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« Fidel Castro n’a jamais entretenu le culte de la personnalité »

Ne pas baptiser d’école ou de rue à son nom, ni dresser de buste à son effigie. Tel est le testament de Fidel Castro. Pourtant, son portrait se décline sous toutes les formes dans les rues de La Havane. Reportage.

À La Havane, huit jours après la mort de Fidel Castro, il est difficile de faire un pas sans croiser son visage. Son portrait fait la une de tous les quotidiens de l’île, son profil est décliné au fil des âges sur de grandes pancartes au bord des routes, et le « barbudos de la Sierra Maestra » apparaît sur une immense toile dressée sur l’immeuble de la bibliothèque nationale sur la place de la Révolution, témoin de nombreux de ses discours fleuves.

Depuis la mort de Fidel , le lider Maximo fait la Une de tous els quotidiens, y compris Granma.

Mais non, Fidel Castro n’a jamais cultivé le culte de la personnalité. C’est en tous cas ce qu’a affirmé son frère Raul, samedi 3 décembre à Santiago lors de la cérémonie d’hommage au dirigeant cubainresté au pouvoir près de 50 ans (1959-2006). Dans son testament, le « Lider Maximo » a « souhaité que cela se perpétue après sa mort ». « Son nom ne doit par conséquent jamais être utilisé pour baptiser des institutions, des places, des parcs, des avenues, des rues ou tout autre site public. Ni son visage ni son buste ne devront être érigés à sa mémoire », a-t-il déclaré.

« Un homme simple et modeste »

Cette dernière volonté ne surprend guère dans le quartier du Vieux Habana, que Fidel Castro a beaucoup fréquenté durant sa jeunesse. Pour Manuel, 76 ans, qui travaille dans le bar Monserrate, à quelques encablures du Capitole, « cela est conforme à l’esprit du personnage ». Il se souvient avoir rencontré à plusieurs reprises le dirigeant au treillis vert olive : « Fidel venait manger le plat des ouvriers et discutait avec tout le monde, raconte-t-il. C’était un homme simple et modeste ».

En face, dans le Castillo de Farnes, le fameux bar où El commandante est venu dîner avec le Che le soir de son entrée triomphale dans la capitale le 9 janvier 1959, les salariés affirment que Fidel Castro n’a jamais cherché à mettre en avant son image. « Fidel n’a pas besoin de buste pour être un maître », lance « Yo soy Fidel », l’un des employés dont le surnom vient du slogan répété en boucle par les Cubains depuis huit jours. « Il va survivre dans nos mémoires, à travers ses idées sur l’homme nouveau, affirme-t-il avec engouement. Celui qui cherche à préserver la paix, à cultiver l’égalité, à lutter contre la pauvreté, à préserver l’environnement et à construire une société durable ».

« Se détacher du modèle soviétique »

Depuis les premières années de la révolution, Fidel Castro a « toujours refusé d’entretenir le culte de sa personnalité », a rappelé Juan Valdes Paz, le sociologue cubain spécialiste des questions politiques et économiques. Cette culture de l’image vient davantage des Cubains, estime le chercheur. Ils vénèrent les héros de l’indépendance, comme José Marti dont le buste est omniprésent sur toutes les places du village et dont le nom est accolé à l’aéroport international mais aussi à de nombreuses écoles. « Cela s’est perpétué aux héros de la révolution comme le Che et Fidel », note le sociologue.

En légiférant sur cette question, Raul Castro entend ainsi freiner les velléités populaires, estime le sociologue. C’est aussi une façon « de se détacher du modèle soviétique qui a entretenu le culte de la personnalité de Lénine en URSS », souligne-t-il.

Un projet de loi hypocrite

aura-t-il un jour son portrait sur la place de la revolution, à l’image de celle du Che ?

Ce projet de loi dénote, selon un dissident qui préfère garder l’anonymat, « l’hypocrisie » du gouvernement cubain. « Son nom et son visage apparaîtront de façon plus subtile », glisse-t-il en montrant discrètement du doigt un portrait de Fidel sur la devanture d’une bibliothèque municipale. Son nom devrait également prendre place dans l’Histoire. Il figurera forcément dans les manuels scolaires qui traiteront de la révolution, reconnaît Juan Valdes Paz.

Pour autant, est-ce que les Cubains respecteront ses dernières volontés ? Aucun doute, affirment les Havanais. « Les prochaines années, vous ne verrez aucune image de Fidel Castro dans le pays », conclut le sociologue, contrairement à son compagnon le « Che », dont le visage est floqué sur les T-shirts ou tous les objets souvenirs.

Pourtant, Fidel aussi fait vendre. Sur la place des Armes, les bouquinistes affirment que depuis sa mort, les touristes s’arrachent les livres sur le héros de la révolution, notamment « Cent heures avec Fidel » d’Ignacio Ramonet et « L’histoire m’absoudra », qui reprend le plaidoyer de Fidel lors de son procès après l’attaque manquée de la caserne de Moncada en 1953.

Pour sa part, Juan Valdez Paz était persuadé que Fidel Castro aurait son portrait sur la Plaza de la Révolucion, sur l’imposant bâtiment des Forces armées. Dans le même esprit que ceux des deux héros de la révolution, Ernesto Che Guevara et Camilio Cienfuegos. « Avec cette annonce, il faudra attendre au moins dix ans avant que cela arrive, explique-t-il. Mettre son visage appartiendra à la prochaine génération ». Fidel Castro avait raison : l’Histoire jugera.

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