« Il est temps que les médiocres dégagent », « barbarie », « mensonge systémique », « brutalités policières »…: il a suffi de quelques mots bien sentis en 48 heures pour que Mgr Monsengwo, 78 ans, fasse honneur à sa réputation d’opposant numéro un. D’autant que les appels à manifester de l’opposition politique ont sonné creux fin 2017 face à l’interdiction et la dispersion systématique de tout rassemblement.
L’archevêque de Kinshasa, une capitale d’environ 10 millions d’habitants et plus de 130 paroisses, est la figure de proue de l’Eglise romaine dans un pays de quelque 80 millions d’habitants très majoritairement catholiques malgré la prolifération des Eglises évangéliques dite du « réveil » (dont certains avancent qu’elles soutiennent le président Kabila).
Puissant à Kinshasa, le prélat congolais pèse lourd aussi à Rome. Elevé au rang de cardinal par Benoît XVI, Mgr Monsengwo représente l’Afrique dans le collège des neuf cardinaux nommés par le pape François pour travailler sur la réforme de la Curie.
Le Vatican lui a apporté son soutien après ses déclarations fracassantes. A Kinshasa, le nonce apostolique, Luis Mariano Montemayor, un Argentin proche du pape, a aussi dénoncé « la réaction disproportionnée des forces de sécurité congolaises » face à la marche des catholiques du 31 janvier.
Dans un premier temps, Mgr Monsengwo n’avait pas commenté cet appel de laïcs proches de l’Eglise à une marche pour demander au président Kabila de déclarer publiquement qu’il quitterait bien le pouvoir.
La réponse des forces de sécurité (au moins cinq morts, 134 paroisses encerclés, cinq messes interrompues…, d’après la nonciature) semble avoir réveillé une profonde colère chez cet homme de taille moyenne, qui lit ses homélies à voix basse entrecoupée de longs silences.
Communiqué souhaitant la fin du « mensonge systémique » et que « les médiocres dégagent », interview à radio Vatican, messe du 4 janvier à la mémoire des martyrs de l’indépendance, qu’il compare « aux morts d’aujourd’hui » victimes des « brutalités policières »…: ses prises de position ont suscité une mise en garde du gouvernement frisant la menace de poursuites.
« Monseigneur Laurent Monsengwo a tenu des propos injurieux à l’endroit des dirigeants du pays ainsi que des forces de l’ordre », a indiqué vendredi un compte-rendu du Conseil des ministres.
Un ‘Desmond Tutu congolais’
Archevêque de Kinshasa depuis 2007, Laurent Monsengwo s’inscrit dans l’histoire de l’Église du Congo, engagée depuis l’indépendance (1960) dans les questions de société, selon le père Léon de Saint-Moulin, jésuite et historien du Congo.
Noël 2016 déjà. Le président Kabila n’a pas organisé d’élections alors que son deuxième et dernier mandat a pris fin le 20 décembre, provoquant des manifestations étouffées dans le sang en septembre et décembre.
« Il est révolu le temps où l’on cherchait à conserver le pouvoir par les armes, en tuant son peuple. Celui qui respecte la Constitution n’a rien à craindre de la justice », glisse le cardinal pendant la messe de minuit entre deux citations tirées des Evangiles.
Quelques jours plus tard, pour enrayer la violence, le puissant épiscopat congolais parraine un accord majorité-opposition prévoyant des élections en décembre 2017 au plus tard.
Des élections finalement reportées au 23 décembre 2018. Mgr Monsengwo s’est-il senti floué? La conférence épiscopale fait en tous cas savoir qu’elle regrette ce report et demande au président Kabila de déclarer publiquement qu’il ne sera pas candidat à sa propre succession.
En 2011, le cardinal avait déjà contesté la réélection du jeune chef de l’Etat, en estimant que les résultats de la présidentielle n’étaient « conformes ni à la Vérité, ni à la Justice ».
A l’époque du président Kabila père (Laurent-Désiré, 1997-2001), alors archevêque de Kisangani, Mgr Monsengwo se montre déjà critique envers le nouveau pouvoir. Pendant les guerres de 1998-2003 qui ravage l’est de l’ex-Zaïre, il doit à un moment quitter cette grande ville de l’est de la RDC, théâtre d’une guerre entre forces du Rwanda et de l’Ouganda.
Son parcours politique a commencé sous la dictature du maréchal Mobutu (1965-1997), qui a entretenu des relations ambivalentes avec l’Eglise, entre interdiction des noms chrétiens et accueil du pape Jean-Paul II en 1980.
Déjà figure morale et populaire, Laurent Monsengwo a pu apparaître dans les années 90 comme le Desmond Tutu congolais en prenant la tête de la Conférence nationale souveraine supposée libéraliser le pouvoir, puis d’une sorte de Parlement de transition, avant d’être écarté.
Un quart de siècle plus tard, cet homme polyglotte, proche du président du Congo-Brazzaville Denis Sassou Nguesso, se trouve plus que jamais au centre du jeu en cette année 2018 de toutes les attentes.
Avec AFP