Le procureur avait requis la prison à vie pour l’ancienne première dame, poursuivie pour crime contre l’humanité par la justice ivoirienne.
Les reports successifs des audiences, tout comme la certitude populaire de sa condamnation, avaient progressivement détourné l’attention de son procès , ouvert en mai 2016 devant la cour d’assises d’Abidjan. Contre toute attente, l’ancienne première dame ivoirienne Simone Gbagbo a finalement été acquittée, mardi 28 mars, des chefs d’accusation de crime contre l’humanité et de crime de guerre qui pesaient sur elle.
La décision prise à la majorité des six jurés a été annoncée par le président de la cour, le juge Kouadio Boiqui, devant un box des accusés vide. Mme Gbagbo avait décidé, en novembre, de boycotter son procès, suivie par son équipe de défense, puis par ses avocats commis d’office. « Condamnez-moi, mais arrêtez de me fatiguer », avait-elle lancé au tribunal lors de sa dernière apparition publique.
« Nous n’avons pas eu droit à un procès équitable. La justice ivoirienne n’a pas voulu entendre les acteurs des faits dénoncés [les patrons de l’armée , de la police et de la gendarmerie sous Laurent Gbagbo, ainsi que Guillaume Soro, l’ex-chef de la rébellion devenu depuis président de l’Assemblée nationale], mais je salue la décision courageuse de la cour d’assises », s’est félicité, mardi soir, Me Ange Rodrigue Dadjé, le principal avocat de Mme Gbagbo. Avec ses confrères, il avait réclamé, quatre jours plus tôt, « la reprise à zéro de ce procès historique », certain que sa cliente serait déclarée coupable des crimes qui lui étaient reprochés.
« De la tristesse et de la désolation »
Surpris par la décision du jury populaire, aucun ne veut perdre la face. Aly Yéo, le procureur général, qui avait requis dans l’après-midi une condamnation à la prison à vie pour celle qui était soupçonnée d’avoir commandité une multitude de crimes, refuse de parler d’échec :
« L’échec aurait été de ne pas arriver à organiser ce procès. Tous ceux qui pensaient qu’il s’agissait d’une mascarade, que les juges étaient vendus au pouvoir et les jurés savamment choisis doivent désormais revisser leur jugement. Cette décision démontre que rien n’est joué d’avance et conforte la conviction que nous avions que la Côte d’Ivoire est capable d’organiser un procès équitable pouvant déboucher aussi, sur un acquittement. »
Un pourvoi en cassation est encore possible, et Simone Gbagbo n’en a pas fini avec la détention, la justice de son pays l’ayant condamnée, en 2015, à vingt ans de réclusion pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Cependant, ce premier procès, sur le sol ivoirien, pour des chefs d’accusation de crime contre l’humanité, d’une haute personnalité politique impliquée dans la crise ayant suivi l’élection présidentielle de 2010 laisse une forte impression d’inachevé. Trois mille personnes avaient trouvé la mort entre novembre 2010 et mai 2011, selon les Nations unies.
« Je ressens de la tristesse et de la désolation pour les victimes », a déploré Issiaka Diaby, le président de l’association des victimes de la crise. « Je réclame l’exécution du mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale contre Simone Gbagbo. Aujourd’hui, seule la justice internationale peut lutter contre l’impunité. On ne peut plus faire confiance à la justice ivoirienne », a-t-il ajouté.
L’ancienne « dame de fer ivoirienne » toujours inflexible
« Nous espérions que ce procès allait permettre de reveler la vérité sur une partie de notre histoire . Personne ne peut nier qu’il y a eu des crimes, des victimes, mais là, c’est comme s’il n’y avait pas de coupable, alors nous restons sur notre faim », a estimé Willy Neth, le vice-président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme. Avec d’autres organisations parties civiles, celle-ci avait décidé de se retrer avant l’ouverture des audiences pour denoncer un « procès organisé à la hâte, avec Simone Gbagbo comme seule accusée ». « La juger seule, en l’absence de ceux avec lesquels elle est accusée d’avoir planifié et commis les crimes les plus graves, et dont certains sont aujourd’hui inculpés pour les mêmes faits, ne permettra pas de saisir l’entière réalité de l’appareil répressif mis en place par Laurent Gbagbo et son entourage à l’issue de l’élection présidentielle de 2010 », avaient alors déclaré ses porte-parole.
De fait, ce procès a été organisé pour soustraire à la Cour pénale internationale « l’ancienne dame de fer ivoirienne », qui était bien plus que la simple épouse de Laurent Gbagbo, dont le procès se tient actuellement à La Haye, avec celui de Charles Blé Goudé, l’ex-leader des Jeunes Patriotes. En aparté, l’actuel président ivoirien, Alassane Ouattara, ne cache pas sa détestation de celle qui, durant la crise, le surnommait « le chef bandit ». « C’était elle qui décidait de tout », a-t-il confié récemment, en repoussant toute possibilité d’amnistie.
Alassane Ouattara a refusé de transférer Simone Gbagbo devant la justice internationale, qui agit par subsidiarité, sous la pression de plusieurs de ses homologues africains, mais aussi pour protéger ceux lui ayant permis d’accéder au pouvoir par la force lorsque Laurent Gbagbo refusait de concéder sa défaite dans les urnes, reconnue internationalement. Des crimes ont été commis de part et d’autre mais, depuis 2011, la justice ne concerne que les vaincus et aucun des camps ne semble aujourd’hui réellement prêt à admettre ses fautes.
Si l’accusation a eu bien du mal à convaincre , à presenter des preuves irréfutables et des témoins au-dessus de tout soupçon tout au long du procès de Simone Gbagbo, celle qui fut première dame de 2000 à 2010 s’est montrée fidèle à elle-même : inflexible. Accusée d’être liée à la répression d’une marche de femmes à Abobo, commune d’Abidjan dont elle était députée, qui avait fait sept morts en mars 2011, elle a répondu : « Ce crime n’a pas existé. C’était une pièce de théâtre. »
cyril bensimon