Marié à la sœur de l’épouse du dictateur tchadien Idriss Déby, Ibrahim Hissein Bourma, 28 ans, est déjà rompu à la manipulation de grosses sommes d’argent. En 2013, ce riche entrepreneur s’est même fait pincer à l’aéroport du Caire avec 199 000 euros en liquide dans sa valise, alors qu’il voyageait avec un passeport diplomatique vers Dubaï.
À l’époque, le jeune homme d’affaires venait de commencer ses multiples transactions dans le marché montréalais : des investissements de plus de 5,9 M$ en condos en cinq ans. En une seule journée en juin 2016, il a dépensé près de 3,16 M$ pour acheter 10 appartements de la tour «Exalto» de Devimco, rue Peel, dans le quartier Griffintown. Le tout, sans jamais prendre d’hypothèque, et malgré ses problèmes d’argent liquide à la frontière.
Contacté dès août 2016, Hissein Bourma a expliqué à notre Bureau d’enquête qu’il est attiré par la solidité du marché immobilier au Québec. «À Dubaï, vous pouvez acheter des appartements à un prix et ça chute super rapidement, dit-il. À Montréal, c’est resté stable depuis des années…»
Il songe à faire une demande d’immigrant investisseur. «J’ai deux enfants, je crois qu’ils vont s’installer à Montréal. C’est une ville qui a de l’avenir, très calme, sécurisée, dit-il. Je suis attiré par l’éducation du Canada.»
Questionné sur son interception au Caire en 2013 avec sa valise de billets de banque, il a assuré que cet événement n’a «jamais eu lieu». «Je n’ai jamais été arrêté, nulle part.»
Son avocate d’immigration, Sabine Venturelli, a d’abord certifié que le procès-verbal de l’incident égyptien, en notre possession, était un faux document.
Mais notre Bureau d’enquête a continué ses recherches, et deux mois plus tard, nous avons retracé le dernier jugement sur l’affaire, directement au greffe égyptien. Le document confirme que les billets se trouvaient dans un double-fond de la valise de Hissein Bourma.
«(…) l’officier a constaté l’existence d’une bosse au fond de la valise : un double-fond où étaient logés deux sacs noirs en tissu, mentionne le jugement de novembre 2015. En les ouvrant, il a trouvé 199 000 €.»
Après l’avoir condamné en première instance, la Cour économique du Caire a toutefois acquitté Hissein Bourma pour une raison technique : la compagnie aérienne ne lui aurait pas présenté le formulaire où il aurait pu déclarer ces fonds.
Lorsque notre Bureau d’enquête a recontacté Me Venturelli pour obtenir la réaction de son client à ces informations, elle est restée plus d’un mois «sans instructions précises» de Hissein Bourma.
Fin mars, elle a finalement envoyé un courriel où elle insiste sur son acquittement, qui «blanchit» son client «de toute accusation et révoque tout jugement antérieur». «Pour notre client, cet incident était clos et c’est pour cette raison qu’il vous a répondu comme il l’a fait», dit-elle.
Bloqué par le Homeland Security
Washington aussi s’interroge sur les fonds d’Hissein Bourma.
Toujours en mai 2013, alors qu’il trimballait du liquide en avion, l’homme d’affaires a aussi déposé près de 540 000 $ US dans un compte d’immigrant investisseur aux États-Unis, pour l’injecter dans un projet d’hôtel Hyatt en Floride et s’installer au pays. Mais quatre ans plus tard, Bourma vient d’abandonner l’idée. Le Homeland Security Department a refusé sa demande, invoquant ses déclarations changeantes et imprécises sur la façon dont il a fait parvenir ces fonds aux États-Unis.
Chose certaine, l’avocat de Hissein Bourma a déclaré dans les documents américains que l’argent provenait de son conglomérat installé à Dubaï, Oum Alkheir, qui multiplie les contrats avec le gouvernement de son beau-frère dictateur, Idriss Déby.
À son interception en Égypte, Hissein Bourma a d’ailleurs déclaré que ses 199 000 € devaient servir à acheter des matériaux pour cette entreprise, qui venait de décrocher le contrat de construction du ministère des Affaires étrangères dans la capitale tchadienne, N’Djaména.
Les mains dans le pétrole
Pendant qu’il diversifie ses investissements à Montréal, l’homme à tout faire est aussi très occupé dans son pays d’origine. En plus de multiplier les contrats avec l’État, il a piloté, à partir de 2011, la division marketing de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT). Cette compagnie publique a vendu pour 682 M$ US de pétrole en 2014.
Hissein Bourma assure aujourd’hui qu’il n’a jamais travaillé pour la Société, dont le Fonds monétaire international et différentes organisations non gouvernementales dénoncent l’opacité dans la gestion des revenus, année après année.
«Je n’ai pas eu de position de directeur à la SHT, assure-t-il. Il y a des choses sur Internet qui n’ont rien à voir avec la réalité.»
Mais les informateurs de notre Bureau d’enquête sont formels, tout comme les médias spécialisés dans l’économie africaine. Hissein Bourma a bien dirigé le département de commercialisation de la Société, vraisemblablement jusqu’en juillet 2016, selon nos sources sur le terrain, qui doivent rester anonymes pour protéger leur sécurité.
Pourquoi une telle discrétion sur ses fonctions passées à la SHT? La réponse ne viendra ni de Hissein Bourma, ni de ses avocats montréalais. mais selon transparency international , un organisme qui débusque la corruption dans le monde, les revenus pétroliers au Tchad sont «largement considérés comme ayant contribué à alimenter les guerres et les rébellions, à entretenir les réseaux de patronage, à augmenter la corruption et le copinage et à détériorer le système de gouvernance du pays».
Le jeune beau-frère du dictateur Déby a plusieurs cordes à son arc, mais certaines d’entre elles sont peut-être plus difficiles à assumer.
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