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Vabé Charles /Comment se fait-il qu’aujourd’hui l’opposition Bété /Baoulé qui fut longtemps entretenue est devenue caduque et qu’on désigne aujourd’hui les Dioula comme la bête noire des ivoiriens ?

Monsieur vabé pouvez-vous évoquer pour nous quelques uns des fondements de la crise que vit en ce moment la Côte d’Ivoire ?

Vabé Charles :

Il faut toujours revenir à l’histoire. Et pour saisir ce qui arrive, il faut remonter jusqu’en 1909 lorsque la guerre coloniale battait son plein en Côte d’Ivoire. Toutes les tribus étaient hostiles à la pénétration coloniale. L’une d’entre elles les Akouès (Baoulés) a alors trahi les autres en s’engageant au côté des colons. En guise de remerciement ces derniers avaient scolarisé une des pupilles de la chefferie traditionnelle, en l’occurrence, Félix HOUPHOUET BOIGNY.

Quand en 1925, M. KOUASSI-NGO (l’oncle d’HOUPHOUET) meurt, et que ce dernier devient chef traditionnel, c’est un gouverneur colonial (Maurice DELAFOSSE) diligenté par la France qui devient conseiller politique d’HOUPHOUET. C’est ce gouverneur colonial là , qui crée la première association des personnes originaires de Côte d’Ivoire. Et conséquemment lorsque HOUPHOUET forme la bourgeoisie africaine dans les années 1930, c’est essentiellement et majoritairement avec de jeunes Akans. A regarder la liste des huit (8) principaux bourgeois qui ont été à la base de la création du Syndicat Agricole Africain en 1944, force est de constater que la majorité d’entre eux est Akan.

Aussi pour comprendre les convulsions que nous vivons aujourd’hui, il faut dire que c’est en partie parce que cette philosophie de l’ivoirité qui a été écrite par M. BEDIE en 1994, puise ses sources dans le pouvoir Akan qui ne veut pas céder la place à une véritable démocratie en Côte d’Ivoire : c’est là , à mon sens, le fond du dossier. Ce pouvoir Akan se met en place dès 1945, lorsqu’au lendemain de la guerre, la France lance à Paris une Assemblée Constituante et demande à l’Outre-Mer d’envoyer des députés. Un grande campagne démarre et confronte d’abord deux principaux candidats : OUEZZIN COULIBALY de la Haute-Volta (puisque les deux pays par la grâce coloniale formaient une même entité) et HOUPHOUET qui venait de la Basse-Côte.

Au cours de la campagne électorale, OUEZZIN était populaire et en avance de presque dix voix au premier tour. Houphouet, déséquilibré, décida de faire campagne sur un thème xénophobique dans le centre et le sud, principalement à Bouaflé, Tiébissou et Sakassou avec des slogan contre les étrangers Mossi. OUEZZIN au vu de ce discours haineux, s’est alors désisté au second tour et a appelé les Voltaïques à voter pour Houphouet.

Dans le même temps il y avait un autre candidat choisi par le parti progressiste : c’était SEKOU SANOGO. Il présentait sa candidature à MANKONO.
A Mankono, SANOGO était majoritaire comme dans toute la partie Nord du pays. Et c’est à cause de cela, que la victoire d’Houphouet n’a été proclamée que le 25 novembre. HOUPHOUET BOIGNY ne l’a jamais oublié. C’est aussi l’une des raisons de ce retard dans le développement dont souffre le grand Nord en Côte d’Ivoire.

HOUPHOUET BOIGNY fut le premier à avoir instrumentalisé la xénophobie à l’orée de l’indépendance en 1945. Dès 1958, il approche un jeune Bété, PEPE PAUL, à qui il donne les moyens de créer la ligue des originaires de Cote d’Ivoire. Il faut rappeler que, selon les historiens et même les contemporains tel Samba Diara, c’est le même PEPE PAUL avec d’autres amis comme Groguhet qui, en 1962-63, a servi d’élément catalyseur pour le complot de 1963. HOUPHOUET BOIGNY a ainsi pu briser la dynamique d’une jeunesse qui sortait de la colonisation, galvanisée par Amadou Kone, arrêté et mis en prison. Ce fut lors du complot de 63 appelé le Complot du chat noir que l’on a donc assisté à la première phase de l’élimination de l’élite nationale.

Et pendant que la ligue des originaires, créée en 1958, organisait le lynchage des Dahoméens puis des nigérians en 1968, des maliens en 1975, des mauritaniens en 1982, des ghanéens en 1988 et 1992, HOUPHOUET BOIGNY nommait des étrangers connus qui ne s’étaient même pas donner la peine de changer de nationalité pour devenir ministre en Côte d’Ivoire. On compte parmi eux Amadou Thiam qui avait épousé la propre soeur d’Houphouet, Amoin, Mohamed Diawara, malien d’origine (depuis qu’il n’est plus ministre, il s’est installé au Mali, précisément à Bamako) et Aboulaye Sawadogo (Burkinabé).

Il faut comprendre que le peuple de Côte d’Ivoire vivait entre deux frustrations . Voilà pourquoi les étrangers ouest africains vivant dans le pays subissaient régulièrement les affres de la xénophobie lors des crises politiques, pendant que d’autres étrangers originaires de la bourgeoisie étaient au sommet de l’Etat. Cette frustration combinée va être le lot commun des ivoiriens jusqu’en 1990 lorsque HOUPHOUET BOIGNY, sentant ses forces l’abandonner, décide de nommer un jeune baoulé considéré comme son fils (ce que mr bernard doza avait ecris dans son livre « liberté confisquée »). Il s’agit de Henry Konan Bedié dont le curriculum politique national aurait eu peu de chances d’être plébiscité par le peuple ivoirien.

Henry Konan Bedié nommé Ministre de l’Economie en 1966 avait en effet profité de la constitution pour percevoir 1% sur chaque aide perçue par la Côte d’Ivoire. Il a d’ailleurs fêté ses 7 milliards en 75, détourné plus de 35 milliards des usines sucrières du Nord en 77 jusqu’à ce que HOUPHOUET BOIGNY lui même soit contraint de le chasser du gouvernement. Il est alors parachuté à la Banque Mondiale et revient en 1980 au nom de ce que l’on a appelé, dans le temps, « la démocratie dans le parti unique ». Il se fait élire à Daoukro comme député et finance la campagne des jeunes députés du parti unique qui n’avaient pas de moyens, lesquels, une fois élus à l’Assemblée Nationale le plébiscitent comme Président de cette institution pour l’aider à prendre le pouvoir.

HOUPHOUET BOIGNY va jusqu’à sacrifier Yace Philippe connu depuis les années 60. En 1963, à l’occasion du complot de 1963 il avait officiellement accusé ses propres amis d’avoir voulu tuer HOUPHOUET BOIGNY. C’est le même Yace qui a géré la crise entre la Côte d’Ivoire et la Guinée en insultant chaque jour à la radio Sekou Touré (le président guinéen)et qui est brisé alors qu’il apparaissait comme le dauphin au congrès de 1980 à Abidjan. A l’issue des débats, Yace revient du congrès sur une civière au profit de Henry Konan Bédié qui en 1990 était encore Président de l’Assemblée Nationale.

Il était donc devenu nécessaire de nommer quelqu’un qui pourrait éclairer le peuple ivoirien. Voilà comment est arrivé Alassane Dramane Ouattara, nommé premier ministre, à qui on a demandé d’établir les cartes de séjours des étrangers africains, de privatiser, d’opérer les relèvements fiscaux, de faire ce que n’avait pas osé faire HOUPHOUET BOIGNY et encore moins son gouvernement. Une fois Alassane Dramane Ouattara devenu populaire dans le pays, on pouvait, HOUPHOUET BOIGNY étant décédé, instruire la philosophie de l’ivoirité et lui barrer la route du pouvoir.

On avait cependant compté sans son sens de la stratégie politique et son armée de conseillers. Constatant que sa position en Côte d’Ivoire était déséquilibrée du fait qu’il avait des origines burkinabé (Burkina Faso) que fait-il au cours d’une conférence à Paris ? il annonce officiellement qu’on ne veut pas de lui comme candidat en Côte d’Ivoire parce qu’on ne veut pas d’un musulman pour Président. Dès lors tous les Dioulas, tous les commerçants pour la plupart originaires du Nord, ont commencé à soutenir Alassane Dramane Ouattara.

A partir de 1994, notre pays est entré dans une phase d’affrontement Nord/Sud et c’est sans aucun doute le fruit de tractations politiciennes mises au point par HOUPHOUET BOIGNY pour préserver le pouvoir aux Baoulés et aux Akans. Henry Konan Bedié, ayant pris le pouvoir, logiquement il devait le perdre au profit du neveu d’ HOUPHOUET BOIGNY, Charles Banny qu’il a pris soin de nommer gouverneur de la BCAO au lendemain de la nomination d’ Alassane Dramane Ouattara comme premier ministre. L’explosion à laquelle nous avons assistés depuis l’an 2000, au lendemain du coup d’Etat, n’est que le résultat d’une philosophie que, nous qui nous battons pour la démocratie en Côte d’Ivoire , n’avons jamais voulu partager et encore moins porter à bras le corps. Ceux qui ont décidé de le faire en sont aujourd’hui pour leurs frais. Le pays est divisé en deux, et c’est une preuve de l’échec politique de ceux qui ont lutté depuis les années 80 comme les gbagbo laurent pour la démocratie en Côte d’Ivoire sans remettre en cause la gestion néo-coloniale.

Comment se fait-il qu’aujourd’hui l’opposition Bété /Baoulé qui fut longtemps entretenue est devenue caduque et qu’on désigne aujourd’hui les Dioula comme la bête noire des ivoiriens ?

VABE CHARLES :

Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Dès 1957, en même temps que HOUPHOUET BOIGNY considérait le Nord comme l’ennemi à cause de la candidature de Sekou Sanogo, il avait coopté au Nord quelques Dioula qu’il exhibait comme des éléments de l’intégration. C’est ainsi qu’il a pris un Dioula né à Daloa, Diarassouba pour la région de Gagnoa. Diarassouba a été tué en 1957 à Mahidjo et au lendemain une expédition militaire partie d’Abidjan conduite par des gardes mobiles avait frappé à l’époque la ville de Gagnoa. Cela est inconnu du peuple.

C’est donc à partir de cette opération, commanditée par Dignan Bally et Djedje Capri que les Bétés sont entrés dans le collimateur du pouvoir. Tout le temps qu’ HOUPHOUET BOIGNY a régné dans le parti unique, les Bétés étaient considérés comme l’ennemi du pouvoir, mais ce qui me fait aujourd’hui tiquer, c’est qu’au moment où les Bétés étaient considérés comme l’ennemi du pouvoir de 1957 à 1993, aucun intellectuel ivoirien ne s’est levé pour dire : ce n’est pas normal. Et pourtant les Bétés subissaient les affres de la dictature. Quand on était Bété en Côte d’Ivoire, on était considéré comme palabreur, révolutionnaire et anti-social. On vous refusait même la location d’une maison. Plus grave, des emplois vous étaient aussi refusés parce que vous êtiez simplement un Bété. Et cela avait même conduit avant 1990 à ce qu’on appelle depuis « l’immigration dans le milieu Bété » vers les pays européens et d’autres pays africains parce que dans leurs propre pays ils étaient mis au ban de la nation.

On sait qu’en 1982, une simple manifestation provoquée par les étudiants à qui on venait de refuser un débat à l’université, avait été l’occasion pour HOUPHOUET BOIGNY de dire qu’il avait été victime d’un complot Bété. On avait cité trois Bétés à cette occasion ( Laurent Gbagbo, Kipre et Zadi). Ils se plaignaient de l’obscurantisme. A cette époque là , faisaient partie du gouvernement ceux là même qui brandissaient les plumes pour servir le régime en place. Il y avait M. Bala Keita, qui était le griot de service d’ HOUPHOUET BOIGNY en tant que ministre de l’éducation. Il y avait M. Dola Fologo, le directeur appointé de Fraternité Matin. . Il y avait M. Gaoussou Kamissoko qui était du Nord et qui avait écrit la fameuse idéologie du rapprochement entre HOUPHOUET BOIGNY et le régime fasciste de l’Apartheid. Mais tous ces gens mangeaient avec HOUPHOUET BOIGNY. Alors on ne comprend pas aujourd’hui que lorsque HOUPHOUET BOIGNY dans sa stratégie élaborée pour éviter un affrontement Bété / Baoule dès sa disparition ait amené un homme du Nord qui avait quitté la Côte d’Ivoire depuis l’âge de 10 ans et adopté la nationalité de ses pays d’adoption, à revenir en 1980 comme Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest pour le nommer Premier Ministre là où tous les nationalistes de Côte d’Ivoire ont été tués, là où tous les gens du Nord ont été écrasés, les gens du Sud tués et ceux du centre fragilisés. Houphouet a nommé Ouattara Premier Ministre alors que la question de sa nationalité prêtait déjà à confusion. Et Ouattara est devenir aujourd’hui Président de la République même au prix de divisions dans le pays.

Le grand problème de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, c’est l’ivoirité. Concept inventé par les AKANS pour démontrer à la face du monde que si les Akans ne sont pas au pouvoir, le pays, la Côte d’Ivoire est ingouvernable. Aujourd’hui depuis les événements du 19 SEPT 2002 HOUPHOUET BOIGNY est devenu plus populaire que n’ importe lequel des présidents qui se sont succédés après lui. Pourquoi ? Même les mutins regrettent la Côte d’Ivoire d’ HOUPHOUET BOIGNY et proposent qu’on revienne à la constitution néocoloniale qui avait été élaborée en France par des juristes français et ensuite lue à haute voix et proposée à l’assemblée nationale du parti unique qui l’a adoptée par acclamation le 3 novembre 1960. Alors qu’une constitution est une loi fondamentale , l’essence d’une nation.

En Côte d’Ivoire nous avons trois nations : les AKAN, les KROU et les MANDE. Il faut que ces trois nations s’assoient autour d’une table pour écrire une Constitution qui va intégrer les tenants et les aboutissants de chaque peuple sur laquelle tout le monde peut prêter serment et à partir de laquelle chacun peut se définir comme ivoirien. Je dis que la Côte d’Ivoire de demain c’est la Côte d’Ivoire où celui qui veut être ivoirien doit avoir la nationalité ivoirienne ; celle où un enfant qui est né en Côte d’Ivoire devient ivoirien à sa naissance . Que lorsqu’un africain a plus de 10 ans en Côte d’Ivoire et veut être ivoirien , il lui suffise de faire une demande pour le devenir. Car, nous connaissons trop bien le droit de sang : Ce n’est pas aujourd’hui dans un pays comme la Côte d’Ivoire où nous avons 5 millions d’étrangers pour 16 millions d’habitants que nous allons nous soumettre à ces dérives.

VABE CHARLES : consultant en stratégie et expert en communication . directeur de publication du journal presse opinion

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