en l’occurrence que d’un rassemblement calme et pacifique. La tranquillité publique ne semblait pas être menacée outre mesure. D’ailleurs, pourquoi dans des cas similaires de trouble à l’ordre public, les autorités judiciaires n’ont pas réagi ? 

A Tiesso et à Kani, dans le département de Séguéla, au nord du pays réputé bastion politique d’Alassane Ouattara, par parole, menaces et violence, des individus ont empêché et dispersé la tenue de meetings politiques du PPA-CI pourtant autorisées. A Adzopé (dans le Sud-est), à l’occasion de la visite du Président Gbagbo (opposant) dans la région de la Mé, des militants se réclamant du même parti de M. Ouattara ont calciné des véhicules et blessé des manifestants avec des cocktails Molotov.

A Bayota, département de Gagnoa au Centre-Ouest du pays, des vandales jusqu’ici non identifiés ont détruit des affiches publicitaires installées pour annoncer la visite du Président Laurent Gbagbo sur ses propres terres, celles de ses parents maternels. Qu’a-t-on fait d’eux ? Rien ! Où étaient le procureur de la République et son représentant ? Ou étaient les forces de l’ordre ? La « perturbation de réunions et d’assemblées » n’est-elle pas aussi punie par le Code pénal ? Comment ces autorités chargées de l’ordre justifient-elles leur inaction dans certains cas et leur diligence dans d’autres ? En définitive, quels sont ces signaux que l’Etat sous M. Ouattara envoie-t-il sans cesse ? Est-ce pour nous signifier que les Ivoiriens ne sont pas égaux en droit ? Y a-t-il des Ivoiriens qui peuvent sévir en toute impunité quand d’autres subissent les foudres de la loi pour peu ?

Notre Constitution dispose en son article 49 que « la République de Côte d’Ivoire est une et indivisible ». Ce qui suggère que la Côte d’Ivoire est un Etat unitaire, soumis à un droit uniforme applicable de manière identique sur tout le territoire national. Alors, si nous sommes soumis aux mêmes lois, comment se fait-il qu’à Tiesso, à Kani, à Adzopé et à Bayota, des individus peuvent se permettre de casser, de brûler ou de perturber des manifestations sans être inquiétés alors qu’à Abidjan, un simple rassemblement de solidarité au responsable d’un parti légalement constitué, convoqué peut être interprété comme un trouble à l’ordre public et entrainer la comparution devant le juge ? Qu’espèrent le régime Ouattara en déférant des responsables politiques de l’opposition devant les magistrats ? Que les autorités judiciaires démontrent à leur tour qu’elles ne sont pas soumises au principe d’indivisibilité de la République ? Tels sont les dangers auxquels expose le pays la récurrente application à géométrie variable du délit de trouble à l’ordre public sous le régime Ouattara. 


Félix TANO
Maître de Conférence
Université de Bouaké

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