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Un ministre de l’ex-dictateur gambien poursuivi en Suisse pour « crimes contre l’humanité »

Ousman Sonko, qui fut aussi chef de la garde spéciale de Yahya Jammeh et de la police est visé par une enquête. S’il y a procès, il risque la réclusion à perpétuité.

 

L’ancien dictateur gambien, Yahya Jammeh, en septembre 2006 à Banjul.

C’était l’un des bras armes  du régime autoritaire de Yahya Jammeh. Ousman Sonko, ministre de l’intérieur gambien de 2006 à 2016, est visé par une enquete  du parquet fédéral suisse pour soupçons de « tortures et crimes contre l’humanité » depuis le 28 janvier.

Mercredi 1er novembre, estimant que les charges qui pesaient contre lui étaient suffisantes, le tribunal des mesures de contrainte bernois a prolongé sa détention une troisième fois pour une durée de trois mois afin de poursuivre  l’investigation. Une décision qui fait notamment suite aux récits détaillés de trois victimes gambiennes venues témoigner  à la barre.

Si M. Sonko n’est pas accusé d’avoir directement participé aux tortures, plusieurs témoins l’auraient reconnu sur les lieux des crimes, faisant de lui le complice présumé des tortionnaires, voire l’instigateur des supplices. « Passage à tebac  avec des câbles, des battes, des marteaux, ou un fouet traditionnel appelé leymarr en wolof ; simulation de noyade et de suffocation avec sac en plastique, électrocution, viols et autres sévices sexuels », détaillait un rapport de Human Rights Watch (HRW) en septembre 2015.

Ces actes auraient notamment été le fait de deux unités de la police gambienne : la Serious Crime Unit et la police  Intervention Unit. D’autres témoignages rapportent aussi la participation d’une unité secrète, celle des jungulars, ou « broussards » en français, les hommes de main du président, « son équipe d’assassins », racontait au Monde Afrique Ousmane Bojang, un ancien des services secrets gambiens, la National Intelligence Agency (NIA).

L’exécutant de Jammeh

Ousman Sonko est au cœur de cette machine répressive du régime qui vise journalistes et opposants politiques. D’abord chef de la garde spéciale du président, puis chef de la police et enfin ministre de l’intérieur pendant dix ans, ce proche du président, déférent, autoritaire et discret, est de tous les coups. « Il est l’exécutant de Jammeh, celui qui reçoit ses appels demandant la disparition de tel avocat ou tel agitateur, confie une source gambienne souhaitant preserver   l’anonymat. Il a même ordonné la mise à mort de plus de quarante personnes qu’il pensait être des rebelles. »

Ce n’est que lorsqu’il est limogé en septembre 2016 par un Jammeh déclinant et dont la paranoïa se retourne contre ses proches que M. Sonko, craignant pour sa vie, quitte la  Gambie pour la Suisse. En novembre 2016, il demande l’asile à la Confédération helvétique après avoir  déposé des demandes en espagne et en suede . Il vit alors dans le centre  de requérants d’asile de Lyss, dans le canton de Berne, avec d’autres réfugiés. Il est interpellé le 26 janvier 2017 par la police à la suite d’une dénonciation de Trial international , une association suisse d’aide  aux victimes de crimes contre l’humanité. Environ 14 000 francs suisses (12 000 euros) trouvés sur lui seront alors confisqués.

L’instruction se déroulant à huis clos, peu d’informations ont filtré sur les échanges avec le procureur fédéral, Stefan Waespi. Mais, selon une source proche du dossier, Ousman Sonko a eu l’occasion de s’exprimer à plusieurs reprises sur les faits qui lui sont reprochés. Il maintient ne pas avoir été mis au courant d’actes de torture, que son rôle n’était qu’administratif dans la hiérarchie gambienne. Ce que contestent les parties civiles qui ont été entendues par la justice . Sa defense  semble compliquée face aux nombreux précédents dont a été accusé le régime de Jammeh ces dix dernières années.

Réclusion à perpétuité

En 2010 et 2014, une délégation gambienne comprenant M. Sonko s’est rendue à plusieurs reprises au siège de l’ONU à Genève dans le cadre de la Revue périodique universelle – un mécanisme d’observation de l’application des droits de l’homme dans les pays membres. Banjul s’est vu à chaque fois interpellé par le Groupe de travail , plusieurs Etats et les ONG au sujet d’actes de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparition forcées commises en Gambie. « Il ne peut nier  avoir connaissance de ces crimes alors qu’il a assisté à ces réunions », rappelle une source proche du dossier.

Aujourd’hui, sept victimes ont déposé plainte, se constituant partie civile en Suisse. « Il est important que les victimes puissent livrer  leur témoignage, explique Bénédict de Moerloose, avocat chargé du programme enquête et droit pénal pour Trial International. Nous menons une enquête approfondie sur cette affaire et nous nous sommes rendus plusieurs fois en Gambie depuis le début de la procédure. Nous rencontrons des témoins et des victimes, dont certaines souhaitent deposer plainte en Suisse. Elles ont alors la possibilité d’être représentées par des avocats de l’aide juridictionnelle, si elles ne disposent pas des moyens suffisants pour les payer. » Selon lui, s’il y a peu de parties civiles malgré le nombre important de victimes du régime, « c’est parce que le procureur a des ressources limitées pour enqueter . Il faut donc concentrer l’instruction sur des cas emblématiques, cibler  au lieu de surcharger . Car le temps et la volonté politique  suisse pour ces proces   internationaux sont assez faibles ».

Le 19 octobre, Bénédict de Moerloose est retourné à Banjul, la capitale gambienne, pour participer   à la création de la coalition Jammeh To Justice, dont l’objectif est d’attraire l’ancien dictateur et ses complices devant les tribunaux. De nombreuses ONG de défense de droits humains étaient présentes ainsi que des associations de victimes du régime. « Cet effort commun est une suite logique de notre travail sur l’affaire Sonko, avance M. de Moerloose. Il est important que les autres chevilles ouvrières de ce régime répressif, et en particulier l’ancien dictateur, répondent des violations graves des droits humains commises durant ses vingt-deux années de règne. »

En Suisse, il est prévu que l’instruction dure encore de six à douze mois « à l’issue desquels l’affaire, si les procureurs le décident, sera renvoyée en jugement devant le Tribunal pénal fédéral chargé d’organiser un procès », explique M. de Moerloose. Si Ousman Sonko est reconnu coupable de torture et de crimes contre l’humanité, il risque la peine de prison maximale en Suisse : la réclusion à perpétuité.

Par Matteo Maillard (Dakar, correspondance)

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