Dans ce ciel très serein, l’homme aux multiples voyages cloitré dans sa tour d’ivoire, entouré de ses courtisans et flagorneurs, n’a pas vu venir la vague de contestation qui s’est abattue sur lui et son régime comme une météorite le 19 août à travers plusieurs villes du pays et dans la diaspora. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’effet du bambou chinois, c’est-à-dire l’effet surprise.
Depuis l’exploit du PNP le 19 août dernier et la vague de répression qui s’en est suivie avec des morts à Sokodé et des blessés graves de même que des arrestations, le monde entier s’est rappelé la nature et les méthodes brutales du régime autocratique togolais qui s’auréolait d’une couche cosmétique de démocratie. Et depuis, Faure Gnassingbé, Président en exercice de la CEDEAO, est mis sur le banc des accusés. Comme un volcan en sommeil qui vient de se réveiller, le peuple togolais de Cinkassé à Lomé, de Sokodé à Mango et de Paris à Washington, New York, Berlin, même à Dubai !!! ou sur l’Ile de la Réunion !!! les Togolais affichent devant le monde entier la colère, la rage contre un régime « humanicide », symbole d’une tyrannie cinquantenaire qui s’oppose à toute idée d’alternance dans un monde de plus en plus civilisé.
Le monde entier a désormais les projecteurs braqués sur le Togo, même les médias qui ne savaient même pas la localisation de ce bout de territoire ont dû prendre des cours express de géographie pour enfin faire un article sur la dernière dictature en Afrique de l’Ouest à l’image de la Corée du Nord. Depuis, les manifestations ne faiblissent pas malgré la répression sanglante et tendent même à se généraliser à tout le pays et à la diaspora. Cloitré dans son palais entre les séances de prière de ses flagorneurs de pasteurs (Olatokounbo Ige, Puis Agbetomey, Kodjo Adédjé .etc ) avec ses ministres, celui qui envoie la soldatesque martyriser son peuple, violer les domiciles et bastonner les femmes, même les vieilles, tirer à balles en caoutchouc et parfois réelles sur les populations, comme ce fut le cas à Bafilo et Mango ce mercredi, serait un bon chrétien qui adresse ses prières au bon Dieu. Espérons que le Seigneur puisse répondre à ses appels et à celui de ses courtisans. En attendant, le front de la contestation continue, et les mauvaises nouvelles aussi.
Désormais cloué à son fauteuil qu’il tient à conserver par tous les moyens, même s’il faut faire du Togo une seconde Burundi en Afrique de l’ouest, le Prince peine à engranger des soutiens. L’annulation ou le report du controversé sommet Israël-Afrique présenté comme l’évènement du siècle a été le premier revers d’une diplomatie aux choix hasardeux qui débouchera certainement sur des conséquences entre l’Etat hébreu et le régime de Lomé. Le second revers est le renoncement à l’Assemblée générale de l’ONU ouvert lundi dernier à New York. Une annulation de dernière minute alors que les délégations se rendaient déjà à l’aéroport qui traduit le climat de fébrilité qui règne aujourd’hui au Palais de la Marina ou à la Rotonde.
De toute façon, la diaspora togolaise plus que jamais déterminée, avec le soutien des Africains, l’attendait de pied ferme. Il en est de même du Président américain dont le réquisitoire à la tribune des Nations Unies contre les dictateurs et ceux qui prennent le vilain plaisir à couper l’Internet à leurs peuples n’aurait pas bien résonné dans les oreilles de Faure Gnassingbé. Dans l’espace CEDEAO dont il est le président en exercice, les soutiens sont quasi nuls. Il ne peut en être autrement pour un régime cinquantenaire qui s’oppose à toute réforme et surtout à toute alternance au sommet de l’Etat.
La sortie d’Alassane Ouattara, l’un des proconsuls français en Afrique de l’ouest lors du congrès du RDR sur la question de l’alternance sonne comme la voix du maitre Gaullois. Olusegun Obasanjo, l’un des acteurs de l’installation au pouvoir de Faure Gnassingbé en 2005 sur la base d’un deal qui n’a pas été par la suite respecté, n’a pas eu recours à la langue de bois pour cracher ses vérités au Prince de Lomé. Il en est de même du Président John Jerry Rawlings, pourtant proche du locataire de la Marina. Le clou est venu de son propre beau-frère Marcel de Souza, Président de la Commission de la CEDEAO qui, après lui avoir dit les vérités en face lors d’une audience en compagnie du représentant de la CEDEAO à Lomé, Garba Lompo, est allé répéter les mêmes choses lors d’une interview depuis la Gambie sur RFI, en disant clairement qu’en aucun cas, nul ne peut faire plus de deux mandats.
Le moindre mal pour Faure Gnassingbé est qu’on le laisse terminer son mandat, le pire c’est qu’il risque de partir avant même 2020, comme ce fut le cas de Blaise Compaoré. Tous ces indices ne suffisent pas pour que celui qui rêve d’un règne à vie décode le message. Au contraire, soutenu par un carré de fidèles et de jusqu’au-boutistes parmi les «sécurocrates», il fait l’option du chaos par une Constitution taillée sur mesure qu’il soumettra au référendum, avec l’assurance qu’il sera encore candidat en 2020. Tout le contraire de ce que la majorité du peuple exige, de même que les partenaires.
Dans les chancelleries, on a du mal à comprendre la boulimie du pouvoir d’un homme qui a succédé à son père ayant régné 38 ans et lui-même qui bouclera 15 ans en 2020. Comme toute dictature qui s’effondre, il y a ceux qui font le choix du chaos et qui ne jurent que par la force brute pour écraser les populations, les leaders, les journalistes, les acteurs de la société civile. Mais il y a ceux aussi qui savent lire les signes des temps et qui, malgré les apparences, prennent discrètement les dispositions pour sauver leur vie et celle de leurs familles. Et c’est le cas actuellement. A force de jouer au dur à cuire, on finit un jour par se retrouver seul ou avec seulement quelques courtisans.
Les «securocrates» togolais ou ceux qui pensent avoir le droit de vie et de mort sur les gens, n’ont jamais été plus forts ou craints comme les Gilbert Diendére et Djibril Bassolé du Burkina Faso. Ces derniers sont aujourd’hui dans leurs petits souliers devant les mêmes juges qu’ils instrumentalisaient contre le peuple avant.
Le lâchage tous azimuts de Faure Gnassingbé en ce moment, et l’ampleur des répressions sanglantes contre les populations aux mains nues après le lourd passif des massacres de 2005 sonnent comme le début de la fin. Comme le disent les sages de la Grèce antique, le temps est bel et bien le tombeau des princes et des dieux. Nous y sommes.
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